L’évolution « naturelle » du tissu industriel vue à travers le Médiator de Servier
Valeur d’usage et valeur d’échange : sur la piste du drame qui mine l’activité médicale en France…

Même chez Servier, Médiator n’était jamais qu’un médicament parmi quelques autres. Mais les Laboratoires Servier, de leur côté, que sont-ils parmi les entreprises du médicament à capitaux français ? Que sont-ils dans le cadre de l’évolution du tissu industriel de la France ? Ces questions étaient au cœur de l’analyse que le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, alors placé sous l’autorité de Laurent Fabius, avait appliquée, en juin de l’an 2000, au problème des déremboursements de médicaments. Il s’agissait de préparer la rencontre avec le ministère de l’Emploi et de la Solidarité du 9 juin 2000.
Voici donc sous quel angle Bercy considère ce qui avait d’abord pour but d’obtenir une amélioration des comptes de la Sécurité sociale :
« L’impact [du] premier train de mesures sera concentré sur les laboratoires à capitaux français, de toute taille, dont il affectera la rentabilité. Affaiblissant principalement les laboratoires petits et moyens, il accélérera la concentration du secteur, où plusieurs rachats de laboratoires ont déjà eu lieu – Logeais, Théramex, Doms, Adrian, Bouchara. Cette évolution du tissu industriel est naturelle, du fait du niveau très élevé des tickets d’entrée et de maintien sur le marché pharmaceutique. »
Bien sûr – mais ce n’est pas un reproche qu’on puisse lui faire –, Servier n’était pas dans les plus petits… Nous avons vu, en effet, que Noël Renaudin, le président du Comité économique des produits de santé (CEPS), le rangeait en bonne place avec Fabre, tandis qu’au-dessus du panier, il y avait Aventis et Sanofi-Synthélabo. Or, on peut imaginer, sans penser à mal, que ces quatre-là ne devaient pas être lésés par le train de mesures qui se préparait, ni par les modalités d’exécution qui le caractériseraient. C’est tout simplement de la belle et bonne politique économique en mode capitaliste de production…
De retour devant la Commission des comptes de la Sécurité sociale seize mois après son précédent discours, Martine Aubry croyait pouvoir affirmer en toute tranquillité :
« À l’issue d’une période transitoire de trois ans (2000, 2001, 2002), les médicaments à SMR [service médical rendu] insuffisant sortiront du remboursement. »
Médiator aussi ?...
Pour commencer, prenons plutôt le cadre général des médicaments à SMR (service médical rendu) insuffisant, et voyons ce qui leur a été infligé en lieu et place du déremboursement d’abord visé, puis dans l’attente d’un déremboursement prévu à échéance de trois ans par ce même Noël Renaudin qui venait s’expliquer devant la mission d’information du Sénat en 2011 :
« J’ai reçu comme orientation de procéder effectivement à des baisses de prix de ces médicaments – ce qu’on m’avait demandé, c’était de faire 20% en trois ans. C’est ce que nous avons fait avec le Comité économique du médicament. »
D’un déremboursement qui ferait glisser les 65% (à la charge de la Sécurité sociale) et les 35% (des assurances complémentaires) à un total général de 0%, nous voici passés à une baisse certaine de 20% du prix de vente des médicaments à SMR (service médical rendu) insuffisant, baisse réalisée en trois ans que la Sécurité sociale et les assurances complémentaires accompagneront patiemment en continuant de rembourser, et en attendant que la grosse affaire des déremboursements se débride enfin par ailleurs.
Quant à notre petit prodige, Noël Renaudin tient à nous rassurer aussitôt :
« S’agissant spécifiquement du Médiator – mais qu’encore une fois nous n’avons pas traité de façon spécifique : il a été traité exactement comme les autres ; nous n’avions pas de raison de faire de traitement spécifique –, il a donc été baissé trois fois : une fois en 2000 de 10%, une fois en 2001 de 7%, et une fois en 2002 – nous avions demandé 5% pour le Médiator et pour un certain nombre d’autres produits de Servier, et Servier, presque seul d’ailleurs dans le paysage, avait refusé la convention que nous lui proposions. Nous avons donc – à l’époque c’était la seule solution – demandé au ministre de prendre un arrêté autoritaire de baisse de prix, ce qui s’est fait. »
Rétif, Servier ? Cela n’est certes pas fait pour nous étonner.
Devant la mission d’information de l’Assemblée Nationale, le 23 février, c’est-à-dire huit jours plus tard, Noël Renaudin devait fournir davantage de détails à propos du comportement du papa de Médiator :
« On lui a demandé la règle commune, qui était trois fois sept. Il se trouve, pour aller tout à fait dans le détail, que, pour arriver à des résultats conventionnels – ce qui était notre souhait, parce que c’est plus simple, ça fait moins de contentieux, etc. –, nous avions donné des marges de manœuvre aux entreprises, et une marge de manœuvre, c’était notamment de répartir les baisses entre leurs produits quand elles en avaient plusieurs. Mais, à l’époque, Servier a préféré baisser plus le Médiator et moins un autre de ses produits, qui était le Daflon. C’est pour ça que la baisse du Médiator a été un peu plus forte que nous n’avions demandé. »
En résumé : pour obtenir un accord, d’abord amiable dans sa mise au point, puis ferme et définitif dans son application, il a été permis à Servier de faire taxer davantage un médicament qui lui rapportait moins (le Médiator) pour pouvoir moins taxer un médicament qui lui rapportait plus. Bravo ! Mais alors, comment se fait-il que Servier ait eu encore le culot, par la suite, de s’exécuter si peu qu’il aura fallu faire prendre contre lui un « arrêté autoritaire de baisse de prix » ?
C’est que la rentabilité des investissements commande directement la mise en circuit des divers médicaments, faisant de notre santé la captive des grands intérêts.
Pour d’autres développements sur cette thématique, je renvoie à mon blog :
http://unesanteauxmainsdugrandcapital.hautetfort.com
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