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L’Europe : Après l’austérité

Il n'y a aucun exemple d'une grande économie – et celle d’Europe est la plus grande au monde – qui se redresse par l'austérité.

L'obstination de ses dirigeants dans l'ignorance des leçons du passé est criminelle.

Depuis des décennies les dirigeants de la finance et leur employés au pouvoir nous répètent que leur stratégie économique est le seul choix possible et ceux qui si opposent sont des extrémistes. Ce fut une des plus grandes manipulations de masse en temps de notre Histoire contemporaine. Qualifier d'extrémiste M. Stiglitz, le conseiller économique du Président Bill Clinton, serait de l'extrémisme ! L'austérité n'est pas une fatalité !

Le choix des caractères en gras est le mien.

Bonne lecture !

l'Europe : après l'austérité

Joseph E Stiglitz
Professeur à l'Université de Columbia et Prix Nobel de l'économie

New York,

Il était évident lors de la réunion annuelle du Fonds monétaire international de cette année qu'en politique économique l'Europe et la communauté internationale naviguent à vue. Les leaders de la finance, des ministres jusqu'aux dirigeants des établissements de finance privés, ne faisaient qu'ânonner le mantra dominant : les pays en crise doivent mettre de l'ordre chez eux, réduire leurs déficits, alléger leurs dettes, opérer des réformes structurelles, et promouvoir la croissance.

Et de réitérer : il faut rétablir la confiance.

C'est un peu irritant d'entendre pontifier ainsi ceux qui, à la tête de banques centrales, ministères des finances et banques privées, ont conduit le système financier mondial au bord de la ruine et entraîné le chaos actuel. Pis encore, ils n'expliquent pas comment résoudre la quadrature du cercle. Comment rétablir la confiance lorsque les économies plongent dans la récession ? Comment raviver la croissance quand l'austérité réduira sans doute davantage la demande globale, en faisant encore baisser la production et l'emploi ?

On devrait savoir maintenant que les marchés ne sont pas stables. Non seulement ils produisent sans cesse des bulles qui les déstabilisent en gonflant les avoirs mais, quand la demande faiblit, ce sont les mêmes qui créent les forces qui aggravent la baisse. Le chômage et la peur de sa progression, font chuter les salaires, les revenus, et la consommation, et par conséquence la demande globale. Il y a de moins en moins de jeunes ménages – en Amérique, par exemple, des jeunes retournent de plus en plus vivre chez leurs parents – ce qui comprime le prix de l'immobilier et aggrave encore les saisies1. Les états avec un cadre budgétaire équilibré se voient forcés de réduire leurs dépenses alors que la recette fiscale diminue – un facteur déstabilisant automatique, que l'Europe bêtement semble décidé à adopter.

Il existe des stratégies alternatives. Certains pays comme l'Allemagne, peuvent se permettre des manœuvres fiscales. Les utiliser pour relancer l'investissement ferait accroître la croissance à long terme, avec des conséquences positives pour le reste de l'Europe. Un principe bien connu est que l'augmentation équilibrée des impôts et des dépenses stimule l'économie. Si le programme est bien défini (impôts sur les hauts revenus, accompagnés des dépenses pour l'éducation), la croissance du PIB et de l'emploi peut être significative.

La fiscalité de l’Europe dans sa totalité n'est pas en mauvais état ; le ratio endettement-PIB, comparé à celui des États Unis, est favorable. Si chacun des états là-bas était responsable de son propre budget, y compris toutes les allocations-chômage, les États Unis aussi connaîtraient une crise fiscale. La leçon est évidente : le tout est plus grand que la somme des parties. Si l’Europe, en particulier la Banque centrale européenne, devait emprunter pour re-prêter, le coût de la dette baisserait en Europe, créant ainsi une marge pour le genre de dépenses propre à promouvoir la croissance et l'emploi.

Il existe déjà des institutions en Europe, comme la Banque d'investissement européenne, qui pourraient financer des investissements dans des économies en manque de liquidité. La BIE devrait augmenter ses prêts. Il faudrait davantage de fonds pour soutenir les petites et moyennes entreprises, source majeure de création d'emploi dans toutes les économies. Ceci est de première importance, étant donné que la contraction des prêts bancairses frappe particulièrement ces entreprises.

L'obsession en Europe de l'austérité est le résultat d'un mauvais diagnostic de ses problèmes. La Grèce a trop dépensé certes, mais l'Espagne et l'Irlande avaient un excédent fiscal et un taux bas du ratio endettement-PIB. Donner des leçons sur la prudence fiscale n'a pas de sens. Prendre ces leçons au sérieux, voire en adoptant des cadres budgétaires étroits, peut être contre-productif. Que les problèmes de l’Europe soient temporaires ou fondamentaux - la zone euro, par exemple, est loin d'être une zone « optimale » de change, et dans une zone de libre échange et de libre circulation la compétition en matière d’imposition peut éroder un état viable – l'austérité ne fera qu'empirer la situation.

Les conséquences de cette précipitation de l’Europe vers l'austérité seront durables et probablement sévères. Si l'euro survit, ce sera au prix d'un chômage élevé et une énorme souffrance, notamment dans les pays en crise. Et la crise elle-même s'étendra presque certainement. Les boucliers de protection ne marcheront pas si on continue à déverser en même temps de l'huile sur le feu, comme l’Europe semble s'être engagée à faire : il n'y a aucun exemple d'une grande économie – et celle d’Europe est la plus grande au monde – qui se redresse par l'austérité.

C'est ainsi que le plus grand atout d'une société, son capital humain, est en train d'être gaspillé voire anéanti. Une jeunesse longtemps privée d'un travail décent - le chômage des jeunes atteint des taux inacceptables depuis 2008 et dans certains pays avoisine ou dépasse les 50% – devient aliénée. Et si enfin ils trouvent un travail, ce sera avec un salaire bien plus bas. Normalement c'est pendant sa jeunesse que les compétences se construisent. Dès lors la jeunesse les voit s'atrophier.

Tant d'économies sont fragiles face aux catastrophes naturelles – tremblements de terre, inondations, typhons, ouragans, tsunamis – que d'en rajouter d'autres dues à l'Homme, est d'autant plus tragique. Mais voilà ce que fait l’Europe.

L'obstination de ses dirigeants dans l'ignorance des leçons du passé est criminelle.

La souffrance que l’Europe, notamment celle des jeunes et des pauvres, est en train de subir, n'est pas nécessaire. Heureusement qu'il existe une alternative. Mais tarder à la saisir et cela coûtera très cher, car le temps pour l’Europe est compté.


 

Remerciements à mon amie Charlotte Levrard pour avoir révisé entièrement la traduction.
[Cet article fut publié pour la première fois dans Project Syndicate]

 

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11 réactions à cet article    


  • Yvance77 16 mai 2012 08:46

    Salut,

    Le problème est bien celui qui consiste à appliquer depuis plus de trente années les mêmes remèdes foireux avec les mêmes équipes.

    Il est grand temps de changer de prisme. Sortir des sentiers battus avec d’autres personnes qui ont des idées tout aussi valables.

    Mais non, tous les spécialistes, tous les experts encartés, tous les conseillers rabâchent les mêmes idioties en boucle, et s’embourbent dans la doxa libérale-financière que nous connaissons.


    • Robert GIL ROBERT GIL 16 mai 2012 09:02

      si l’europe n’est pas capable d’asurer le bien de tous mais seulement le bien etre de quelque uns, on va droit a la catastrophe :
      http://2ccr.unblog.fr/category/europe/


      • Le Yeti Le Yeti 16 mai 2012 09:47

        La crise n’est qu’un point de vu ! Pour certains, les fortunes réalisées à l’heure actuelle sont sans précédent. Il n’y a pas que des perdants dans l’histoire. Reste à savoir qui le plus de poids, le 1% qui s’enrichit ou les 99% dépecés.

        Hier, la valorisation de FaceBook à dépassé les 100 milliards de dollars ...


        • Le taulier Le taulier 16 mai 2012 10:15

          « Il n’y a aucun exemple d’une grande économie – et celle d’Europe est la plus grande au monde – qui se redresse par l’austérité. »

          Ben si il y a un exemple, l’Allemande de Schroder et son agenda 2010 qui a permis à ce pays de sortir de la crise où il s’était enfoncé suite à la réunification.

          Il y a aussi un contre exemple, la France de Jospin et des 35 heures qui ont marqué le début du décrochage d’avec l’Allemagne.


          • Yvance77 16 mai 2012 10:28

            Quel crétin vous faites ! Sous Jospin justement c’est tout le contraire qui s’est produit. C’est une des rares périodes ou la dette à reculer justement, alors que sous Sarkozy, Balladur et Juppé elle n’a fait qu’exploser et à grande vitesse.

            Les 35 heures sont une justice sociale (dans l’esprit sauf que ceux qui en profitent sont d’abord les cadres) et il faudrait aller même plus loin vers les 30 heures désormais. Il n’y a plus de boulot pour tous est-ce si dur à comprendre ?

            La machine à remplacer dans moult secteurs l’homme. Sauf cas particulier genre médecine et autres...

            Si l’on veut vraiment inverser la tendance, il suffit simplement de ne plus taxer l’homme, et de ne plus amortir la machine. Et là, cela repart.

            La machine a autorisé depuis les années 70 une multiplication de la richesse comme ce n’est pas permis, la répartition équitable de celle-ci n’a pas suivi.

            Alors, allez tous vous faire mettre avec votre doxa reagano-thatchérienne à la con. Et j’espère en avoir quelques-uns des comme vous en face de moi quand cela explosera !!!


          • foufouille foufouille 16 mai 2012 12:11

            "Ben si il y a un exemple, l’Allemande de Schroder et son agenda 2010 qui a permis à ce pays de sortir de la crise où il s’était enfoncé suite à la réunification."
            et qui exportes, ce donc les autres qui payent, mais comme ils ont plus de sous........
            hartz IV aussi


          • Le taulier Le taulier 16 mai 2012 14:45

            On peut aussi aller aux 8 heures comme cela on aura tous un long week end !

            les 35 heures ont « niqué » le pays désolé d’être vulgaire mais c’est une réalité. La preuve c’est que personne ne veut entendre parles de 30 heures.

            Jospin a bénéficié d’une période de croissance particulièrement favorable au niveau mondial et ce con n’a même pas été capable de faire baisser le dette de la France.


          • BA 16 mai 2012 10:18
            Mercredi 16 mai 2012 :

            Retraits massifs dans les banques grecques.

            Devant l’incertitude politique et économique, les Grecs ont procédé à des retraits massifs sur leurs comptes en banque et si les autorités n’évoquent pas de « panique bancaire » à ce stade, elles reconnaissent un sentiment de « peur qui pourrait évoluer en panique ».

            D’après la transcription des discussions que le président Karolos Papoulias a eues mardi avec les chefs de file des partis politiques grecs, 700 millions d’euros au moins ont été retirés aux guichets pour la seule journée précédente, lundi.

            « M. George Provopoulos (ndlr, gouverneur de la banque centrale grecque) m’a dit qu’il ne s’agissait pas de panique, mais d’une grande peur qui pourrait évoluer en panique », a dit le président Karolos Papoulias à ses interlocuteurs.

            « Les retraits et les sorties à 16h00, lorsque je l’ai appelé, excédaient les 600 millions d’euros et atteignaient les 700 millions d’euros. Il s’attend à des sorties totales de l’ordre de 800 millions d’euros », a ajouté le président grec.

            Les législatives du 6 mai dernier n’ont pas permis de faire émerger une majorité stable et Karolos Papoulias, qui n’a pu convaincre les partis de former un gouvernement de coalition, a été contraint d’en appeler à de nouvelles élections législatives, qui devraient avoir lieu dans le courant du mois de juin. 

            De nombreux Grecs redoutent désormais que leur pays soit contraint de quitter la zone euro, et craignent une dévaluation rapide d’une nouvelle drachme.


            • Scual 16 mai 2012 11:45

              Ce n’est pas l’obstination qui est criminelle.

              Ce n’est pas une erreur, ni de l’aveuglement.

              Il le font exprès. Ce sont des criminels tout court, et ils en sont parfaitement conscients.

              Cette austérité est le seul moyen de préserver la fortune des responsables de la crise, et ils préfèrent volontairement détruire le continent entier que de faire payer leurs amis responsables du fiasco. Ce sont des collabos, rien de plus.


              • BA 16 mai 2012 15:37

                Mercredi 16 mai 2012 :

                 

                Game Over.

                 

                Voilà que la sortie grecque – ou plutôt son éviction ! – devient quasi chose faite. Citibank l’évalue à 75%, tandis que les bookmakers anglais ne prennent plus aucun pari tant l’affaire semble « pliée »…

                 

                Les Grecs sont d’une part complètement saturés d’austérité sachant que, par ailleurs, les Allemands (en tout cas Madame Merkel, son ministre Schauble et leurs suivants) ne donneront plus leurs sous sans davantage de régime minceur grec. Certes, de nouvelles élections grecques sont agendées au 17 Juin prochain, mais pourquoi les résultats seraient-ils foncièrement différents des précédentes ? De fait, ils le peuvent, mais dans le sens inverse que celui attendu car celles et ceux ayant protesté par leurs suffrages contre la rigueur se mobiliseront - et mobiliseront - indubitablement davantage. Attendons-nous, en d’autres termes, à l’affaiblissement supplémentaire des partis de gouvernement grecs et à une installation des extrêmes, donc des partis contestant l’austérité imposée par Bruxelles et par le F.M.I..

                 

                Dans un tel contexte, les officiels allemands – qui se sont préparés depuis déjà plusieurs mois à l’éventualité d’une sortie grecque – familiarisent et rassurent désormais leur opinion publique en déclarant haut et fort que l’Allemagne et que l’Union Européenne s’en accommoderont sans problèmes majeurs. La presse allemande s’en fait également l’écho, voire l’espère, tant elle est exaspérée par l’insupportable fourmi grecque. Le très ironique titre du Spiegel - « Acropolis Adieu » - paru il y a quelques jours ne signifie rien d’autre…

                 

                Les marchés tangueront, certes, mais les Allemands semblent sûrs de leur coup et sous-entendent avoir concocté un « plan Grèce » qui n’éclabousserait pas trop l’Euro. Pourtant, absolument personne – les Allemands pas plus que les autres – n’est en mesure de prévoir les ravages de la contamination d’une sortie grecque. Mais l’Allemagne se rend-elle seulement compte qu’elle joue avec le feu ?

                 

                Elle peut ériger des protections autour de ses banques. Elle peut même augmenter le Fonds de Stabilité et se coordonner avec le F.M.I. afin que les marchés financiers ne soient pas trop sonnés. Elle peut également sommer et sermonner les Grecs. Une sortie grecque de l’Union Européenne en ce printemps ou été 2012 ne sera toutefois que le prélude à un tourbillon qui frappera d’abord le Portugal et juste après l’Espagne. A moins que cet ordre ne soit inversé, sachant que l’Italie se retrouvera à un moment donné à son tour sur un siège éjectable.

                 

                Quelles sont les conséquences de la cassure d’une union monétaire ? Les experts allemands peuvent-ils seulement le savoir ? Intuitivement, il est possible d’anticiper une fuite cataclysmique des capitaux hors des pays à risques, et une ruée pour se désister des billets de banque espagnols et italiens. La panique est capable de bouleverser et de rendre caducs en un rien de temps l’intégralité des simulations allemandes – et elle le fera !

                 

                Quant à la Grèce, ce qui reste de son économie et de sa société civile s’effondreront : plus de services publics, plus de soins médicaux, plus de police, plus de justice, une masse d’exilés déferlera sur le reste des pays européens qui finiront pas leur fermer leurs frontières… Nul ne peut prédire les effets dramatiques – économiques, financiers mais également politiques voire sécuritaires – d’une sortie de la Grèce. Les responsables politiques sont certes connus pour leur vision court-termiste mais il est (encore) temps pour la classe politique européenne de réagir et de raisonner le gouvernement allemand actuel. Il ne faut pas attendre les résultats des élections en Grèce car il sera alors trop tard.

                 

                Michel Santi, économiste, analyste financier.

                 

                http://www.gestionsuisse.com/


                • Soi Même 17 mai 2012 02:23

                  Lagarde n’est pas sous une inculpation avec l’affaire Tapis !

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