L’idolâtrie de la concurrence : le cas de l’électricité
Par un communiqué du 15 septembre le gouvernement a fait part de son intention de suivre les recommandations du rapport Champsaur. Par là, EDF, et, donc l’Etat son principal actionnaire, et, bien sûr, nous, les contribuables, allons payer cher l’ouverture du marché de l’électricité au nom d’un dogmatisme libéral dont on voit de mieux en mieux les limitations et la perversité.
Il est temps de revenir sur l’ouverture du marché de l’électricité.
L’ouverture du marché de l’électricité a été décidée par le Conseil Européen de Lisbonne (mars 2000). Naturellement, l’argument justificatif de cette décision était que l’ouverture, avec la concurrence qu’elle installerait, serait favorable aux consommateurs en conduisant à une baisse des prix. Hélas, c’est le contraire qui se passe. Les entreprises naïves qui avaient fait le choix de quitter EDF pour un fournisseur « alternatif » s’en sont mordu les doigts puisque, au bout d’un an, le prix moyen du kWh qu’elles devaient payer était pratiquement deux fois plus élevé que le tarif réglementé qu’elles avaient abandonné. Le gouvernement, bon prince, attendri par le choeur des pleureuses autorisa ces égarées à revenir à un tarif plus doux tout en compensant la perte des « alternatifs » grâce à une taxe prélevée sur les productions nucléaires et hydroélectriques. Ce système Tartam [1] coûtera la bagatelle de plus de 1,2 G€ en 2009. Il est tellement tordu que le gouvernement a demandé à une commission présidée par Paul Champsaur de trouver une solution qui permette de donner satisfaction à la CE sans, pour autant, provoquer une levée de boucliers des consommateurs français. La commission a remis son rapport en avril 2009.
A la lecture du rapport Champsaur on s’aperçoit que l’importante contribution d’un nucléaire très compétitif à la production électrique française transforme la mise en oeuvre des directives sur le concurrence de la Commission Européenne en véritable casse-tête. En effet, le prix de revient de l’électricité nucléaire ne peut être concurrencé que par celui de l’hydro-électricité. Les centrales à gaz où à charbon, même en absence de taxe carbone, fournissent un courant à un prix près de deux fois plus important que celui des centrales nucléaires. Or les fournisseurs alternatifs n’ont ni les compétences, ni la volonté, de se lancer dans le nucléaire.
Citons le rapport :
« La France a lancé dans les années 1970 un programme nucléaire en confiant au seul opérateur EDF, entreprise publique, le déploiement à grande échelle d’une technologie standardisée. Le succès de ce programme permet aujourd’hui à la France de disposer d’un parc de production compétitif et peu émetteur de CO2 dans de bonnes conditions de sûreté et d’acceptation sociale. »[2]
Pour une critique judicieuse des modalités proposées par le rapport Champsaur on peut se référer à l’étude de Pierre Bacher.
Le 15 septembre le gouvernement a diffusé un communiqué annonçant sa décision d’appliquer les conclusions du rapport de la commission Champsaur.
Il s’agit, essentiellement, « d’engager une réforme articulée autour de trois principaux objectifs :
- préserver les tarifs "réglementés" de vente pour les ménages et les petites entreprises ;
- assurer le financement du parc de production existant et favoriser les nouveaux investissements conformément au Grenelle de l’environnement ;
- favoriser la concurrence par un dispositif de régulation qui permettra à tous les fournisseurs d’électricité en France de s’approvisionner auprès d’EDF aux conditions économiques du parc nucléaire historique. La dynamique du marché qui en résultera entraînera la disparition des tarifs réglementés pour les grands clients en 2015. La concurrence fera émerger des offres innovantes, en particulier en ce qui concerne l’amélioration de la gestion de la demande d’électricité. »
La commission Champsaur a fait ce qu’elle a pu pour résoudre la quadrature du cercle : réconcilier les intérêts des consommateurs français et l’ouverture du marché. On peut résumer ses propositions de la façon suivante :
L’opérateur « alternatif » peut acheter à EDF le courant produit par les centrales nucléaires au prix coûtant, il utilise les réseaux de RTE et ERDF (dépendants d’EDF) pour l’acheminer vers le client auquel il est revendu au prix du marché.
En d’autres termes, la production, le transport et la distribution sont assurés par EDF mais le bénéfice est pour l’opérateur alternatif. Au détriment de qui est financé ce bénéfice ? Aux dépens d’EDF, et donc, de son principal actionnaire, l’Etat, soit, encore, aux dépens des contribuables français.
Alors ne faut-il pas poser la question de l’utilité de la dérégulation de l’électricité ? Une politique européenne de l’électricité est impossible à mettre en oeuvre aussi longtemps que tous les états européens ne seront pas d’accord sur le rôle du nucléaire. N’est-il pas temps de renégocier l’ouverture du marché de l’électricité et de remettre celui-ci sous le contrôle des états nationaux ? On ne peut qu’être frappé par le silence de l’opposition [3] sur ce sujet. Il est capital de souligner que ce qui est en cause, ce n’est pas tellement le statut d’EDF mais bien la volonté d’introduire de façon complètement artificielle la concurrence dans un secteur qui ne s’y prête pas. Après tout, ce n’est pas un hasard si, au sortir de la guerre 40, sous une forme ou sous une autre, la presque totalité des pays a choisi de confier la production et la distribution de l’électricité à des monopoles publics.
[1] Le lien pointe vers la critique du Tartam par "Sauvons le Climat"
[2] Qu’en pensent Stéphane Lhomme et Benjamin Dessus ?
[3] A l’exception de François Brottes, député PS ayant appartenu à la commission.
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