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2. L’identité des trafiquants : les « circuits courts »

 En 1996, alors que le prix de l’héroïne était autour de 300 francs le gramme d’une pureté de 7-8 %, au sud de la France a été interpellé un jeune kurde qui écoulait le gramme d’une pureté létale (un peu plus de 12 %) à 35 - 40 francs. Inutile de dire que les professionnels (répression-prévention) eurent des sueurs froides, ayant comme première réaction de penser que les prix s’effondraient. A l’époque le binôme Birmanie – Afghânistân surproduisait, la route des Balkans éclatait sous la pression des clans Albano – kosovars, et le Liban, la Colombie et le Mexique (grand producteur de l’entre deux guerres et pendant la guerre) étaient soupçonnés d’être entrés dans le jeu. Il n’en était rien. Le rôle des pays latino-américains et du Liban restait plus que marginal. On n’était pas moins devant un phénomène nouveau et qui, aujourd’hui, a pris de l’ampleur. A l’époque, l’OGD (Observatoire Géopolitique des Drogues) introduisait un nouveau concept pour définir la nature et le sens de ce phénomène : les « circuits courts ».

A ses débuts, il s’agissait de la multiplication de transporteurs individuels (ou appuyés sur des réseaux ethniques rudimentaires) qui, une ou deux fois transportaient au maximum un kilo, de quoi pouvoir créer un capital de survie dans leur nouvelle vie. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque une série de conflits (Caucase, Balkans, Turquie, etc.) avait jeté sur les routes des milliers de réfugiés, tandis que la drogue finançait ces mêmes conflits. (Pour plus d’informations : J.C Ruffin. L’empire et les nouveaux barbares. J.C. Lattès, 1991).

En fait, notre jeune Kurde n’avait aucune idée du prix de l’héro. Il avait acheté son kilo à Istanbul (2000 dollars) et le revendait en doublant sa mise. Le problème (mais ce n’était qu’un début) c’est qu’il y avait des milliers de gens comme lui. J’ai même rencontré un dentiste albanais qui vendait « son kilo » en Allemagne pour installer son cabinet dentaire à Tirana. Les effets de cette « mutation démocratique » se sont tout de suite fait sentir : à la fin des années 1990, les kosovars constituaient la majorité des incarcérés pour trafic de drogue dans les prisons suisses, tout comme les arméniens (de l’Arménie ex - soviétique) des prisons californiennes. 

 La guerre des clans mafieux turcs par partis politiques interposés (et vice-versa), la guerre sale du gouvernement Tciller à l’intérieur et à l’extérieur de la Turquie (Roumanie, Hongrie, Bulgarie, Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie) contre les réseaux kurdes et alevis, avaient déstabilisé l’étanchéité légendaire de la « route des Balkans ». Ils ont ouvert une brèche pour des réseaux balkaniques et caucasiens qui, cependant, se fournissaient toujours en Turquie. (Pour plus d’informations : “L’économie mafieuse en Méditerranée Orientale” in Evaluer la menace terroriste et criminelle, Culture et conflits, Paris, 2002.)

 

Ce système de « trafic individuel » prouvant son efficacité a contribué à une mutation de taille dans les habitudes contrebandières. Les grandes organisations trafiquantes, déstabilisées dans un premier temps, ont repris au début des années 2000 le procédé à leur compte : Au lieu d’acheminer jusqu’au client la marchandise, ils fixèrent des labos et des stocks à la périphérie (Roumanie, Bulgarie, etc.) limitant les risques tout en augmentant (raisonnablement) les prix du demi-gros. 

En ce qui concerne la cocaïne, des causes différentes ont abouti aux mêmes effets. La destruction des deux cartels historiques (Cali et Madelin) la mise en combat des réseau Noriega, allaient de pair avec un processus qui avait commencé pendant les années 1980 : la Colombie étant devenue autosuffisante en production de coca, elle n’avait plus besoin de Pérou et de la Bolivie. Du coût, ces deux pays écoulèrent leur production de manière autonome, faisant du Brésil frontalier leur voie principale. Or, ce dernier utilisa dès le début des années 1990 les pays africains lusophones (Angola, Mozambique, Cap Vert) comme lieu de stockage et de réacheminement. Ces trois pays étaient en guerre, c’était des espaces de non droit, demandeurs de fonds et d’armes, et côtoyaient des pays, eux aussi en guerre mais surtout grands producteurs de diamants. Enfin, le Nigéria pays entropique par excellence et les réseaux mourides des pays du Golfe du Gabon, offraient la main d’œuvre et les voies d’acheminement et de pénétration au sein des pays consommateurs. (Pour plus d’informations : A.G. Camacho : Drogua, corruption y poder. Universidad del Valle, 1981 ; A. Rayes Posada : La violencia y la expancion territorial del narcotrafico, Bogota Ed . Uniandes/CEREC, 1990)

Les réseaux colombiens ont de leur côté utilisé le Mexique comme voie de pénétration par excellence, faisant de ce pays le royaume des cartels mexicains. 

Ainsi, le trafic de cocaïne et d’héroïne, concentré et contrôlé jusque là, a explosé à partir des années 2000, d’autant plus que les nouveaux opérateurs payaient les passeurs en nature : ainsi non seulement les réseaux se sont multipliés à l’infini, mais aussi la consommation a explosé aux lieux de passage (Macédoine, Albanie, Bulgarie, Brésil, Mexique, Caraïbes, Angola, Mozambique, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, etc.). 

En espace de vingt ans il y a eu une continentalisation du processus drogues en l’Amérique Latine et en Afrique ne laissant aucun pays hors circuit.

Les circuits courts on ainsi imprimé leur identité sur les structures mafieuses traditionnelles, tandis que de nouveaux opérateurs, plus liés à l’économie financière et formelle pointaient et que les drogues de synthèse permettaient enfin à des organisations criminelles locales d’installer leurs laboratoires à la porte d’à côté du consommateur… A suivre. 


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6 réactions à cet article    


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 26 mars 2010 11:21

    Bonjour MK,

    " En 1996, alors que le prix de l’héroïne était autour de 300 francs le gramme d’une pureté de 7-8 %, au sud de la France a été interpellé un jeune kurde qui écoulait le gramme, 35 - 40 francs, d’une pureté létale (un peu plus de 12 %) " quand je vous disais hier que nos médias participaient au risque en annonçant un prix au détail pour une marchandise en transit, cad, non encore écoulée, j’omettais que l’on pouvait ajouter qu’ils prenaient aussi les gants des plus gros dealers en choisissant la fourchette la plus haute. Et même s’ils le font pour impressionner les candidats au deal, le caractère internationale et mondial de ces informations locales participent encore plus à encourager les trafics...

    Excusez moi si je me répète, mais pour décourager ces trafics de merde coupée, je prends le parti de déclarer que sur mon balcon pousse un plant qui me coûte O francs/dollars/euros le gramme !

    Information d’une pureté totale à 100 %. L.S.(D) D ne veut pas dire dealer, mais Douce.


    • JahRaph JahRaph 26 mars 2010 13:28

      LSD, comme Lisa Sion Deux ? smiley Je viens juste de comprendre....


    • Ali 26 mars 2010 21:41

      vite, Lisa, donne moi l’adresse de tes chambres d’hôte, je taterai du L S D lol


    • Gueudin 26 mars 2010 18:44

      Excellente série. J’attends le troisième avec impatience.


      • @distance @distance 26 mars 2010 21:51

        Plan d’action drogue de l’Union européenne - 2009-2012
        nouveautés :

        La participation de la société civile à la politique en matière de lutte contre la drogue fait l’objet d’une attention accrue dans le nouveau plan d’action drogue de l’UE. Avec le lancement d’une « Alliance européenne contre la drogue », le plan d’action vise à susciter l’engagement de la société civile européenne sur les problèmes de drogue et à l’inciter à agir dans ce domaine. Le plan d’action appelle également les États membres à associer la société civile à tous les niveaux de mise en œuvre pertinents de la politique de lutte contre la drogue.

        L’accent placé sur la qualité des interventions dans le domaine de la prévention, des traitements, de la réduction des dommages et de la réadaptation a été renforcé dans le cadre d’actions visant à élaborer et à échanger des guides de bonnes pratiques et des normes de qualité ainsi qu’à développer dans l’UE des normes de qualité minimales et des critères de référence dans ces domaines. Les prisons font également l’objet d’une attention accrue au titre de la réduction de la demande de drogue, avec des actions invitant les États membres à mettre en place des services à l’intention des détenus toxicomanes équivalant aux services offerts en dehors des prisons, à assurer un suivi médical après la sortie de prison et, de façon générale, à améliorer la surveillance des problèmes de drogue et l’offre de services aux toxicomanes dans les prisons.

        La plupart des actions concernant la réduction de l’offre visent à améliorer la répression et la coopération judiciaire entre États membres, souvent grâce à un recours accru aux organes, projets et instruments de l’UE. Réduire le détournement et le trafic dans et à travers l’UE des précurseurs de drogues fait l’objet de sept actions, avec une visée principalement opérationnelle.
        Dans le domaine de la coopération internationale, un accent plus important est placé sur le développement de substitution, avec trois actions appelant à intensifier le soutien financier et politique à la mise en oeuvre de ces programmes. L’objectif est également que l’approche équilibrée entre la réduction de la demande et celle de l’offre soit mieux reflétée dans les accords et programmes extérieurs

        Dans le chapitre « Information, recherche et évaluation », une nouvelle action appelle à l’élaboration d’indicateurs clés pour la collecte de données pertinentes sur la criminalité liée à la drogue, les cultures illicites, les marchés de la drogue et les interventions visant à réduire l’offre, et à la définition d’une stratégie pour recueillir ces données. Une attention accrue est également accordée au renforcement de la capacité de recherche dans le domaine de la drogue et à la conduite d’une évaluation de la politique en matière de drogue aux niveaux tant national qu’européen.

        à lire :
        Observatoire européen des drogues et des toxicomanies
        état du phénomène de la drogue en Europe
        http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/oedt2009r.pdf


        • Dr Knock Dr Knock 26 mars 2010 23:33

          Superbe article, comme le premier. Merci

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