L’histoire extraordinaire d’un prisonnier de guerre allemand de 1914 de retour des camps russes
Voici la petite nouvelle extraordinaire et authentique de “l’homme du coin de la rue” qui revint de 7 ans de camps de prisonniers russes de 1914, en ayant fait un périple de l’Allemagne à la Russie, de la Sibérie à la Mongolie puis la Chine pour retrouver l’Europe en bateau pour l’Italie et rentrer chez lui en Bavière en 1925 !

“De toute façon, on n’a jamais pu mettre une clef à cette porte !”
Il était une fois, dans un hameau au bord du Chiemsee (Bavière en Allemagne), cet admirable lac touristique proche de Salzburg situé dans l’Oberbayern, devant les Alpes autrichiennes, une famille tranquille et sans histoire qui vivait un temps de bonheur au son des accordéons et du mondialement célèbre Jodeln qui est le “la-la-la-hi-tou” entonnés par les spécialistes de la corde vocale, de la langue bien souple et du palais sonore.
Les habitants de ce pays passionnés qu’ils sont, par les fêtes, la bonne chair, les bons repas dont les fameuses grillades locales, passaient des jours que nous concevons maintenant comme folkloriques !
C’est tout un univers qu’il serait long à décrire ici mais que les connaisseurs sont ravis retrouver à l’occasion en rêvant devant ces impressionnants paysages verdoyants. Mais, ce n’est pas de poisson dont il sera question dans notre histoire. Or donc, en ce temps là, les événements étaient plongés dans la tornade dévastatrice de la Première Guerre mondiale. Tous les pays s’élançaient “de bon cœur” dans l’autodestruction pour le plus grand porfit des marchands de canons.
Le bonheur, cela va de soi, ne faisant pas bon commerce avec les artilleries, nous ne serons donc pas étonnés de retrouver notre héros, “l’homme du coin de la rue” (car tel est bien son véritable nom en langue locale !), mobilisé contre son gré avec beaucoup d’autres, dans la conquête de l’Empire du Tsar de toutes les Russies, alors qu’il jouissait des avantages des hommes solides de la trentaine vigoureuse et épanouie.
Il dut donc troquer son habit tyrolien composé de la légendaire culotte en peau de vache, pour un vêtement de fantassin nettement plus salissant et bien moins protecteur.
Notre homme s’éloigna donc ainsi de son cher village avec la certitude de n’en point revenir avant longtemps si la chance devait en outre lui sourire. Et les mois passèrent donc. Mais dans de telles circonstances, les nouvelles ne vont pas bien vite elles aussi et les batailles s’enlisent dans ces hivers nordiques. Bref, on fini par perdre la trace de notre brave soldat dans le courant de l’année 1915.
Les rapports militaires notent à la fin de la guerre en Russie (en 1917), que “l’homme du coin de la rue” est porté manquant, disparu au Champ d’Honneur. Cela est d’ailleurs assez ordinaire et la nouvelle transmise très officiellement à sa chère épouse, vous vous en doutez, ne fut pas du tout pour plaire à la présumée veuve.
La famille se retrouva donc assez démunie, sans homme, avec deux garçons encore bien jeunes et un fille de moins de quinze ans à élever. A cela, rien de bien original me direz vous, puisque le nombre de braves types mobilisés à leurs corps défendants et se retrouvant au pied de la hiérarchie militaire avant de servir d’appât comme “chair à canon” pour le plus grand plaisir des seigneurs de la guerre, se comptent par millions d’individus.
D’ailleurs, nous avons de nos jours pu constater une croissance exponentielle dans le monde, pendant les dix décennies qui suivirent, pour ce genre de frein à la condition de l’élévation humaine.
Pour être simple, nous dirons que les massacres de cette époque n’étaient qu’un timide début de ce qui allait se passer pendant tout le vingtième siècle comme le rappelait l’écrivain Alexandre Soljenitsyne quand on le questionnait sur le siècle des lumières (entendez par là, la création et l’instauration des Droits de l’Homme dans la majeure partie des nations et pour quel résultat au final !).
Notre histoire pourrait donc se terminer ici par un plaidoyer contre les stupidités du genre humain et vous en resteriez sûrement sur votre faim, si je ne vous évoquais l’aventure extraordinaire d’un homme au destin peu commun.
Par l’une de ces malicieuses destinées que le Ciel réserve à ceux qui en héritent, “l’homme du coin de la rue”, assurément, un héros de l’histoire serait bien digne de remplacer tous ces crétins de généraux et autres casseroles qui pullulent dans nos dictionnaires du monde dit civilisé. Et je le verrai bien comme héro d’un film à réaliser… si un metteur en scène en avait l’heureuse idée…
En effet, “l’homme du coin de la rue” refit parler de lui plusieurs années après la fin de la guerre, en annonçant son retour dans son village natal. Ridiculisant ainsi au passage tous ceux qui officiellement, avaient annoncés un peu vite son décès prématuré. De fait, “l’homme du coin de la rue”, simple soldat dans les terribles engagements sur le front russe, revint après avoir effectué l’une des plus rocambolesque aventure de son époque.
Mais que s’était-il donc passé au juste depuis sa mobilisation comme fantassin allemand en 1914, sa disparition en 1915 puis sa résurrection au milieu des siens en 1925 ?
Cette histoire me fut contée récemment, par l’un des descendants du fameux arrière-grand-père rescapé de la Grande Guerre. Il me montra à cette occasion un petit livret manuscrit dont s’était servi sa mère pour l’enregistrement sur cassette de l’intégralité du texte ainsi retranscrit en langue contemporaine afin que cette authentique aventure, véritable trésor familial, puisse inspirer les générations suivantes et faciliter leur chemin pour une meilleure humanité. J’ai découvert et admiré ce document en langue germanique locale de l’époque, difficilement traduisible de nos jours par de non érudits…
Écrit à la plume d’encre violette sur les premiers feuillets, puis bleu pour les suivants, ce travail réalisé en une calligraphie soignée et régulière, bien que dense, serrée et petite, où les jambages donnaient aux mots et lettres des allures de précieuseté d’une finesse peu communes, permettait de penser qu’il avait été fait par une personne au psychique solide et stable. Ce qui ne manquait pas de me surprendre au regard du contenu qui aurait pu en déséquilibrer plus d’un au seul énoncé des récits et épisodes des épreuves retranscrites. Quand à les avoir vécues en équilibre et sagesse, en avoir conservé ces récits pigmentés et truculents, voilà qui est proprement remarquable. Ce précieux document aux bords usés par de multiples traces de doigts rugueux, était constitué de différentes feuilles assemblées en cahiers. Sur certaines d’entre-elles, on pouvait aisément voir, la provenance russe du papier grâce à l’encre noire d’une typographie cyrillique d’un livre de comptes de l’administration des camps de l’Empire des Saintes Russies. Ce livret, manuscrit d’une centaine de pages recto-verso, avait été soigneusement recopié par “l’homme du coin de la rue”, dans la pièce de la maison de son village natal, vingt ans avant sa mort, alors qu’il atteignait ses cinquante-cinq ans.
Sa mémoire n’avait pas été trop prise en défaut grâce aux feuilles volantes manuscrites qu’il s’était efforcé de rédiger scrupuleusement à l’époque de ses sept années de captivités dans un camp en Sibérie.
Ses feuilles étaient rassemblées autour d’une petite couverture souple facilement dissimulable dans une poche de son pantalon de bagnard et avaient constitué son journal de bord. En retraçant ses activités quotidiennes au jour le jour, cela lui avait permis de tenir allumé l’espoir, telle une veilleuse, au plus profond de son âme.
Tout en relativisant les épreuves passées, dans l’attente de jours meilleurs, il avait ainsi réussi à se maintenir en vie face à l’adversité de son isolement en domptant au passage sa solitude.
Il n’est pas dans notre intention ici de vous narrer les mésaventures des bagnards des tristement célèbres “Goulags”. D’autres que moi les ont remarquablement décrites en leurs temps, avec courage et ténacité, comme dans “L’archipel du Goulag” du Prix Nobel Alexandre Soljenitsyne, ou encore de quelques autres courageux moins connus (Vladimir Boukovsky…). Je me contenterai donc seulement d’en indiquer les principales péripéties.
Pour résumer, nous dirons, que “l’homme du coin de la rue”, s’il avait bien été blessé en 1915 à l’une de ses jambes par une balle d’un bon calibre, avait cependant réussi à s’extirper de la zone des combats avec d’autres collègues qui le portèrent dans un endroit moins hostile. Tout en le rassurant, ils lui promirent de l’aider. Quoiqu’il arrive, il n’était pas questions pour eux de l’abandonner à l’ennemi. “L’homme du coin de la rue” se reposa donc quelques heures au milieu de ses camarades avant de s’assoupir dans le froid glacial et de perdre connaissance.
Après une bonne sieste, quelle ne fut pas sa surprise d’être réveillé encerclé de soldats. Pourtant, il se senti très seul. Le froid était intense, la neige avait recouvert la plaine. Le son était comme étouffé. Les fusils pointaient son corps handicapé par le gel et cette vilaine blessure. Les voix n’étaient assurément pas énoncés dans sa langue maternelle. Elles criaient des ordres qui étaient tout ce qu’il y avait de plus cosaques ! “Volatilisés, les amis de gloire et d’infortune qui ne devaient pas m’abandonner, nulle présence d’eux, mon heure avait sonnée, j’étais devant l’instant que tout homme repousse et redoute avant le passage dans un autre monde”, devait écrire plus tard dans ses mémoires “l’homme du coin de la rue”.
Pourtant, contrairement à son appréhension, son heure n’avait toujours pas sonnée. “L’homme du coin de la rue” devait être dans un bien piètre état pour que ses ennemis n’en finissent pas avec lui. En fait, les positions allemandes ayant été enfoncées de plusieurs kilomètres. C’est ce qui explique qu’une certaine déroute avait paradoxalement sauvé notre invalide devenu prisonnier. Après des soins sommaires, il fut embarqué avec d’autres dans les wagons d’un train en partance pour la Sibérie. (Que ceux qui auraient lus ou vus l’œuvre et le célèbre film “Le docteur Jivago”, se rappellent certaines scènes de déportations par trains derrière l’Oural.)
Or donc, notre “homme du coin de la rue” se retrouve dans un camp au sud-ouest du lac Baïkal, cet immense lac long de 640 km, large de 80 km et profond de 1741 m situé au pied des montagnes de Mongolie. Dans les livres : “Michel Strogof” et “Le monde en 80 jours” de Jules Verne, on peut revivre les humeurs des tempêtes et les inconvénients des climats hostiles de cette région. Le lac Baïkal est en fait une véritable mer intérieure.
“L’homme du coin de la rue” y passera là sept années de détention, parmi toute une faune d’autres condamnés en tous genres, sans aucune chance d’en sortir vivant. Sur place, la survie s’organise quotidiennement par la recherche de ressources minimum avec un acharnement constant. En effet, il fallait préserver l’espoir, en évitant le pire que serait l’abandon à son triste sort. Et les années passent. Elles seront longues, très longues. Pourtant “l’homme du coin de la rue” sentira à une époque, que la chance pourrait bien revenir et croiser à nouveau son chemin. Aussi est-il prudent. Inutile de gâcher ses maigres chances le moment venu. Il convient d’être patient et d’attendre.
De fait, après l’armistice du 15 décembre 1917, suivi du traité de Brest-Litowsk de mars 1918, la Russie, amputée d’une partie de son territoire au profit de l’envahisseur allemand, entre dans la guerre civile qui durera jusqu’en 1921 par la consolidation du pouvoir bolchevik. Plusieurs années de massacres épouvantables sur tout le territoire sont à déplorer entre les “Blancs” et les “Rouges”. C’est le cahot le plus total. On finit alors par ne plus savoir à qui se fier d’un jour à l’autre. L’on ne sait plus non plus ce qu’il convient de faire dans les administrations, fussent-elles pénitentiaires de Sibérie et anciennement tsaristes. Il y a donc comme un vent de relâche, que “l’homme du coin de la rue” espère exploiter le moment venu. Le dénuement n’est pas le seul fait des prisonniers. Aussi, les fonctionnaires sont-ils moins regardant sur les petits trafics. On demande même aux prisonniers de menus travaux nécessaires et urgents contre une rétribution dérisoire. Même minime, ce petit revenu peut être précieux. Aussi, “l’homme du coin de la rue” qui connaît bien les métiers du bâtiment, dont la maçonnerie, espère-t-il améliorer son ordinaire.
De plus, lorsque l’on a décidé de s’échapper de se mouroir sibérien il convient de ne pas négliger ce genre d’occasion. C’est ainsi que “l’homme du coin de la rue” amasse quelques économies et cherche une cachette.
Inutile de camoufler ce petit pécule dans les toilettes des prisonniers. Cet endroit est bien trop visité par les détenus qui y cherchent déjà des trésors comme des canifs, limes à ongles et autres ustensiles.
En outre, les surveillants font de fréquentes inspections dans ce lieu. Après avoir pensé à d’autres caches, il tente un coup de poker et se confie à un vieillard juif voisin du camp qui vend des produits de première nécessité aux gardiens. “L’homme du coin de la rue” dépose donc à ce loyal commerçant, qu’il a appris à apprécier, ses piécettes tout au long de ses années de détention. De plus, il n’a pas beaucoup de choix.
Pendant ce temps-là, la situation politique et militaire continue de se dégrader et l’actualité devient de plus en plus confuse.
Un jour, après plusieurs mois de longs préparatifs, “l’homme du coin de la rue” réussit à s’évanouir dans la nature, après avoir préalablement récupéré (à son grand étonnement !) son pécule auprès du vieil homme qui lui avait intégralement rendu toutes ses économies.
Il ne semble pas utile de romancer les péripéties d’une telle évasion mouvementée. Elle sera peut-être ultérieurement décrite quand l’opportunité s’en fera sentir. Contentons-nous donc de savoir que dans cette région, des Chamans locaux se produisent dans les villages et revêtent des masques très impressionnants de divinités d’origine bouddhiste. Leur mode d’expression musical est d’ailleurs assez particulier. Des sons gutturaux sortis des profondeurs de la gorge s’expriment en monosyllabes émouvantes. À cette époque, le Tsam, rite bouddhiste dansé avec des masques, chants et musique n’a pas encore disparu. Il le deviendra avec les répressions staliniennes. Le Tsam apparu au Tibet, qui était pratiqué en Mongolie depuis 1811, vivait donc ses dernières années de grâce dans cette région de Sibérie.
Notre “homme du coin de la rue”, attiré qu’il est par toutes ces particularités musicales, en vient à sympathiser au point de se fondre, un jour, parmi les membres de ces participants déguisés en divinités magiques, fantastiques et jeteuses de sorts…
Bien que traqué, le fuyard est sûr de ne pas être poursuivis outre mesure par ses geôliers, trop occupés qu’ils sont par leur révolution bolchévique. La fuite pourrait faire l’objet de nombreux chapitres, mais ce n’est pas non plus notre propos. Nous nous contenterons de mentionner brièvement qu’une fois passé la frontière sous l’aspect d’un Chaman, “l’homme du coin de la rue” traverse la Mongolie avec une caravane de marchands, avant de rejoindre le plus proche port chinois où accostent les navires occidentaux. Il peut alors s’embarquer dans un bateau d’une compagnie occidentale qui le dépose quelques mois plus tard en Italie.
Une fois le pied posé de nouveau sur le sol européen, “l’homme du coin de la rue” expédie alors à son épouse une lettre l’avertissant de son arrivée la semaine suivante, par le train du matin, à la gare la plus proche de son village.
De l’ahurissement, du vertige, de l’étonnement, du délire dans la famille. À cette nouvelle, tout le village se portant au-devant de “l’homme du coin de la rue” après plus d’une décennie d’absence. C’était proprement invraisemblable. À tel point que toutes les autorités étaient présentes pour l’accueil en grande pompe, avec la famille en tête, dont l’épouse, les deux garçons et la fille devenue jeune femme.
Tout le monde s’embrasse et chacun accompagne le héros jusqu’au pas de sa maison qu’il était d’ailleurs bien content de retrouver.
— “Enfin un peu de repos”, pensa notre héros.
Cependant, une surprise l’attendait encore !
— “Mais ! Que se passe-t-il dans ma maison, j’entends comme des bruits d’enfant dans la cuisine !” dit soudain “l’homme du coin de la rue”.
—“C’est que…, je vais t’expliquer…, on avait pensé qu’il valait mieux te le dire ensuite…” intervint son épouse.
— “C’est mon fils et il a trois ans et il était préférable qu’il attende le retour de son grand-père à la maison…”, surenchérit la fille, de “l’homme du coin de la rue”.
— “Eh bien en somme, je vois que l’on ne peut pas mettre une clef à toutes les portes. De toute façon on a jamais pu fabriquer de clé pour cette porte-là… !” répondit “l’homme du coin de la rue”.
Puis, soulevant son petit-fils, il le prit dans ses bras et ils entrèrent dans la demeure ancestrale.
Sniff, sniff, l’histoire est finie !
Petite nouvelle écrite d’après un récit authentique de l’un des descendants du fameux arrière-grand-père de “l’homme du coin de la rue”,
recueilli par votre serviteur,
Pierre Sarramagnan-Souchier, en juin 1997
et que j’ai plaisir à vous partager en 2022, après l’avoir ressorti de mes archives pour l’occasion.
Note :
Il y a même une famille voisine de chez nous dont le père a vécu une histoire similaire pendant la Deuxième Guerre mondiale. Parti d’Allemagne en camion militaire, il est revenu de Sibérie après les hostilités à pied, jusque chez lui… Toute une aventure dirait le marcheur chantonnant… (Ce que plusieurs Alsaciens, les “Malgré nous”, ces oubliés de l’histoire, firent également !)
Un article paru sur Agoravox sur un sujet similaire :
Vive les déserteurs, ces héros d’un monde futur plus serein !
Illustration :
Un vieux Bavarois coiffant le traditionnel trachtenhut, aquarelle de Peter II Kraemer, vers 1910.
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