L’exploitation illégale des médecins français et belges doit cesser. Immédiatement
L'ordinaire des médecins en spécialisation, tant en France ("internes") qu'en Belgique ("PGs"), est fait de 50 à 100 heures de travail par semaine. En ce compris des gardes de 24 heures d'affilée. Il n'est pas rare que certains atteignent parfois les 120 heures de travail sur une semaine. Tant en France qu'en Belgique. Le quotidien des médecins spécialisés (en ce compris la spécialisation de médecine générale) exerçant dans les CHU publics est similaire si l'on y inclus les gardes sur place et les gardes appelables (considérées comme du "non travail" et de ce fait non comptées et non payées en Belgique). Tout cela pour un salaire horaire compris entre 5 et 12 euros nets.
Ceci n'a que trop duré.
Il faut le dire avec force : oui, la qualité des soins est mise en danger par les horaires imposés aux médecins candidats spécialistes assurant les urgences et la prise en charge des hospitalisations. On ne peut prester plus de cent heures de travail par semaine dont plusieurs gardes de vingt-quatre heures d'affilée et en sortir indemne. D'autant plus que la charge de travail horaire individuelle a crû de façon exponentielle ces dernières décennies. Le lénifiant et habituel "on a toujours fait comme ça" est aussi fallacieux qu'hypocrite. Les réalités passées ne sont pas comparables à nos réalités présentes. Le résultat est là : une agressivité de plus en plus palpable à l'égard des patients, un taux de suicide plus important que dans la population générale, une multiplication des erreurs et fautes médicales. Ces conditions de travail dignes du XIXème siècle et imposées en toute illégalité sont l'héritage du conservatisme de la profession, du mythe du médecin "superman" et, surtout, d'un pouvoir politique se réduisant à un comptable. Elles n'ont plus de justification.
Quel médecin n'a pas commis ou assisté à des erreurs ou des fautes médicales durant sa spécialisation du fait de médecins de garde exténués ? Quel médecin n'a pas eu de collègue de promotion qui ne se soit suicidé ? Outre les suicides durant ma formation, rien que cette année j'ai déjà appris le suicide de deux collègues de mon réseau de CHU. Appris "par hasard". Par le "bouche à oreille". Car aucun suicide ne nous a jamais été communiqué par nos autorités facultaires ou nos directions de CHU. Pas un. Pas un mot. Les burn out ne se comptent quant à eux plus. Quel médecin n'a pas vu un de ses collègues errer hagard dans les couloirs ? Quel médecin n'a pas vu un PG / interne pleurer sans raison en fin de journée ou au cours d'une garde ?
Les médecins comptent leurs morts. Les familles des patients devraient compter les leurs.
Il est actuellement difficile d'objectiver le phénomène tant les études sont manquantes dans nos pays, à l'inverse des pays anglo-saxons. Il semble que si les médecins étudient et traitent sans relâche le mal être de la population générale, peu d'intérêt soit porté quant au leur dans nos pays. Les rares données disponibles sont cependant alarmantes. La large enquête de l'AMNEF française, mêlant sur près de 22.000 répondants étudiants en médecine (deux tiers des répondants) et médecins en spécialisation (un tiers des répondants), pointe un taux de troubles anxieux de 66% (près du triple de la population générale), un taux de troubles dépressifs de 28% (également près du triple de la population générale) et un taux d'idéations suicidaires de 24% (également près du triple de la population générale) et un taux de tentative de suicide concrétisée de 4%. (1) Une enquête du Conseil de l'Ordre français évalue le suicide chez les médecins en exercice, tous âges confondus, comme étant la cause de 8% des décès (le double de la population générale). (2) Aucune donnée signifiante ne semble être disponible pour la Belgique.
Ceci n'a que trop duré. Ceci est insupportable.
Quel patient imagine que son médecin le soigne dans de telles conditions ?
Il faut le dire avec force : non, les médecins n'ont pas à assumer le maintien d'un consensus social au nom de restrictions budgétaires absurdes. Pas à ce prix. Pas pendant que les mandataires publics dirigeant leurs CHU gagnent 10 à 20 fois leur salaire horaire. Pas pendant que ces mêmes mandataires vont parfois jusqu'à les insulter publiquement en les traitant de "fainéants" et de "voleurs" ne pensant qu'à leurs "rémunérations" devant "être mis au pas" comme l'a fait le chef de cabinet bruxellois faisant office de "commissaire" au réseau IRIS.
La législation européenne impose un maximum de 48 heures de travail par semaine en moyenne pour tout travailleur de l'Union. (3) La jurisprudence de la Cour de Justice Européenne impose de considérer les gardes appelables comme du temps de travail. (4) et (5) Ceci n'est pas discutable. Ceci est le droit.
Par cette pétition nous ne réclamons aucun privilège pour les médecins. Nous ne revendiquons pas plus une augmentation des salaires. Nous réclamons simplement que le droit du travail relatif aux heures de travail existant leur soit appliqué. Comme pour tout travailleur. Tant pour leur santé que pour celle des patients. Il ne s'agit pas d'une faveur que nous demandons. Il s'agit d'un droit établi. Que vous êtes tenu de faire respecter.
Mettre un terme à cette situation aura bien sûr un coût. Mettre un terme à la pénurie médicale organisée par le biais des numerus clausus et des concours aura un coût. Mais nos pays, au rang des plus riches du monde, ne peuvent en faire l'économie.
Cette pétition sera adressée sous forme de lettre ouverte aux chefs d'Etat et de gouvernement, aux chefs de partis politiques et aux recteurs/ doyens des facultés de médecine d'universités de Belgique et de France ainsi qu'au commissaire européen à la santé et au président de la commission européenne. Elle est actuellement signée par son auteur (Dr Shanan Khairi, MD, médecin belge exerçant dans un CHU public) et 2000 autres personnes (médecins, étudiants en médecine, paramédicaux, citoyens). Vous pouvez la signer sur change.org si vous en rejoignez l'objectif.
(1) ANMEF, Enquête santé mentale des jeunes médecins, ANMEF, Paris, 2018
(2) "Burn out : quand le suicide menace les médecins en formation", dans revue "Le Spécialiste", Bruxelles, 16 février 2018
(3) Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail
(4) Arrêt de la Cour de Justice Européenne du 3 octobre 2000, Directives 89/391/CEE et 93/104/CE, Affaire C-303/98
(5) Arrêt de la Cour de Justice Européenne du 21 février 2018, Renvoi préjudiciel – Directive 2003/88/CE, Affaire C-518/15
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