L’hérésie islamique
Vous croyez que l’islam est une religion ? Vous n’y êtes pas tout à fait : c’est une hérésie chrétienne. Voilà ce que nous rappelle Hilaire Belloc, historien anglais oublié, dans un essai percutant dont une traduction en français vient d’être éditée. (1) Avec elle comme avec toutes les hérésies chrétiennes, qui puisent leur substance dans les inextinguibles tentations de l’âme humaine, l’on n’en a jamais fini. Dès les années 30, Belloc annonçait prophétiquement le réveil musulman.
A vrai dire, « Les Grandes Hérésies » publié en 1938 ne se focalise pas sur l’islam et ne lui consacre qu’un chapitre. Géant les lettres anglaises et militant catholique, l’auteur passe brillamment en revue quatre attaques majeures qui ont failli détruire l’Eglise catholique. Par ordre d’apparition : l’arianisme, l’islam, le catharisme, le protestantisme. L’historien termine par un dernier assaut, le plus radical de tous : « l’attaque moderne ».
Affaibli à l’époque de Belloc, l’islam lui paraissait comme un sujet moins brûlant que les menaces communiste et nazie, et plus globalement « l’attaque moderne » totale contre la civilisation chrétienne. Il en est autrement aujourd’hui. Car, pour achever ce qui reste de cette civilisation, islam et modernité s’affrontent peut-être, mais se conjuguent et se nourrissent mutuellement.
Il faudrait un autre article pour traiter de cette fameuse « attaque moderne ». Disons-en quand même un mot. Il s’agit tout simplement du nihilisme généralisé qui nous pénètre jusqu’à la moëlle des os. Attaque donc, non seulement contre l’Eglise, mais contre l’homme lui-même, comme être vivant, sexué, doué de raison et moral. Il conviendrait de montrer comment sur chacune de ces dimensions, la modernité s’acharne à nier ce qui fait l’humanité de l’homme.
Face cela, l’islam prospère en Occident. L’on comprend que, devant l’effondrement de l’humanisme européen, beaucoup d’âmes à la fois bien nées et ignorantes de la révélation chrétienne, soient attirées par la morale simple et solide, les rituels rassurants, la vie communautaire et la pure transcendance que leur proposent les disciples de Mahomet. En tout cas, je connais quelques garçons de mon entourage qui - voyant se promener dans nos centres-villes des jeunes femmes voilées, élégantes et nobles, et les comparant à d’autres du même âge, jeans déchirés, recouvertes de tatouages, et visages lacérés de piercings - pourraient bien se laisser tenter par l’islam…
Une religion séduisante
Bon. Parlons sérieusement. Qu’est-ce-que l’hérésie islamique, selon Belloc ?
A vrai dire, elle semble ne pas en être une, puisqu’elle est née à l’extérieur de l’Eglise, Mahomet n’ayant pas été baptisé, et qu’elle a fini par apparaître comme une religion à part entière. Mais c’est une hérésie tout de même puisqu’elle satisfait à la définition qu’il en donne : « entreprise de déconstruction d’un corps de doctrine unifié et homogène par la négation d’un élément inséparable de l’ensemble. » (2) Négation d’un élément, jointe à l’affirmation de tout le reste. Autrement dit, l’historien nous rappelle que l’islam, en tant que doctrine religieuse, n’a strictement rien inventé. Il a tout copié sur le christianisme : unité et toute puissance de Dieu, sa bonté, sa providence, son pouvoir créateur à l’origine de toutes choses et son omniscience, l’égalité des hommes devant Dieu, l’immortalité de l’âme humaine, sa responsabilité, son châtiment ou sa récompense après la mort. De plus, Mahomet « ne tarissait pas d’éloges sur Jésus-Christ, comme sur la Sainte Vierge du reste. Au jour du jugement (…), c’est lui qui reviendra pour juger les vivants et les morts. » (3)
Par contre, comme l’arianisme auquel il a porté l’ultime coup en Orient, l’islam nie avec la dernière énergie la divinité du Christ, donc l’Incarnation, et la Trinité. Bref, il reprend tout, sauf l’essentiel. L’islam est une variante, simplifiée à l’extrême, totalement dénaturée, de la foi catholique.
Autre affirmation intéressante : l’islam ne s’est pas imposé uniquement par la contrainte et la force des armes, comme certains le répètent un peu trop facilement aujourd’hui. Il a aussi exercé un attrait sur les peuples d’Asie mineure et d’Afrique gréco-romaine. Pas seulement celui d’une doctrine simple, mais aussi celui d’une réponse à des calamités sociales qui sévissaient dans ces régions : « L’endettement y était endémique ; avec lui le règne de l’argent et de l’usure. L’esclavage était répandu en tout lieu ; la collectivité reposait sur son institution, tout comme la nôtre repose sur l’asservissement salarial ». De plus, les « hommes libres ployaient sous l’impôt impérial » (4) et subissaient la corruption généralisée des juges.
Face à cela, la nouvelle doctrine interdisait l’usure et l’esclavage d’un musulman, et exigeait l’incorruptibilité des juges. Libération des esclaves, suppression des dettes, justice équitable : « partout où l’islam s’est imposé, un vent nouveau de détente et de liberté s’était mis à souffler. » (5)
Bref, la religion musulmane s’est nourrie, et se nourrit encore, des vices des sociétés où elle gagnait, et gagne de nouveau, du terrain.
L’ennemi le plus tenace
Gagne, car il s’agit bien d’un combat. Belloc nous le rappelle, au cas où nous l’aurions oublié : l’islam est bien « l’ennemi le plus tenace et le plus redoutable que notre civilisation ait jamais connu (…) » (6) Depuis l’arrêt de l’avancée arabe entre Tours et Poitiers en 732, jusqu’au sauvetage de Vienne par le roi de Pologne en 1683, en passant par la prise de Byzance par les Turcs 1453 et la victoire inespérée de la flotte chrétienne sur l’armada de la Sublime Porte à Lépante en 1571, c’est un duel à mort toujours recommencé.
Et qui, pour Belloc, n’est pas fini. « Il m’a toujours paru possible, voire probable, dit-il, que l’islam se réveillerait et que nos fils voire nos petits-fils assisteraient à la reprise de cette lutte formidable entre la culture chrétienne et celui qui constitua, plus d’un millénaire durant, son adversaire le plus acharné. » (7) Ce qui est, je trouve, assez bien vu.
Pour mesurer la lucidité de l’auteur, souvenons-nous que lorsqu’il écrivait ces lignes, l’Empire ottoman s’était effondré vingt ans plus tôt, la Turquie devenue une république furieusement laïque, et que les Européens colonisaient presque tout le monde islamique.
C’est que Belloc n’était pas atteint par ce mélange d’arrogance et de naïveté tellement répandu chez les intellectuels progressistes, si souvent confinés dans leurs bibliothèques et leurs dîners en ville. Ce voyageur savait reconnaître la valeur des populations musulmanes : « entretenez-vous avec un étudiant égyptien ou syrien sur n’importe quel sujet philosophique ou scientifique de sa connaissance, et vous constaterez vite qu’il n’a rien à envier à ses camarades européens. » (8) Surtout, il échappait à la foi imbécile au progrès technique, dont l’Occident se fait habituellement une gloriole. Le fait que, à son époque, le monde musulman était en retard technique, ne signait nullement à ses yeux sa faiblesse. Parce que, « en dernière analyse, la force vitale qui sous-tend toute culture est sa philosophie, c’est-à-dire son attitude face au mystère de l’univers. » Et dans ce domaine, Belloc reconnaît que le monde islamique est supérieur à l’Europe, non quant à la vérité bien sûr (il pense que l’islam est une pitoyable erreur), mais quant à la vitalité. Car « le dépérissement d’une religion entraîne la décomposition de la culture correspondante. » Or, il avait bien senti le contraste entre « la force spirituelle qui imprègne encore les masses de Syrie et d’Anatolie, des montagnes d’Afghanistan comme celles d’Arabie » et « la grande désintégration religieuse qui frappe l’Europe. » (9). Sans avoir eu besoin de voir ce qui crève les yeux aujourd’hui : les églises bretonnes vides, la cathédrale d’Amsterdam désaffectée, le vote irlandais pour le droit à l’avortement, et les gentilles dames de ma paroisse qui trouvent que, tout compte fait, « la PMA pour toutes, pourquoi pas ? Faut bien évoluer ».
Dans ce contexte, l’islam refait surface. Comme l’a bien diagnostiqué Michel Houellebecq, il s’engouffre dans le vide spirituel et civilisationnel qui s’ouvre devant lui. Interviewé à propos de son roman Soumission, l’écrivain disait qu’il n’imaginait pas qu’un musulman pieux puisse voter pour un parti qui approuverait le mariage-pour-tous. J’irais plus loin : je doute qu’un musulman sincère puisse accepter que les lois-de-la-république dont on lui rebat les oreilles soir et matin soient supérieures aux lois de Dieu.
D’ailleurs, ce ne devrait pas être davantage concevable de la part d’un catholique, entre nous soit dit.
Notes :
- Hilaire Belloc, Les Grandes Hérésies, Ed. Artège, 2022
- p. 46
- p. 99
- p. 102
- p. 103
- p. 112
- p. 141
- p. 140
- p. 145
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