L’illusion maçonnique
Souvent, en mal de copie, certains journalistes ressortent un classique « marronnier » prétentant nous dévoiler les modes et pratiques des « frères maçons » par lesquels leur influence s’exerce. En dénonçant leurs prétendus agissements, il contribuent ainsi à entretenir l’illusion d’une puissance qu’ils ont depuis longtemps perdue.
Ainsi la maçonnerie se nourrirait de son mystère, sa puissance occulte agissant sournoisement dans les souterrains des sociétés. De fait, la maçonnerie aujourd’hui est une vieille dame malingre et radoteuse qui survit dans la nostalgie de sa gloire passée. L’époque n’est plus où les maçons puissants de la IIIeme république faisaient et défaisaient les gouvernements, quand s’élaboraient dans les loges certaines des grandes réformes sociales. La FM s’est construite et structurée selon les contraintes et valeurs d’une époque et ne se trouve plus adaptée aux déterminismes et enjeux particuliers des temps présents.
La FM a parfaitement accompli sa mission historique mais aujourd’hui, a-t-elle une utilité véritable cad un rôle et un impact réel sur une société ou tous communiquent avec tous à la vitesse de la lumière ? A-t-elle une utilité véritable quand prolifèrent les institutions démocratiques d’échange, de débats, d’élaboration de projets ou les groupes de réflexion, les officines spécialisées à l’examen de tel ou tel réforme spécifiques, les think-tanks et autres groupes de pression, les expertises en tous genres que nécessite l’étude de toute proposition devant la complexité de nos sociétés. Aujourd’hui, les lieux discrets du pouvoir où se nouent les relations, où s’élaborent les stratégies d’avenir sont dispersés et multiples.
Devant cette multiplication des lieux où ça parle, ou ça propose, imagine, où ça réfléchit la FM apparait comme un lieu parmi tant d’autres où se pense le devenir des sociétés. Tout à l’inverse on peut citer le Grand Orient de France qui fut un temps bien plus préoccupé par des combats d’arrière-garde –au rôle des femmes dans l’obédience– que de songer à élaborer des propositions originales. L’action extérieure de la FM ne présente aucune particularité susceptible de la distinguer, c’est une voix à peine audible parmi tant d’autres. Dans le fond, le mode d’action et d’intervention de la FM est strictement calqué sur celles des institutions religieuses : défense et préservation essentiel des valeurs et d’un ordre éthique en assumant et cautionnant, paradoxalement, la séparation du sabre et du goupillon.
Une multitude de publication ont depuis longtemps mis au grand jour tous les rites, pratiques et mythes ésotériques maçonniques si bien que leur secrêt n’est plus que de polichinelle. Les frères ne sont ni en danger, ni pourchassés, on ne risque plus rien d’être franc maçon si bien qu’un des ciments de la solidarité et de la fraternité a disparu. On peut venir s’assoupir deux fois par mois dans les loges à écouter d’une oreille distraite les « planches » qui traitent très souvent des questions philosophiques d’un niveau pré baccalauréat. (Mais il y a loin du verbe aux actes, on peut faire de très belles planches et se comporter au quotidien, dans la vie personnelle et professionnelle comme un salaud.) Ou réfléchir ensemble sur les « questions posées aux loges » du genre « la laïcité a-t-elle un avenir » ou, « quelles sont les limites de la finances internationales ? », débats qui trainent sur toutes les ondes et les écrans. On ne parlera pas du rituel désuet du type boy scout, de la symbolique maçonnique d’une rationalité accablante qui prétend enserré la vérité l’être sans poétique aucune, de cérémonies lugubres, étriquées,négligeant tout apport du rituel théâtral.
On aura compris que la franc maçonnerie n’est plus en phase avec son époque, qu’elle ne se présente plus comme une institution novatrice et porteuse de projets. Elle ressemble davantage à une association de retraités où certains jeunes s’égarent parfois, où on cherche à fuir la solitude des soirées télés en se faisant de nouveaux copains. Le seul domaine où la franc maçonnerie reste quelque peu vaillante est celui de la laïcité, quand le grand maître est convoqué à donner son avis, comme on convie les « forces spirituelles » sur les problèmes de religion. La franc maçonnerie est quasi absente du monde musulman où justement l’apport d’une expérience laïque aurait été grandement salutaire.
En période électorale, les candidats y font quelques tours pour se faire remarquer et glaner la bienvaillance des frères. Parfois, quand un évènement bouleverse la presse, quelques obédiences pondent un communiqué où morale et bons sentiments s’expriment dans le sens du poil collectif, histoire d’exister quelque peu sur le forum national.
La volonté de tolérance des opinions divergentes, la cohabitation des francs maçons de droite, de gauche et du centre aboutit à se satisfaire du plus petit dénominateur commun par élimination de tout ce qui peut diviser et briser la bienheureuse harmonie entre frères. Le refus de toute vision métaphysique collective interdit à la FM de promouvoir un véritable dépassement des religions traditionnelles tout autant que l’humanisme nihiliste des siècles précédents. La FM sur le terrain essentiel du SENS se désengage volontairement en laissant à chacun la liberté d’en choisir un
Les rapports humains restent superficiels car la force de la FM (le retrait du monde profane) fait aussi sa faiblesse. Il y a peu ou pas d’engagements dans le siècle susceptible de faire l’objet de rencontres et d’appréciations entre frères. Un franc maçon doit transmettre au monde profane les valeurs et mettre en œuvre les projets de reforme élaborés en loge ; Mais quand il n’y a « rien » à transmettre, lorsque ces projets son à la traine de l’imaginaire collectif et de l’actualité, à quoi bon venir querir à l’intérieur se qui se trouve disponible à l’extérieur ?
UNE REVOLUTION NECESSAIRE
Notre critique se veut constructive et nous songeons à ce que pourrait ête une « autre » franc-maconnerie se reformant elle-même profondement afin d’engager les mutations que la société de demain attend. La FM doit être à l’avant-garde d’un changement profonde du cadre, de la pratique politique et du projet collectif radicalement novateur. Pour opérer une mutation sociale, la FM doit préalablement opérer sa propre transformation en rompant résolument avec une philosophie et une pratique qui étaient adaptées à une époque désormais révolue. La FM, si elle ne veut pas lentement dépérir doit avoir un temps d’avance sur son temps, être à l’avant garde de l’imagination, se proposer tout à la fois comme une force de l’utopie, au sens de la recherche d’un ailleurs réalisable. Il s’agira cependant de préserver trois caractéristiques qui constituent son originalité mais de les rénover :
a) Le rite, la procédure de sélection, le perfectionnement personnel, l’engagement dans la vocation à se dévouer au bien commun
b) Répondant à un besoin de spiritualité rationnelle elle doit proposer un cadre pour cette recherche, s’interrogeant sur les valeurs métaphysiques fondamentales et incitant au dépassement de la subjectivité dans une perspective d’universalité. C’est un cadre institutionnel d’élaboration de valeurs communes destinées à leur propagation et extension dans la société -
c) Son fonctionnement comme une maison commune répond à besoin social de partager les mêmes valeurs et idéaux mais aussi à celui d’appartenir à un groupe d’hommes solidaires.
En définitive, une autre franc-maçonnerie reste à inventer, celle par exemple qui concilierait pratique ésoterique et exotérique, cette dernière ayant une action directe et visible dans le champ socio-politique.
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