L’exemple d’Albert Camus : Considérations sur le blabla perpétuel
« En politique, parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir. » C’est ce que disait Pierre Dac, mais ça ne vaut pas seulement en politique…
Il se trouve que je tiens depuis quelques années une chronique régulière sur une petite chaîne de radio associative. On me la demandait au rythme d’une par semaine, mais j’ai préféré une toutes les deux semaines. Non parce que je serais incapable de « pondre » quelque chose toutes les semaines : ma chère épouse sait que je suis intarissable dès qu’il y a des infos à la radio ou à la télé et elle en a un peu marre de mes talk shows domestiques : elle n’a pas tort. Au moins ne suis-je pas grassement payé pour venir à la télé déblatérer sur tous les sujets d’actualité auxquels je ne connais rien ou pas grand-chose. J’embête mon entourage gratuitement (d’ailleurs, même mes chroniques radio ne sont pas rétribuées…).
Une chose est de discourir ; une autre est de discourir de manière consistante et, si possible, utile. Je ne dis pas que j’y réussis, mais je m’y efforce. Et sur AgoraVox, j’aime bien susciter des réactions constructives et un minimum pensées, et engager des dialogues intéressants avec des gens qui ne sont pas forcément d’accord avec moi.
Le temps de réfléchir
Récemment, le Magazine littéraire a sorti un numéro spécial Camus, alors qu’approchent les 60 ans de sa disparition, le 4 janvier 1960. Et j’y ai trouvé cette citation de mon auteur préféré, citation que je ne connaissais pas :
« Il vaut mieux que l’intellectuel ne parle pas tout le temps. Ça le fatiguerait d’abord, et surtout ça l’empêcherait de réfléchir. »
On reconnaît bien la subtile ironie de Camus, et aussi sa probité de journaliste, d’écrivain et de penseur. Par exemple, sur l’Algérie, après avoir écrit et dit tout ce qu’il pouvait (en prenant même des risques pour sa sécurité), arriva un moment où il préféra se taire. Son œuvre, assez considérable quand on pense qu’elle a été écrite en une petite vingtaine d’années, n’est pas si immense en volume. Cet homme écrivait avec concision, et sa parole porte d’autant plus : plus d’un demi-siècle après son départ, elle retentit avec des accents véritablement prophétiques qui n’ont guère d’équivalent (sinon, sur un registre différent, le protestant Jacques Ellul). Parler peu, écrire peu, mais le faire avec densité, telle devrait être la ligne de conduite de nos gens de médias. Seuls survivront ceux qui se seront imposé cette ascèse. Non aux blabla men ou aux blabla women.
Nous vivons une époque de plus en plus troublée. Né juste avant la guerre de 1914 où son père fut immédiatement tué, jeune adulte pendant la Deuxième Guerre mondiale où il participa, à sa façon, à la Résistance, puis plongé au cœur de la tourmente algérienne, Camus traversa des époques au regard desquelles la nôtre, tout au moins en France, est relativement paisible (jusqu’à quand ? nous le saurons bientôt).
Trop de médias, trop de bêtise
On peut avoir des opinions sur tout ; mais ça ne fait pas une compétence sur tout. Le problème, c’est que nous avons des moyens techniques de bavarder vite, de manière irréfléchie, et à échelle immédiatement mondiale, l’exemple-type étant les tweets irresponsables de l’individu actuellement en poste à la Maison Blanche. On frémit en pensant à ce qui serait advenu si Hitler avait eu comme relais autre chose que la radio de Goebbels.
Qu’il s’agisse des politiciens, des intellectuels ou de Monsieur ou Madame Toutlemonde, la vertu à cultiver est de savoir fermer sa gueule de temps en temps. Ou de la fermer avant de l’ouvrir, selon la bonne maxime de Pierre Dac. À cet égard, l’emballement médiatique autour de la capture supposée de Dupont de Ligonnès s’est mué en tragi-comédie, pour la plus grande honte de plusieurs grands médias. Mais soyons certains qu’on n’en tirera pas les leçons puisque la concurrence de l’info et la rapidité des moyens de communication pousse chacun à se placer et à faire de la surenchère.
Pour terminer, je signale la récente parution d’un livre peut-être intéressant qui replace Camus à l’échelle de l’éternité : Camus face à Dieu (éditions Excelsis). Car, étrangement, cet incroyant visait aussi haut que le ciel. Il savait prendre de la hauteur, ce pour quoi, comme le dit le Magazine littéraire, « Camus n’est plus un objet de débat, il est une boussole. » On verra, dans quelques décennies, lesquels de nos chroniqueurs sur papier ou sur les ondes parviendra à atteindre une stature comparable en 2079…
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