L’Europe de la défense en débat (Partie I)
Emmanuel Dupuy, président de l'IPSE, l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, donne un entretien à Observateur Continental sur le tournant pris dans la diplomatie française sur l'Otan, la Russie et sur les anicroches avec Berlin.
Avons-nous un tournant dans la diplomatie française vis à vis de la Russie par rapport aux Etats-Unis ?
- Je ne le dirais pas tout à fait comme ça mais le président Emmanuel Macron a souhaité insuffler un vent nouveau à la diplomatie déjà en renouant le dialogue avec la Russie. C'est une première avancée. Ce dialogue a été caractérisé par un certain nombre de rencontres, dont celle de Brégançon, le 19 aout dernier. Maintenant, il faut que cela soit concrètement mis en place. Je ne ferais pas forcément le lien entre l'article de The Economist et la nouvelle stratégie française dans la région, caractérisée par davantage de pragmatisme et que l’on souhaiterait, en effet, mue par la Realpolitik. Par contre, ce qui est une réalité indéniable, réside dans le fait que le président Emmanuel Macron envisage des pistes diplomatiques ou des positions et visions stratégiques qui sont radicalement différentes de ce qu'il envisageait il y a quelques semaines. Il y a eu, en effet, un revirement de sa part, en tout cas induit par les changements internationaux, notamment ceux qui se sont imposés à nous, ou devrais-je dire, à notre insu et à nos dépens en Syrie, eu égard au lancement de l’opération turque « Source de paix ». L'article de The Econmist qui a permis au président français d’évoquer la « mort cérébrale » de l’ Otan et semblant interroger l’effectivité de L'article 5 du traité de l'Atlantique-Nord (automaticité du principe de défense collective en cas d’attaque contre un de ses membres) semblait évoquer une certaine remise en cause du système actuel de l'Otan, qui par faute de coordination et de planification, nous a mis devant le fait accompli de deux de nos partenaires otaniens (Etats-Unis et Turquie) ; mais encore une fois, il n'est pas le premier à faire ce constat. Evidemment, il ne le dit pas totalement avec un constat dénué d'arrière-pensées, à l’aune du prochain Sommet de l’ Otan, prévu à Londres, le 3 décembre prochain.
Quelles arrière-pensées voyez-vous ?
- Il convient d’étayer le rapprochement estival avec Moscou par un certain nombre d'éléments, élargissant notre perception diplomatique à la nouvelle « grammaire » des relations internationales qui voit des Nations « civilisationnelles » remettre en cause l’ensemble des lieux, valeurs, règles et acteurs du système multilatéral. Premièrement, on ne peut pas d'un côté appeler à une nouvelle « architecture de sécurité européenne » et de dire que cette nouvelle architecture de sécurité européenne doit se faire dans des organisations qui n'ont pas évolué depuis plus de 70 ans. Deuxièmement, l'efficacité de l'Otan est interrogée plus ouvertement dans son efficacité, sa légitimité, voire sa légalité, comme ce fut le cas au Kosovo en 1999 et en Libye en 2011. Elle est aussi interrogée dans sa capacité à avoir fourni un certain nombre d'éléments probants de stabilisation, de prévention et de gestion des conflits. Un troisième élément est lié au fait que nos principaux alliés à l'intérieur de la structure -et c'est dans ce sens là que l'article d'Emmanuel Macron était intéressant- nous montrent des signes de faiblesse d'une part ou des signes de désintéressement de l'autre et, d'une certaine façon sont contradictoires avec l'esprit même de la Charte de l’Alliance atlantique datant du 4 avril 1949. Je pense notamment à la Turquie, mais aussi aux Etats-Unis, eux-mêmes. Le Président Donald Trump n’avait-il pas dit que l’ Otan était devenue « obsolète » ?
Il y a néanmoins une conjonction d’idées et d’intérêts. Emmanuel Macron dit à-peu-près ce que tout le monde pense, même Angela Merkel. C'est à dire que cette structure de sécurité et de défense collective, dans son fonctionnement actuel, ne peut plus marcher dans l'état, alors que son principal soutien, les Etats-Unis menaçent de se retirer, obligeant les états européens de l’Alliance à devoir réfléchir seuls à leur protection. Deuxièmement, cette structure consomme beaucoup de moyens que nous pouvions mettre ailleurs et c'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre la parole d'Emmanuel Macron qui vise à déshabiller « Pierre pour habiller Paul », si j'ose dire. C'est à dire de faire en sorte de dresser un constat de ce que nous envisageons dans l'Otan est d'autant moins mis en avant dans ce que devrait être une Europe de la défense que l'on veut renouveler ou que l'on veut plus puissante et autonome ou tout simplement différente. Pour cela aussi, la prise de parole présidentielle était intéressante.
Là où il y a également un lien avec la nouvelle politique étrangère française, qui se voudrait une politique étrangère plus pragmatique que réaliste. C'est la parole présidentielle et cela ne veut pas dire que la diplomatie française soit totalement au diapason avec celle-ci. Les prises de position des présidents français ont été très difficilement défendues, pour ne pas dire, ont été contraires à ce qu'un certain nombre de diplomates pensent sur le terrain. Quand Emmanuel Macron ferme la porte en opposant son véto au processus d'adhésion et d'association de l'Albanie qui avait été lancé il y a dix ans ou de la Macédoine du Nord il y a plus de dix huit ans, on ne peut pas dire que cela soit tout à fait conforme à l'engagement que nous avons pris vis-à-vis de ces pays, lors du Sommet européen de Thessalonique en 2003 ou plus récemment à l’occasion de celui de Berlin en avril dernier centré sur la conflictualité et litige frontalier entre le Kosovo et la Serbie. Il est vrai que le Sommet sur les Balkans occidentaux, prévu à Paris, dans la foulée de celui de Berlin, en juillet dernier avait été annulé !
Dans la même foulée, le président Emmanuel Macron, dans une autre interview (Valeurs actuelles) semble fustiger les efforts nécessaires entrepris par un certain nombre de pays qui ne sont pas membres de l'Otan (Ukraine) ou même ceux dans l’UE (Bulgarie). On voit bien qu'il y a aussi une rupture dans la manière que nous pensons notre rôle dans la région. En tout cas cela aura indiscutablement un impact négatif.
Bref, depuis la rencontre de Brégançon, cet été, le président Emmanuel Macron s'est mis à dos nos principaux alliés dans l'Otan et au sein de l'Union européenne - avec les pays baltes d'une part, la Pologne et les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, notamment) d'autre part, sans oublier les pays des Balkans orientaux (Bulgarie et Roumanie) et maintenant l'Europe du Sud-Est (Albanie, Macédoine du Nord, Serbie et Bosnie-Herzégovine).
à suivre
Source : http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=1221
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