J'ai trouvé cet article datant de 2003 sur un site américain, qui tentait à l'époque de comparer le management à la française au management à l'américaine. Je ne pense pas que l'auteur ait tort concernant la description qu'il fait de notre système, on pourrait au pire lui reprocher une certaine partialité parfois.
Je vous laisse comparer si, presque dix ans après, la situation a changé ou non dans nos entreprises. J'ai l'impression personnellement d'une certaine porosité du système français aux méthodes américaines, notamment dans l'obsession récente à favoriser le profit à cours terme au mépris du développement à long terme. Par contre je ne crois pas que nos défauts aient disparu, notamment la prédominance des réseaux et du « qui êtes-vous ? » sur le « qu'avez-vous fait ? », comme le dit le texte.
L'article original en anglais se trouve à l'adresse :
Traduction :
Les différences entre les managers français et américains
Les tentatives françaises pour conquérir le marché américain
(Auteur : John Gaynard)
Très peu de livres ont été écrits sur les rachats franco-américains ou américano-français. L'un d'eux a été écrit en 1997 par Guillaume Franck, professeur de gestion internationale à HEC, probablement l'école de commerce française la plus influente. Il y dresse un bilan, souvent humoristique, des acquisitions françaises aux États-Unis. Le livre devrait être une lecture obligatoire pour toute entreprise française souhaitant acheter aux États-Unis ou pour n'importe quelle compagnie américaine qui souhaiterait acheter en France. Le titre du livre est "A la Conquête du Marché américain" et il est publié par la maison d'édition parisienne « Éditions Odile Jacob ».
Le livre est composé de recherches sérieuses. Il est également riche d'anecdotes : dont l'une d'entre-elles à propos des cadres français, envoyés aux États-Unis par une maison-mère, qui avaient de hautes compétences techniques mais aucune qualité humaine. Les cadres supérieurs américains dont ils dépendaient ont refusé de les mettre à des postes plus élevés que de la gestion usuelle, et ils ont même hésité à leur donner ce type de responsabilité sur leur personnel. Ou bien il cite une autre anecdote à propos de l'étonnement provoqué dans un département français de Ressources Humaines par des managers américains qui ont refusé des postes clé qui leur étaient proposés parce que les contrats n'étaient pas assez détaillés. Un simple contrat d'une page suffit à contenter un cadre français car il est habitué à bénéficier des lois françaises très strictes sur le travail. Or sur le marché du travail américain un travailleur doit se préoccuper de son propre intérêt, et un solide contrat avec la société est la meilleure façon de le faire. Même lorsque les employeurs français se rendaient compte que ces refus de postes pouvaient tous être attribués à des différences de culture, ils se mettaient en colère devant le manque de confiance que leur accordaient les dirigeants américains. En France, tout est basé sur le relationnel privée.
Axa
Un succès notable français fut celui du rachat d'« Equitable Life » par AXA (bien que le magazine Fortune daté du 14 Juillet 2003 suggère qu'AXA pourrait se brûler les doigts à fournir des assurances à Hollywood). Ce fut également un succès qui a délivré son lot d'anecdotes. Claude Bébéar, le président d'AXA de l'époque, a été très vite adopté par les cadres américains qui l'ont accueilli, non seulement comme un chevalier blanc mais aussi comme une personne qui a démontré des compétences pratiques organisationnelles. Bébéar a voulu apporter à ses gestionnaires américains des méthodes qui avaient été couronnées de succès pour lui en France, comme une invitation annuelle à une équipée, sans leurs conjoints, dans un recoin exotique du monde : parfois, le désert du Ténéré, ou d'autre fois l'Ouest de l'Inde ou la Chine.
Culpabilité américain quand il aucun espace pour les conjoints
Cependant, les dirigeants américains se sentaient coupables à l'idée de se promener à travers le monde et de s'amuser à un moment où la société Équitable était dos au mur. Quelques-uns d'entre eux ont refusé l'invitation pour le désert de Gobi, mais ils furent poussés à accepter un voyage pour la Grande Muraille de Chine. Une fois en Chine, le complexe de culpabilité WASP pris le dessus et les gestionnaires américains décidèrent de faire sauter les séances de copinage. Leur idée était que si AXA n'avait pas pris de dispositions pour le travail c'est que ce devait être un oubli de la part de l'un des lieutenants de Claude, mais peu importe ils allaient s'en occuper eux-mêmes. Ils ont donc décidé d'entreprendre une étude sur le marché de l'assurance chinois. Ils ont mis en place des réunions avec des dirigeants chinois et ont parlé des risques et des opportunités tandis que leurs homologues français renforçaient leurs relations avec Bébéar. Bébéar, néanmoins, s'est montré un rapide apprenti. Ce fut l'occasion pour lui de se rendre compte du fait que les gestionnaires américains font des distinctions très fortes entre le travail et les loisirs. Pour eux, si les conjoints avaient été inclus, le signal aurait été donné pour la mise en place d'un événement à caractère social. Mais parce que les conjoints étaient absents, ce voyage aux frais de la princesse devait signifier autre chose, c'est-à-dire du travail. Sur les événements sociaux suivants incluant les gestionnaires américains, Claude Bébéar décida d'y inclure les conjoints.
Accor
Le livre de Franck détaille beaucoup d'autres expériences. L'une de ces réussites est celle d'Accor, la chaîne d'hôtel. A l'origine elle s'est mise dans une mauvaise passe en offrant aux gestionnaires de « Motel 6 », la société qu'elle avait racheté, un beau package d'avantages basés sur le maintien des profits trimestriels et annuels sur une période de trois ans, période au bout de laquelle les gestionnaires de l'époque pourraient quitter la société. Introduisant un thème qui est le fil conducteur du livre, Franck détaille cet exemple de l'« aléa moral" : car les responsables américains de Motel 6 ont immédiatement arrêté de gérer la société dans l'intérêt de l'actionnaire et leur seul but est devenu l'augmentation des profits à court terme pour s'arroser eux-mêmes avec les plus hauts bonus possibles. L’investissement fut stoppé, la maintenance préventive disparut, les chambres ne furent plus redécorées. En fait, dans beaucoup de motels, les chambres n'étaient même plus balayées ou nettoyées. Les clients réguliers ont commencé à préférer dormir dans leurs voitures dans les parkings d'en face plutôt que de dormir dans des chambres infestées de poux et de rats dans un Motel 6 désormais connu comme un repaire de trafiquants de drogue.
Lorsque Accor a réalisé ce qui se passait ils ont envoyé Georges Le Mener pour renverser la situation. Il avait été engagé après n'avoir reçu qu'un faible enseignement professionnel le couronnant d'un simple certificat de gestion d'hôtel. Cependant, il avait par la suite bénéficié du système de formation interne Accor, l'un des meilleurs en France, dont il était sorti avec les honneurs. Comme Guillaume Franck l'écrit dans son livre, Le Mener est arrivé au Motel 6 en ayant confiance en lui, mais sachant peu de choses sur les États-Unis et encore moins sur le marché hôtelier américain. Contre toute attente, il réussit. En faisant un succès de Motel 6, Le Mener fut un lucratif retour sur investissement pour la confiance que les managers senior d'Accor avaient placé en lui. Sans lui Accor n'aurait jamais fait d'autre acquisition aux États-Unis, et grâce à lui ils ont ensuite acheté « Red Roof Inns » pour posséder maintenant plus de 10% du marché hôtelier économique des États-Unis.
Accor envoie ses managers dans un centre de formation situé à l'extérieur de Paris dans lequel le client est roi. La société recrute son personnel en dehors des grandes écoles de l'élite française. Pechiney, d'autre part, utilise son réseau d'anciens au maximum. Pechiney a acheté « American Can » au terme d'une célèbre affaire de corruption et est un parfait exemple de tout ce qui peut aller mal avec le style de gestion à la française. Le Mener ressemblait à n'importe quel gestionnaire américain typique plutôt qu'à tout autre gestionnaire français décrit dans le livre. Beaucoup d'autres dirigeants français mentionnés ont été incapables de fonctionner à 6000 miles de leur réseau de soutien issu d'une "Grande École" et ils ont dû être rapatriés honteusement, car dans un certain nombre de cas leurs subordonnés et collègues américains les percevaient comme étant tellement arrogants qu'ils ne pouvaient simplement pas travailler avec eux.
Les écoles de l'élite française et leurs modifications récentes
La plupart de ces clones inefficaces, suggère Franck, sont malheureusement typiques d'un enseignement élitiste à la française et d'un système d’État qui a plus à voir avec l'ancienne méthode de préparation aux responsabilités des mandarins chinois qu'à une école moderne préparant aux règles des entreprises. Les meilleurs diplômés de ces écoles d'élite, dans lesquelles l'éducation est plus ou moins gratuite, sont une poignée de chanceux destinés à passer leurs vies à servir l’État. Au cours des dix dernières années, toutefois, les bénéficiaires de ce système ont commencé à refuser ce destin les menant droit à une bureaucratie sclérosée et certains ont même préféré rembourser l’État immédiatement après l'obtention de leur diplôme plutôt que d'effectuer leur service minimum de cinq ans dans un abrutissant emploi de haut niveau au service d'un État qui n'a même pas entendu parler de la gestion moderne des ressources humaines. Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre français nommé l'année dernière, est une exception à ce réseau d'écoles vieillottes et a durant longtemps travaillé comme consultant dans le secteur privé. En France, le « qui êtes-vous ?" (le réseau social auquel vous appartenez) est traditionnellement plus important que le « qu'avez-vous fait récemment ? ». Des managers de seconde zone sont protégés par leurs réseaux et déplacé d'un échec "subventionné par l’État" vers un autre, détruisant à chaque étape une grande entité économique (pensez à Bull et au Crédit Lyonnais). Il est encore un peu tôt, mais Raffarin semble avoir l'intention d'améliorer ce mode traditionnel de gestion contrôlée par l’État (j'écris ceci le 04 Juillet 2003).
Réunions
Après les fusions et acquisitions franco-américaines, il faut avouer que gestionnaires français et américains ne se voient que rarement face à face lors de mêmes réunions. Les managers français utilisent les réunions pour bâtir des réseaux avec les autres et essayer de donner du sens à ce qui se passe dans l'environnement politique de l'entreprise. Les gestionnaires américains ou britanniques utilisent généralement des réunions pour décider des plans d'actions, faire des vérifications d'étape et organiser des examens structurés. Selon Franck, beaucoup de gestionnaires américains dans son livre ont perçu les réunions avec leurs collègues français comme des discussions interminables. Les managers français perçoivent leurs collègues américains comme incapables de contrôler leurs allants, comme étant trop impulsifs devant des situations problématiques n'étant pas suffisamment comprises ou encadrées.
La tendance du gestionnaire américain à privilégier la production, en négligeant la recherche et développement.
Dans les cas où les acquisitions françaises ont été un succès, les gestionnaires américains étaient heureux de voir que leurs homologues français étaient prêts à dépenser plus d'argent à la R&D et aux investissements de capitaux que les propriétaires précédents. Avant l'achat, la plupart des usines américaines avaient été administrées presque au jour le jour, et vidées de leurs investissements. Trop souvent, semble-t-il, un gérant américain qui sait qu'il occupera un emploi pour seulement deux ou trois ans aura tendance à éviter les dépenses à long terme. L'argent ainsi « économisé » sera ramené à la production. C'est parce que le gestionnaire sait qu'il ou elle est jugée sur les chiffres du bénéfice trimestriel. Malheureusement, son successeur devra recoller les pots cassés, en ignorant les lois sur la pollution, faire face à des accidents du travail ou à tout autre de ces dangers multiples qui auraient pu être évités par la maintenance préventive.
Cette attitude à court terme pour les investissements est un anathème pour les ingénieurs français et les gestionnaires qui se targuent de mettre en valeur les concepts d'hygiène et de sécurité, d'entretien des usines et de qualité du produit. Ils ont été étonné de voir combien les entreprises américaines acquises ont été gérées de manière à produire énormément dans des usines maintenues ensemble comme avec du ruban adhésif.
La supériorité du gestionnaire américain en marketing et en service clients
Les gestionnaires américains, d'autre part, enterrent les français quand il s'agit de marketing et de service à la clientèle. En France, les managers de ligne n'ont aucun contact avec les clients. Aux États-Unis il semble constamment parler au client, ou bien à son propos. C'est là que les Français savent qu'ils ont le plus à apprendre. Il n'y a que dans l'industrie du luxe que les Français ont la même réputation, la même notoriété, la même influence et aussi un bon système de distribution et de connaissance du besoin client équivalent à celui des Américains.
La comparaison de Franck des styles américains et français de management l'a conduit à la conclusion que les méthodes de gestion américaines s'exportaient mieux à l'étranger que les méthodes françaises. Les entreprises américaines imposent plus ou moins les mêmes cultures d'entreprise et les mêmes structures de reports quantitatifs sur l'ensemble de leurs filiales, et ce quel que soit l'emplacement géographique. Ainsi, une société américaine venant en France pour la première fois sait qu'elle doit apprendre à lire et écrire le français, mais ignore qu'elle doit se transformer en une société avec une culture nationale française et son approche égalitariste entraîne le fait qu'elle a souvent moins de problèmes liés au travail que ses concurrents français nationaux. Les entreprises françaises, d'autre part, ont des cultures d'entreprise qui sont des ramifications des écoles de commerce ou d'ingénieurs particulières, dans lesquelles les managers ont été formés et continuent à recruter. L'idée que se fait la France des relations au travail est politique, conflictuelle et basée sur les classes, et non pas comme dans les entreprises américaines structurée en fonction de l'offre et de la demande.
De nombreuses entreprises françaises sont dirigées par des gestionnaires qui sont sortis d'écoles d'élites, et qui ne se sentent à l'aise qui s'ils peuvent imposer leur système national sur une acquisition à l'étranger. Par conséquent, les entreprises françaises n'ont ni la culture ni un modèle de gestion qui s'insère facilement dans d'autres cultures nationales. Après acquisition, les entreprises françaises tentent souvent d'imposer à la société acquise une élite sur-qualifiée, qui doit son succès à un système éducatif binaire qui élève ou qui exclue. Jusqu'à récemment, cette élite était trop culturellement déterminée pour être exportable et elle a sérieusement commencé à plomber sa compétitivité par son absence de variété sur des marchés en constante évolution. Les entreprises françaises qui ont récemment réalisé des acquisitions réussies aux États-Unis ou au Royaume-Uni ont réussi parce qu'elles ont réalisé, parfois très douloureusement, qu'elles avaient à gérer leurs filiales avec des gestionnaires qui utilisent la manière américaine.
Il n'est pas surprenant que les entreprises françaises qui font aujourd'hui l'acquisition avec succès d'une culture d'expansion, comme Accor et L'Oréal, soient les entreprises qui se révèlent les meilleures à moderniser leur gestion sur leur sol d'origine français.