L’éveil du pauvre d’esprit
Des moyens de communication toujours plus performants pour une humanité toujours plus seule dans son quotidien. Triste paradoxe que celui d'un monde dont les valeurs humanistes agonisent sous le joux de la sacralisation toujours plus poussée de l'objet, conjointement à un essor de technologies et autres réseaux interactifs avalés sans libre arbitre, et surtout sans recul nécessaire à une prise de conscience des effets pervers engendrés par cette quête de remplissage du vide.
Car oui, il semble qu'il faille de nos jours nous gaver pour occulter cette réalité, pas toujours palpable en fonction des chemins de vie empruntés. Nous gaver d'infos, nous gaver de crétinerie, nous gaver de services de plus en plus pointus, nous gaver de gadgets à la mode rendant l'Humain des sociétés industrialisées et tertiarisées toujours plus enclin à une soumission latente. Cette soumission permise par la destruction lente et progressive (Immuable ?) de l'instinct au profit d'une assistance croissante dans les tâches quotidiennes, le tout reposant sur un pillage énergétique sans précédent. Vous voulez planter un clou ? Il y a une application pour ça...
Nous nous gavons d'illusions, en somme.
Pour oublier... Oublier les marionnettes que nous sommes, inclues bien sagement dans un système délétère pour l'Humain, mais remplissant les poches des dynasties de Raminagrobis assis sur leur tas d'or. Et pourtant, nous adorons ça. De ce plaisir nait la perversion de ceux tirant les ficèles, rendant indispensable l'inutilité pour la survie d'une espèce animale sur le déclin. Ah non pardon... Rendant indispensable ce qui finira par causer la perte de l'Humain, tout en étant vendu comme ce que nous appelons communément la tendance, le progrès ou encore l'avenir.
Citius, Altius, Fortius. Plus vite, plus haut, plus fort. Pierre de Coubertin était semble-t-il un visionnaire. Une maxime qui pourrait très bien résumer les valeurs sur lesquelles nous n'avons pas de prise, en tant qu'individu, en tant que citoyen. Nous avons l'art de crier seuls, de cracher sur les dysfonctionnements et inégalités qui nous révulsent, de protester contre une dépossession de tout pouvoir. Le pouvoir d'agir, le pouvoir d'achat, le pouvoir même de penser pour certains. Et pourtant, nous ne bougerons pas le petit doigt pour que cela change. En avons nous seulement l'envie ? En avons nous seulement les moyens ? En avons nous seulement le courage ? Qui plus est, quand bien même une action collective parvient à se mettre en place, les résultats obtenus ne constituent plus désormais que des miettes de pain à se partager entre petites gens, regardés de haut avec mépris et sarcasme par nos pseudo-élites dirigeantes se gaussant de leurs privilèges. Et paradoxalement, ces contestations vaines nous paraissent fondamentales et sont assimilées comme un droit permettant l'illusion d'une conservation de nos libertés.
Nous constatons nombre de tragédies humaines. Famines, massacres, appauvrissement financier et intellectuel des populations, décomposition de la culture vendue comme produit de consommation de masse, mise à l'écart de ceux qui ne veulent pas rentrer dans le rang, états mafieux, culte de la monnaie, course vers l'individualisme, mascarade d'élections donnant l'illusion à la populasse de pouvoir s'exprimer alors qu'elle a les poings liés et galère parfois pour élever ses enfants, démocratie dont le seul terme ne suffit plus à faire rire tant la supercherie est monumentale, consommation d'autrui en tant que ressource affective et sexuelle avant mise à la poubelle en quête d'une satisfaction plus grande encore, délitement du lien social et des collectifs, destruction des structures familiales, etc.
La liste peut être longue encore... Ne sont-ils pas jolis nos repères ?
Tout le monde s'accorde à mettre l'individualisme au rang de valeur largement décriée. Ce mal inhérent à notre époque, rongeant la fiabilité d'autrui et la confiance qu'on peut lui accorder. Et pour autant, pour exemple, peu nombreux sont ceux pouvant se targuer d'entretenir des relations amicales ou fraternelles, ou même ne serait-ce que connaitre ceux qui sont géographiquement les plus proches : leurs voisins. Un phénomène banal, un exemple un peu tiré par les cheveux, mais suffisant à mettre en lumière la léthargie dont la plupart des gens fait preuve à l'égard de l'autre.
Des coups d'épées dans l'eau, voila le symbole de notre parole. Les coeurs s'emplissent de noirceur sous les jours funestes qui se tiennent devant nous, avec l'impression que “c'est comme ça, c'est la vie, on ne peut rien y faire”. Nous sommes à l'heure de la complaisance dans la médiocrité oû la quête de son existence propre consiste à briser les murs qui nous entourent pour tomber sur de nouveaux murs, et ce de manière cyclique. Tracer une route imaginaire en franchissant les obstacles que l'on n'a pas voulu, mais qui constituent le fonctionnement normé d'une vie inclue dans un systême ayant évolué jusqu'à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Avec l'espoir qu'à la fin de sa vie, en se retournant, on puisse se dire que l'on ne regrette pas les aiguillages empruntés et les choix que nous avons fait. Certains s'en sortent très bien, d'autres n'ont pas cette chance. A chaque tranche de vie ses murs, ses plaisirs, ses contraintes. Bénie soit l'insousciance de l'enfance. Pour combien de temps encore ?
S'attaquer à l'adulte ne suffisant pas, il fallait bien s'attaquer à la relève. Les générations de demain qui verront notre monde sous un autre jour, plus délabré encore que nous autres pouvons le constater à notre époque. Pauvres d'eux mêmes. Vivant encore dans une réalité qu'ils explorent et se construisent à coup de rêves et de fantaisies, ils en viendront fatalement à constater les dégats occasionnés par les générations antérieures. Mais tout est prévu pour que le système perdure et que les menottes institutionnelles et sociétales restent solidement attachées à leurs poignets. Il suffisait simplement de les rendre addict. Addict à la consommation avant même qu'ils soient en âge de porter un regard critique sur notre société, ses fondements, et les valeurs humanistes qui semblent mourrir peu à peu.
Voila donc l'arme ultime. La manipulation et le viol symbolique de l'enfance. L'adulte peut bien tout remettre en question... Qu'importe tant que l'enfant qui lui succedera a bien intériorisé la satisfaction de posséder. Non seulement ils sont les cibles privilégiées d'un gavage publicitaire et outrancier organisé avec brio par nos chers marketeurs, mais que donnons nous leurs à constater, sinon l'art de mettre au rebut ce qui ne nous amuse plus au profit d'un autre objet dont l'obsolescence est programmée avant même sa commercialisation ? De plus, quoi de plus légitime pour un parent que d'accéder aux requêtes de son enfant en vue de satisfaire ses désirs ? C'est pour son bien être après tout. C'est pour son épanouissement.
Loin de moi l'idée de blâmer le rôle de parent qui, semble-t-il n'est pas une mince affaire. Composer avec la réalité, avec ce qui leur semble juste et honorable à transmettre à leur descendence, avec l'envie d'offrir un cadre affectif et matériel épanouissant, mais également avec l'usure liée à un monde professionnel devenant fou, des conditions financières précaires pour certains, avec le stress et la fatigue entamant la patience et recentrant l'adulte sur une envie de repos plutot que l'encadrement et l'éducation de sa progéniture. Parmis tous les rôles qu'il nous est donné d'endosser au cours de notre vie, le rôle de parent semble à la fois le plus naturel et le plus complexe.
Toutefois, comment élever sereinement ses enfants, lorsque l'amour devient un produit consommé, jetable et remplaçable, lorsque l'adulte lui même est en quête de repères stables dans un monde ultra dynamique et changeant ? Au delà de ces considérations, et il s'agit là d'une des plus grandes faillites collectives de l'espèce humaine, comment préparer les générations futures au chaos qui s'annonce, dans un contexte oû l'Homme est devenu à la fois spéctateur, acteur et consommateur de sa propre chutte ?
Malheureusement, le contexte humain, culturel, économique, considéré à une échelle mondiale constitue un tissus des causes et des conséquences, d'actions et de réactions en chaines bien trop complexes pour formuler une réponse intelligente, intelligible, sensée et rationnelle. Cependant, nous pouvons prendre comme point de départ le concept de citoyen.
Tout le monde, espérons le, attribue à ce concept une vision critique. Chacun a sa propre conception de la citoyenneté. Cependant, l'image que l'on nous donne à avaler telle qu'elle consiste à être respectueux des lois et du système dans lequel nous naissons et évoluons. Sans pour autant argumenter en faveur d'un système anarchique, ou encore de s'assoir sur des siècles d'histoire, il semble là que nous ayons affaire à un premier niveau de soumission. Effectivement, sur quelle légitimité se base-t-on pour qu'une entité symbolique et immatérielle telle qu'un cadre juridique, appuyé par un système financier, puisse s'octroyer le droit de regner en maitre sur des sujets n'ayant pas même demandé a naitre, mais obligés par la suite de se conformer à la prescription qui leur est faite ? Une réponse simple : aucune.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les élites dirigeantes ont toujours instauré un système complexe de sanctions, multiples et graduées, vouées à maintenir la population dans un état de peur constante. Un coup de génie en somme. L'Humain, dans toute sa compléxité bénéficie d'une palette d'émotions larges. Mais la peur constitue le vecteur premier de soumission à un ensemble de règles totalement absraites et imposées. Et il est “amusant” de considérer cette situation lorsque l'on sait que la peur est une réaction instinctive de l'animal sentant un évènement pouvant potentiellement le tuer. Trois alternatives dans ce cas : fuir, combattre, se soumettre. Cependant, chez l'homme, il apparait plus confortable de se soumettre à un système injuste tout en brassant du vent, que de le fuir ou le combattre. Je fais partie de ces personnes, vous faites partie de ces personnes.
En tant que tels, les différents systèmes juridiques se sont forgés pendant des siècles et des siècles d'histoire, sur des luttes contre l'oppression, contre l'esclavagisme, sur des luttes en faveur de la liberté d'agir et de penser, sur les luttes contre les discriminations et pour l'égalité etc. Si de nombreuses avancées ont pu voir le jour (au niveau législatif tout comme dans les mentalités), notamment en ce qui à trait à la protection physique du corps (Pensons surtout à l'esclavagisme), il apparait toutefois dramatique de constater, pour tout être suffisamment éveillé, que les outils de contrôle de l'homme en vue de son exploitation et de sa transformation en force de travail et sources de revenus, sont devenus plus subtils, pernicieux et malsains. Aujourd'hui, le terme ne choque personne, mais nous parlons communément de ressources humaines. Peut-être est-il temps de se questionner sur la valeur accordée par notre système à une existence singulière telle que vous ou moi. Êtes vous respecté pour ce que vous êtes, ou êtes vous simplement un des milliards de rouages d'une machine à la mécanique extrêmement bien huilée ? Une machine n'ayant d'autre ambition que de réifier l'humain en le compressant pour en tirer l'essence. Aussi bien huilée soit-elle, cette machine aux besoins énergétiques faramineux ne pourra contenir éternellement les folies des quelques poignées d'hommes véritablement détenteurs du pouvoir.
Afin d'équilibrer la balance (il ne faudrait pas que la manipulation des masse soit rendue trop visible), et conjointement à l'essor des connaissances scientifiques et techniques, les lois ont permis de nouvelles libertés individuelles et collectives, l'ouverture de nouveaux droits, l'accès à une certaine éducation, l'accès à un maintien en santé prolongeant l'espérance de vie à une vitesse folle, et, peu à peu, au développement pour l'individu de compétences de plus en plus cognitives. Dit comme ça, cela semble plutôt bénéfique de prime abord, et pourrait pencher en faveur du bien commun. A un détail près... et d'une taille conséquente, celui que l'on nomme évolution démographique.
En effet, si la population mondiale croit lentement de l'antiquité à la fin du premier millénaire après Jesus Christ, sa croissance s'accélère peu à peu pour atteindre son point de rupture dans les années 1750. A partir de cette époque, la croissance démographique explose. En 250 ans, la découverte et le développement de matériels techniques devient de plus en plus effreiné ; la productivité des travailleurs est démultipliée grâce à la mécanisation et aux différentes méthodes de rationnalisation des moyens de production ; l'émancipation récente des femmes les conduit à revendiquer les mêmes droits que les hommes, dont l'accès à l'emploi ; le secteur tertiaire se développe et se diversifie avec la création de nouveaux métiers. Etc. Bien que la consommation de biens existe déja depuis plusieurs siècles, c'est véritablement a partir de la première révolution industrielle que se développe peu à peu la production de masse.
Ainsi, bien que certaines périodes puissent être considérées comme des âges d'or, les évolutions conjointes de la démographie et des différentes techniques, ingenieuries et sciences, ont conduit à développer la sphère professionnelle suivant un rythme sans précédant. La population active croit d'année en année, amenant à saturer le marché de l'emploi comme nous pouvons l'observer actuellement. Le chômage fait son apparition et fait de nombreux laisser pour compte. Il n'y a plus de travail pour tout le monde. Du moins... c'est ce qu'on nous fait croire. Il serait plus juste de dire : il n'y a plus de travail pour tout le monde dans un système où il s'agit de sauvegarder les privilèges des puissants en satisfaisant une logique uniquement financière. Car à bien y réfléchir, il ne s'agit ici que d'une mauvaise répartition du travail sur l'ensemble de la population. S'il existe de nos jours autant de personnes sans emploi, c'est fondamentalement que le reste de la population en activité travaille trop. Qui plus est au regard des méthodes de gestion d'entreprise, visant à tirer sur la corde au maximum pour réduire les effectifs à leur stricte minimum. Quand bien même l'entreprise mondialisée dégage-t-elle des profits, pour peu que ceux ci soient en perte de vitesse, et de part le système d'actionnariat mis en place, il apparait beaucoup plus simple de supprimer une part de la masse salariale que de chercher de véritables stratégies pérennes, basées sur une vision à long terme.
Aujourd'hui, le court terme domine à tous les points de vue : amoureux, financiers, consommation de ressources énergétiques, scientifique, etc. Grâce à son besoin constant de repousser les limites de la connaissance, jouant à l'apprenti sorcier, la main de l'homme aura créé une entité de plus en plus globalisée, constituée de chiffres et autres réalités immatérielles ayant réussi à prendre le pas sur toute dimension humaniste. Seuls ne comptent plus que les profits jusqu'a épuisement total des ressources terrestres, qu'elles soient nouricières, humaines ou énergétique.
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