L’identité politique de Mélenchon contre l’identité ethnique de Sarkozy
Mélenchon s’est dit prêt à débattre d’identité avec Sarkozy. Certains commentateurs ont vu dans cette proposition de confrontation une adhésion de Mélenchon aux thèses de Sarkozy. S’affronter c’est donc s’entendre ? Au contraire, esquiver le débat ce n’est pas défendre ses idées. Comme d’habitude, Mélenchon est le seul à gauche à monter au charbon.
Une identité de droite historiquement hors-sol.
Dès que Sarkozy a lancé en 2010 son « débat sur l’identité nationale », nombre de français de gauche se sont retrouvés à l’aise dans cette perspective. En effet, l’identité nationale française s’oppose de plein front avec le libéralisme. La droite veut réactiver une identité toute folklorique, couleur sépia, pour occuper les français appauvris et disloqués par le libéralisme. C’est son problème. La gauche trouve l’occasion de réactiver une identité vivante et enracinée, humaniste, révolutionnaire, universaliste, laïque et sociale. Ce débat sur l’identité nationale était donc une bonne opportunité pour relever la force populaire et collective contre les mensonges destructeurs de la droite (et de ses alliés du PS).
Assez rapidement, la droite capitaliste a mis fin elle-même à ce débat. En effet, réveiller l’identité française est un piège pour la droite. Un peu comme de réveiller l’identité chrétienne, qui est amour des ennemis, solidarité avec les pauvres et pacifisme, est un piège pour la réaction catholique. Le folklore français (contrairement à certains autres pays) se prête très mal au conservatisme. C’est un casse-tête depuis toujours pour les conservateurs français. La droite fit donc marche arrière.
En effet, dans la tradition de droite, le folklore identitaire sert à faire oublier la violence de l’ordre social et l’immoralité de l’argent-roi. C’est bien connu. Mais si ce folklore fleure bon la Révolution et le Grand-Soir, alors ça devient un problème. La droite est à la France ce que le Vatican est au christianisme.
Face à l’identité folklorique et livresque de la droite, la gauche oppose une identité vivante et enracinée. A l’origine, le droite défend le veto royal contre la souveraineté du peuple de la gauche. En clair, la droite défend un principe intellectuel contre les dangers (supposés ou réels) d’une manifestation organique. La droite n’est pas enracinée. Elle est dans l’idée. La gauche dans la défense du corps humain.
L’enracinement de droite est une hérésie intellectuelle. « La terre ne ment pas » disent-ils. Mais l’homme n’est pas un végétal ! Il ne s’enracine pas dans le sol, dans les sillons paysans ! L’homme est un animal, il est mobile, et son enracinement est dans son corps. C’est donc le corps populaire qui est la réalité physique et cartésienne du peuple. C’est avec ce corps animal qu’il faut traiter, et non avec l’imaginaire végétal de la droite. Historiquement, l’homme ne fut paysan qu’à partir du néolithique et jusqu’à l’âge industriel. C’est un moment technologique de son histoire. La paysannerie n’est pas la condition naturelle de l’homme, qui est un animal nomade et opportuniste. La paysannerie est aussi naturelle à l’homme préhistorique que la révolution numérique à l’homme contemporain.
La droite marche toujours avec un train de retard. Après avoir freiné des quatre fers, elle a fini par accepter l’idée de nation... pour aussitôt la dévoyer en haine de l’autre et service des intérêts financiers. La nation n’est pas une entité idéale, mais d’abord la somme du collectif des corps humains qui la compose. Les corps vivants du troupeau animal contre le pouvoir intellectuel du berger : la nation est d’abord la manifestation du retour au réel. Elle est la prolongation de la révolution cartésienne qui permit le retour du métaphysique vers le physique, de la théorie vers la pratique, de l’idée vers la vie.
Le « retour de la chronologie » dans l’enseignement de l’histoire à l’école est une autre de ces revendications infantiles de la droite. Le baptême de Clovis, la perruque de louis XIV puis la grandeur de Napoléon. Bref, des mythes aussi réels et appréciables que la moustache de Staline pour les russes. Cette « chronologie » n’est que le digest des manuels scolaires de la 3ème république ! Une histoire de France qui correspondait aux intérêts des classes dominantes à l’époque, fruit d’un compromis bourgeois entre les conservateurs et les progressistes. Mais chacun sait que les « gaulois » eux-mêmes ne furent que les énièmes envahisseurs de ce territoire qui deviendra un jour la France. Dans ce contexte, les gaulois dans le roman national, c’est le « il était une fois il y a très longtemps » des contes de notre enfance. Encore une fois, la droite s’attache à une identité livresque et vaguement adolescente, quand la gauche s’emploie à mettre à la disposition du grand nombre un savoir en phase avec le présent, enrichi des connaissance scientifiques, critiques et historiques que nous avons (nous ne parlons pas ici des histrions corrompus du PS).
Adhésion ethnique ou adhésion politique ? Vers une exégèse de l’identité.
Mais, soyons justes, ce que disait Sarkozy, c’est que les nouveaux migrants doivent adopter le « roman national ». Simplement, il en a encore une lecture fortement réductrice. Sarkozy a tort de s’entourer d’historiens foncièrement conservateurs comme Patrick Buisson. Ils lui donnent une vision très idéologique de l’histoire, et c’est sa faiblesse. Il s’est pris les pieds dans le tapis avec ça en 2010, en 2012, il veut remettre ça pour 2017. S’il gagne la primaire (et donc sûrement le second tour des présidentielles), ce sera le fruit des circonstances politiciennes et sociales, beaucoup plus que de sa « vision historique ».
Mélenchon partage avec lui un point. Quand un migrant arrive quelque part, il doit s’acclimater au peuple, aux moeurs et aux institutions en vigueur. Sans cela c’est l’anarchie, la violence et l’émergence de pouvoirs mafieux (cela s’applique aussi aux investissements économiques). Toute la question est de savoir le contenu de ces institutions et de ces moeurs. L’exégèse de cette « identité ».
Trois camps s’opposent à cette assimilation ou intégration. Le libéraux (centre droit et centre gauche), qui pensent que l’argent fonde la société et que les coutumes, les folklores et les lois doivent être communautaires, clan par clan. Une partie de l’extrême-gauche révolutionnaire, qui pense que les institutions en place sont fondamentalement « bourgeoises », et qu’elles sont conçues essentiellement pour soumettre le peuple (en corps et en esprit). Certains racialistes d’extrême-droite qui pensent que l’assimilation des immigrés ne doit pas se faire, afin de permettre dans un futur potentiel, la « remigration », c’est-à-dire l’expulsion des éléments « non-assimilés » à la nation française.
Pour ceux qui professent l’assimilation (ou l’intégration peu importent les mots), ce qui les oppose c’est le contenu des institutions, des moeurs et du peuple en place. Deux points-de-vue s’opposent. La droite de Sarkozy, qui pense que la communauté en place est d’abord ethnique, et la gauche de Mélenchon qui pense que la communauté en place est d’abord politique.
C’est pour cette raison que Mélenchon veut un « débat solide » sur l’identité avec Sarkozy. Car Mélenchon défend un point de vue érudit, cohérent argumenté. En évoquant les « gaulois », Sarkozy ne fait pas qu’appel à l’assimilation raisonnable à la communauté nationale. Il induit aussi un biais ethnique. Pour Sarkozy (influencé par l’historien conservateur Buisson), la France est d’abord une communauté ethnique. Au contraire, Mélenchon (féru d’histoire lui-même) la France est d’abord une communauté politique. L’Histoire donne certainement raison à Mélenchon. Les rois de France dès avant la République, ont bataillé ferme pour créer cette france qui n’existait que bien théoriquement. Concernant la France, on peut réellement parler d’une construction essentiellement politique. Le centralisme français est d’ailleurs un symptôme multi-séculaire de cette construction essentiellement politique et non pas coutumière, ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique. Il y a quelques années, Sarkozy « le sang-mêlé » adhérait d’ailleurs à sa manière très libérale, à cette idée d’une communauté essentiellement politique. Il a changé depuis.
La communauté ethnique plus fragile que la communauté politique.
Contrairement à ce que prétendent certains idéologues conservateurs, la communauté politique n’est pas dépourvue d’émotion commune. Au contraire. En France, le liant ethnique est si faible, qu’il se fonde essentiellement sur des histoires fragiles du genre « nos ancêtres les gaulois », la perruque de Louis XIV, le baptême de Clovis et la grandeur de Napoléon. L’adhésion ethnique est une adhésion essentiellement infantile. Elle renvoie d’ailleurs à la race, à la famille, à la mère. C’est à dire au monde idéalisé de l’enfance. De ce fait elle supporte en outre très mal la révélation des « pages noires » de l’histoire. Forgée dans le calme idéal du foyer et non pas aux vents contraires de la vie adulte, elle cherche l’innocence là où ne peut être que la repentance.
A contrario, l’adhésion politique est fondamentalement un acte d’adulte. Il est le fruit d’une maturité, d’un vécu, d’une réflexion, d’une expérience personnelle. Seul celui qui a vécu et s’est confronté à la réalité de la vie peut réaliser une telle adhésion après un retour sur lui-même. C’est en quelques sortes une affinité élective. C’est le passage des récits de l’enfance aux expériences de l’homme adulte. C’est le passage de l’héritage paternel à la fondation de la maison personnelle. C’est un moment initiatique. Celui où l’homme encore porté par l’amour de ses parents s’apprête à devenir lui-même un père. Où le descendant s’apprête à devenir un ancêtre à son tour. Où l’héritier va devenir un bâtisseur. Ou l’apprenti devient un maitre. Ou l’écolier devient un professionnel. Ce passage fondamental, c’est celui que défend Mélenchon. Cette sagesse fondée sur le vécu, qui permet de comprendre la nécessité de la morale, de la justice sociale, de l’art ou encore de l’harmonie écologique. C’est le passage d’une terre plate à une terre ronde. Le passage de l’infini de l’enfance au monde clos de l’espace adulte. La naissance des limites non plus parentales mais raisonnables. Voilà la république, voilà Mélenchon, voilà la gauche.
Effectivement, la naissance du sujet politique relègue l’appartenance ethnique (ou familiale) à un certain passé, à une certaine enfance, au souvenir. Mais cela ne nécessite pas l’oubli de ses racines (et par exemple d’un pays ou d’une culture d’origine). Mais l’arbre qui a plongé ses racines sous terre doit vivre son destin, pousser, et déployer son tronc fier et fort, et bientôt ses branchages fleuris et feuillus au dessus de la terre. Il n’oublie pas son passé. Mais il doit accepter de vivre son présent. Il n’oublie pas la tendresse de sa mère. Mais il cherche l’amour de sa femme. Il n’oublie pas la sagesse de son père. Mais il doit se tourner vers la transmission de sa propre sagesse vécue à ses enfants.
Certains objecteurs nous citeront encore De Gaulle (on le cite à tort et à travers et à dessein depuis quelque temps !). Il ne voyait pas que les « musulmans avec leurs turbans » puissent devenir des « français ». Certes. Mais ce De Gaulle avait sans doute une vision bien folklorique et lointaine des « musulmans ». Ne décrivait-il pas aussi les français comme des « veaux » ? Si des « veaux » peuvent faire des citoyens français, alors des « musulmans » doivent pouvoir faire des bons républicains.
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