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Accueil du site > Tribune Libre > « L’expert », comme remède-miracle au discrédit des médias officiels (...)

« L’expert », comme remède-miracle au discrédit des médias officiels ?

 C’est devenu un refrain. Il est désormais entendu que les individus qui s’expriment dans les médias officiels ne peuvent qu’ appartenir à l’élite des « experts » ou des « spécialistes ». La radio France Culture se distingue tout particulièrement dans l’exercice. Une de ses émissions du samedi matin entre 11 et 12 h, « L’économie en questions  », ne manque jamais de signaler à ses auditeurs que ce sont des « experts » qui s’apprêtent à débattre et leurs titres supposés prestigieux sont déclinés pour le prouver : ils sont professeurs d’économie en université et grande école ou banquiers.

Sur le site de la station, on peut lire par exemple cette présentation : « Chaque samedi de 11h à 12h, quatre économistes, professeurs d'économie et/ou chercheurs parmi les plus reconnus, viennent débattre autour de Dominique Rousset des sujets qui ont fait l'actualité économique de la semaine, en France et dans le monde. (…) Ces tables rondes réunissent ou opposent de façon très régulière Patrick Artus, Nicolas Baverez, Elise Huillery, Philippe Martin, Jacques Mistral, Olivier Pastré, Dominique Plihon, Xavier Timbeau, David Thesmar. » L’auditeur n’a plus qu’à se prosterner pour entendre leurs oracles.

Des experts sans titres

Ainsi suffit-il d’être professeur d’université ou banquier pour être baptisé d’office « expert » par une radio de service public. Pourtant de quelle expertise ces drôles peuvent-ils se prévaloir ?

1- Qui ignore que pour être maître de conférence puis professeur d’université, il faut surtout être un docile répétiteur de la « doxa », cette opinion et ce savoir communément admis par ses pairs qui vous ont recruté. Toute hétérodoxie écarte l’impétrant. C’est ainsi que les erreurs professées par le milieu universitaire sont des vérités que nul ne saurait contester sous peine de bannissement. C’est cette consanguinité qui fabrique le savoir scolastique stérile.

2- Quant aux banquiers, peuvent-ils se prévaloir d’une autre expertise que de celle qui leur permet de leurrer leurs clients pour en retirer le maximum de profit. On n’aura pas la cruauté de dresser l’inventaire des malversations bancaires. Chacun est à même de le faire.

L’engeance des économistes libéralistes

Le cercle des économistes libéralistes forme, d’autre part, un groupe particulièrement curieux. Est-il engeance plus bizarre que ces gens qui jonglent avec des statistiques dont la validité n’est pas assurée, comme l’ont montré celles d’entreprises sombrant dans la faillite comme Enron en 2001 ou de pays comme la Grèce, et qui profèrent des analyses et des prévisions avec le toupet de pontifes inspirés ? Qu’ils se trompent assez systématiquement ne paraît nullement entamer leur crédit, du moins à leurs yeux. La faillite des « crédits hypothécaires » dits « subprimes » et la crise financière mondiale qu’elle a enclenchée à travers le monde, restera comme un bel exemple de l’aveuglement de ces Diafoirus et Trissotins qui n’en continuent pas moins de pérorer sur les antennes. Parmi ces supposés « experts », il en est deux savoureux qui se sont particulièrement distingués et qu’a épinglés cruellement Frédéric Lordon dans son livre « La crise de trop  » (1).

- Le premier est Nicolas Baverez qui ne jurait que par le libéralisme le plus échevelé. « Le capitalisme mondialisé est entré en crise  », reconnaît-il toutefois en octobre 2008 dans Marianne, (…) L’autorégulation des marchés est un mythe  » (2). Or, quatre jours plus tard dans Le Monde, il affirme avec aplomb que « le libéralisme est le remède à la crise  » (3). Ainsi l’absence de régulation des marchés est-elle à la fois la cause de la crise et son remède : « Comprenne qui pourra ! » soupire, accablé, F. Lordon devant tant de crétinisme.

- Le second économiste, David Thesmar, élu par ses pairs meilleur jeune économiste de France en 2007, est tout aussi clairvoyant au cours de l’été 2007 : « Le mégakrach n’aura pas lieu.  » est le titre d’un de ses articles cosigné par un autre collègue dans Les Échos : « Le danger d’une explosion financière, explique-t-il, et donc le besoin de régulation n’est donc pas si grand qu’on le pense !  » (4). Et le 10 octobre 2008, quand la crise a éclaté et qu’une journaliste du Monde lui demande si « le marché n’est pas quand même un peu méchant  », il répond que « le marché n’est pas méchant, il est imparfait  ».

Un démenti de son expertise par l’expert lui-même

Samedi 19 novembre 2011, l’animatrice Dominique Rousset en a même rajouté en matière d’expertise, au début de son émission : « Nouvelle édition de « L’économie en questions » comme chaque samedi matin, a-t-elle commencé en parlant d’elle à la troisième personne, Dominique Rousset en compagnie de cinq experts pour leur demander de commenter l’actualité économique de la semaine (…) Premier sujet : la situation économique en Italie au lendemain de la formation du gouvernement Monti. Pas même un gouvernement politico-technique comme l’avait laissé entendre le président Giorgio Napolitano en début de semaine, mais seulement un gouvernement technique, seulement ou heureusement un gouvernement technique, nous en reparlerons, un gouvernement d’experts autour d’un ex-commissaire européen jamais élu qui se réserve pour sa part le ministère de l’économie et des finances. Les élections législatives seront pour plus tard, l’urgence est au redressement et au regain de la confiance pour la troisième économie de la zone euro souvent décrite comme trop grande pour faire faillite : l’Italie fragile et forte sera notre sujet (…) »

On ne saurait mieux démentir en acte ce qu’on affirme en paroles. Est-ce une parole d’expert que celle qui ose présenter le gouvernement de Mario Monti comme un simple « gouvernement technique  », « pas même un gouvernement politico-technique  », mais « un gouvernement d’experts  » ?

- Qui est le nouveau président du conseil italien ? Un technocrate qui en 1995 a exercé comme « commissaire européen au Marché intérieur  », puis en 1999, comme « commissaire européen à la Concurrence  ». Pour finir, en 2005, il est devenu consultant… de la fameuse banque Goldman Sachs, fer de lance de l’ultra-libéralisme mondial ! Peut-on appeler un gouvernement dirigé par un ultra-libéraliste de ce tonneau « un gouvernement technique  » ? Qu’y a-t-il de plus politique que cette idéologie économique qui organise froidement la dévastation des services publics et de la protection sociale de l'Europe en prônant la recherche du profit maximal par délocalisation des entreprises dans les pays où la main d’œuvre est corvéable à merci sans aucun droit social ? On reconnaît le leurre traditionnel de la Droite la plus brutale qui cache ses choix politiques cupides derrière une prétendue neutralité technique. Et que dire de ces « experts » qui, à son service, répandent ce leurre sans broncher ?

Le leurre de l’argument d’autorité

Ce recours prétendu à « l’expert » dans les médias est, en fait, une stratégie pour tenter de retrouver un crédit face aux sites d’information qui les concurrencent sur Internet. Ces derniers sont accusés d’être alimentés par des amateurs ignorants tandis que les médias offiels le seraient par des professionnels avisés et des « experts ». La ficelle est un peu grosse. On reconnaît le leurre de l’argument d’autorité, mieux nommé leurre d’appel autoritarien, depuis que Stanley Milgram a qualifié d’ « autoritarien celui qui ne trouve son équilibre que dans une adhésion aveugle à l’autorité  ». Il s’agit donc d’afficher une autorité usurpée pour tenter de stimuler un réflexe de soumission aveugle à l’autorité. Le problème est qu’il ne suffit pas de se présenter comme « un expert » pour que sa parole devienne crédible par miracle. C’est à l’épreuve de l’expérience que la pertinence d’une analyse se mesure. Or, le moins qu’on puisse dire est que les experts que les médias officiels mettent en avant, se sont le plus souvent discrédités. Quel crédit dès lors les médias pensent-ils donc en retirer, sinon un discrédit encore plus abyssal ? Paul Villach

(1) Frédéric Lordon, « La crise de trop  », Éditions Fayard, 2009.

(2) Marianne, 4-10 octobre 2008.

(3) Le Monde, 14 octobre 2008 ;

(4) Augustin Landier, David Thesmar, « Le Mégakrach n’aura pas lieu. », Les Échos, 27 juillet 2007.


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6 réactions à cet article    


  • volpa volpa 21 novembre 2011 11:05

    Bravo pour l’article.J’ai particulièrement aimé ceci.

    Qui ignore que pour être maître de conférence puis professeur d’université, il faut surtout être un docile répétiteur de la « doxa », cette opinion et ce savoir communément admis par ses pairs qui vous ont recruté. Toute hétérodoxie écarte l’impétrant. C’est ainsi que les erreurs professées par le milieu universitaire sont des vérités que nul ne saurait contester sous peine de bannissement. C’est cette consanguinité qui fabrique le savoir scolastique stérile.


    • easy easy 21 novembre 2011 12:02

      Je suis d’accord avec ce que vous dites ici.
      Et je trouve utile de le dire.

      Mais il me semble qu’en toute chose d’expression, s’il est bon de dire les leurres, il est meilleur de dire les vérités.

      Par exemple, lorsque vous changez d’encre pour passer à une plus bleue pour nous raconter le Daphné Apollon de Le Bernin, vous piédestalisez la performance de sculpteur. Bien qu’une telle performance implique un esprit très idéaliste, son auteur, Le Bernin, visait par cette performance à exposer au public, à faire autorité selon le Système alors en vigueur.
      Certes, son résultat était et reste encore si éblouissant que son autorité ressort alors comme fondée.
      Fondée dans ce genre sculptural tout en dentellerie de marbre
      Mais invalide face à un Calder ou Boterro.

      Beaucoup, beaucoup trop de choses ont reposé sur des autorités nées de performances concrètes, par la sulpture, la peinture, la musique, l’architecture, la thèse, la rhétorique, le sport, la fortune, les conquêtes...toutes attendues dans un Système. Et vous les soutenez en tout systémisme. Aussi bien quand vous soulignez l’allégeance au Pouvoir des sculptures de l’Arc de triomphe du Carrousel que quand vous pleurez devant l’oeuvre de Le Bernin.


      Or face à ces performances réalisées dans le seul but de faire systématiquement autorité, il a existé un autre type de performance beaucoup plus intériorisée et en aucun cas marchande ou systémique.

      Il s’agit des performances involontaires, nées de l’amitié, de la fidélité, de l’honnêteté, de l’éthique et de l’amour. On peut retrouver cet ensemble de valeurs rien que dans une relation avec une seule personne.

      Daphné, Apollon, c’est un mythe, Ulysse et Pénélope aussi, passons.

      Mais Héloïse et Abélard, Julien et Marguerite de Ravalet sont des cas réels où l’on peut voir une personne qui, au lieu de renier son amour interdit, préfère l’affirmer et en être alors tuée (Marguerite de Ravalet, n’ayant jamais failli alors que son frère avait renié)

      Dans d’autres domaines, il y a par exemple Thomas More, William Wilberforce, Gladys Aylward, Norman Bethune, Jeanne d’Arc, le Chevalier de la Barre, Marguerite Duras, Nelson Mandela, Gabrielle Russier, Ferdinand Cheval, Diogène de Sinope, Hypathie qui sont des gens ayant été extrêmement honnêtes, qui n’ont jamais cherché à se construire une autorité par leur performance dans un Système établi et dont nous devrions davantage parler au lieu de parler des Lully, Le Vau et autres Palladio.


      Plus massivement, il y avait aussi le cas des Croisés.
      Au-delà du sang versé que ce mouvement a engendré, il nous faut tout de même remarquer qu’il y avait là des milliers de personnes disposées à laisser en plan ou à la ruine leurs affaires immanentes et domestiques à seule fin de délivrer quelque vieux tombeau sacré. Chacun de ces volontaires, qu’on peut traiter de superstitieux, était disposé à sacrifier sa vie pour le seul objectif d’entrer en relation privilégiée et principale avec le compartiment métaphysique de son âme (compartiment que ces croyants plaçaient en Ciel alors qu’il était en eux).




      • derek2801 23 novembre 2011 00:36

        sauf que le concept de performances involontaires n’existe pas... 
        en effet , l’amitié, de la fidélité, de l’honnêteté, de l’éthique et l’amour sont toujours liée a l’affect de l’individu . 
        et pour les croisés , je suis pas sur que tu te rende compte de la autorité morale et spirituelle de l’épiscopat romain avait sur les petites gens au moyen-age !


      • Constant danslayreur 21 novembre 2011 12:29

        « Ce recours prétendu à « l’expert » dans les médias est, en fait, une stratégie pour tenter de retrouver un crédit face aux sites d’information qui les concurrencent sur Internet. Ces derniers sont accusés d’être alimentés par des amateurs ignorants  »

        Amateur oui, mais je n’irais pas jusqu’à vous traiter d’ignorant, non vous êtes juste ce que vous êtes, à savoir un ancien prof de lycée à la retraite, qui dissimule mal une certaine aigreur dès qu’il est question d’enseignants universitaires … entre autres.

        Un peu comme Mamadou, pompier volontaire rémunéré et néanmoins joueur de foot à ses heures perdues en division d’honneur du Burkina Faso, qui se moquerait de Zidane et des pros du Real de la belle époque.

        Moi je dis comme ça, que c’est son droit au Mamadou et qu’il ne faut pas compter sur moi pour aller user de l’argument d’autorité satanique (l’argument pas l’autre), consistant à essayer de le convaincre que Zidane et Messi seraient des experts.


        • Constant danslayreur 21 novembre 2011 12:32

          Pu... même pas eu le temps de me relire que j’étais déjà moinssé, mais ça grouille d’experts par ici ma parole, normal c’est les sites mi-toi mi-moi mi-ego toyens.


        • Constant danslayreur 21 novembre 2011 12:58

          Ok je vais la refaire

          Excellent article et PV a raison comme d’hab,

          Les experts que « on » peut aligner valent largement ceux des médias discrédités-disgraciés-disqualifiés-dyspnéiques et toussoteux

          PV aux leurres
          Morice aux feuilletons
          Amaury Watremez à la censure au repliement et à l’analyse de la société parisienne, un pari par ci, un pari par là
          Bernard Dugué à on ne sait pas encore quoi au juste
          Lorelei à l’exégèse
          Thierry Jacob à la politique étrangère
          Frédéric Lyon à l’économie
          Emile M. aux mythes auto-mités
          Catherine Ségurane à l’intégration et à l’embauche dans la narine nationale
          P@py à l’auto-congratulation
          Papy aux gentils
          Un paquet de gus aux vilains
          Non660 à l’humour...

          Sacré équipe d’experts en effet, les médias pros n’ont aucune chance
           

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