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L’Histoire à vif...

Comment faire la peau à sa maladie ? En se grattant jusqu'à l'os ou en cessant de la nourrir ? L’écrivain et journaliste espagnol Sergio del Molino consacre à la sienne un livre qui démange. Le roman de sa peau se laisse feuilleter et visiter à la manière d’une « galerie des monstres »...

 

Sergio del Molino a la peau à vif : il souffre d’un psoriasis chronique, dont les démangeaisons l’obligent à se gratter jusqu’au sang. Alors, il interroge sa condition, par un livre hybride, à travers l’histoire de son temps ou de celui d’avant. Il interpelle son sort et scrute les saisons de sa peau, à travers la singularité de l’histoire de célébrités atteintes de cette maladie chronique inflammatoire.

Après tout, penser son corps n’est qu’une autre manière de penser son lien au monde. Son essai inclassable, parti de ce trouble dans la configuration de son corps, brasse loin, bien au-delà de l’épidermique. Il s’ouvre avec Joseph Staline (1878-1953), le maître absolu de l’Union soviétique dont le régime mit au point une « méthodologie d’abattoir industriel », histoire peut-être d’étendre sa dévastation intime au monde sur lequel il avait pouvoir de vie ou de mort – le monde des peaux douces et insouciantes, si ignorantes de leur chance  : « Les avortons à la peau malade veulent transmettre leurs macules, leurs éruptions et leurs lésions à tous les autres. Et puisque les démangeaisons et la honte ne s’effacent pas, même dans les meilleures stations thermales, ils se consolent en infectant l’écorce du monde des mêmes dolences et ravages qui sont les leurs. S’ils parviennent à amasser un pouvoir suffisant, ils porteront la sécheresse, le prurit, le saignement du grattage et la laideur des squames jusqu’au dernier recoin de la terre.  »

Il y eut aussi Vladmir Nabokov (1899-1977), grand illusionniste et mystificateur des lettres, chasseur de papillons à ses heures, qui avait son Amérique dans la peau et le psoriasis comme « couronne d’épines » - sa peau exprimait peut-être son appréhension de tromper son épouse tout en donnant de faux espoirs à sa maîtresse : « Sans psoriasis, le poète charmeur en lui aurait complètement annulé le père de famille qui essayait de subvenir aux besoins des siens dans une Europe impossible  »...

 

Une histoire sans rédemption ?

 

Mais le psoriasis est peut-être «  l’expression épidermique d’un groupe de maladies auto-immunes beaucoup plus profondes  »... La recherche se centre sur « la façon de modifier le système immunologique du patient pour qu’il cesse de s’attaquer à son propre organisme  »...

Ainsi, la chanteuse Cindy Lauper s’est retrouvée jetée sous la lumière des projecteurs avec Girls Just Want to Have Fun, un tube planétaire de l'année 1983 avec Power of Love de Jennifer Rush et bien sûr Thriller de Mickaël Jackson : « Lauper reflète sur sa peau toute la lumière du monde »... Elle y prospéra, à la surface de ce monde, jusqu’au jour où cette « maladie de sorcière » se déclara, sur le tard, alors que «  sa personnalité s’était depuis longtemps diluée dans l’icône pop  ». La voilà changée en « Créature du Marais »... Elle se met aussitôt « à la disposition des sociétés de dermatologie et des collectifs de patients pour mieux diffuser son expérience et ses conseils », comme il se doit dans un parcours réussi en Oxydent...

Le livre de Sergio del Molino, traduit pour la première fois en France, raconte une histoire sans morale ni rédemption, portée par une écriture à fleur de peau - juste celle d’un approfondissement du sensible s’inscrivant dans un réseau de correspondances subtiles, aux confins de ce qui nous apparaît comme si commun...

Si la sentence de la maladie n’est jamais irrévocable, l’homme n’apprend à se connaître qu’en se confrontant à ce qui lui échappe – l’épaisseur d’un corps, révélateur par essence et par excellence, à l’épreuve du réel dans les grandes profondeurs remuant sa surface. S’il arrive que le corps prenne la parole et s’écrive à même la peau, c’est qu’il a besoin, peut-être, d’une histoire vraie, enfin. Histoire de faire lien avec ce qui est – non avec ce qui nous contrefait dans nos reflets. Comme un besoin de renaître jusqu’à faire entrer l’univers dans un livre écrit jusqu'à l'os.

Sergio del Molino, Histoire de ma peau, Seuil, 320 pages, 20 euros


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