L’immigration par-delà ses représentations
Sur bien des points le débat national en France sur l’immigration est devenu à la fois vicié et impossible. La démagogie xénophobe de tout type se mêle à l’angélisme benêt antiraciste dans un magma qui, bien que d’apparence contradictoire, est tout à fait complémentaire. En effet, ces deux discours se rejoignent dans la finalité qu’ils installent : empêcher la compréhension de la question migratoire au grand public, d’une part, et exercer une pression sur les politiques migratoires menées dans une perspective essentiellement court-termiste, d’autre part. Ce dernier élément est sans doute le plus grave des deux car il a poussé à une politique de l’instantanéité depuis trente ans en matière de gestion des flux migratoires, par des gouvernements de diverses tendances politiques, qui ont pensé l’immigration essentiellement sous son versant économique, moral mais rarement politique. Il est frappant de voir que, paradoxalement, les socialistes français au pouvoir, de 1981 à 1993, après avoir adopté une politique libérale en matière de gestion des flux migratoires, se sont peu souciés de la construction d'HLM et ont ainsi favorisé la lente élaboration de ghettos sociaux, qu'ils condamnent aujourd'hui.
La responsabilité en la matière est toutefois globale et ne saurait se résoudre aux uniques choix faits, en son temps, par le parti socialiste.
Ce débat, disais-je, est ainsi biaisé par la caricature orchestré par des extrêmes complémentaires. Dénoncer l’immigration (et non les immigrés), suivant l’idée de « ce qui est rare est cher », comme un moyen, parmi d’autres, de diminuer les salaires des travailleurs les moins qualifiés reviendrait à faire le jeu du front national. La rigueur me pousse pourtant à dire, dans les secteurs d’activités les moins qualifiés des pays développés, qu’il résulte de l’équilibre qui s’établit suite à l’afflux de mains d’œuvres étrangères une diminution relative des salaires des employés de ces secteurs d’activités. Un tel processus ne fait qu'aggraver les choses en période de chômage de masse où il apparait qu’être en faveur de l’immigration ne signifie pas forcément se préoccuper de la situation des immigrés, à qui l’on n’offre qu’une précarité économique extrême, où ceux-ci sont à la fois victimes de marginalisation sociale et de xénophobie épidermique. Parallèlement les xénophobes identifient tout sentiment de solidarité à l’égard des déracinés du monde entier, ces travailleurs migrants, à de l’angélisme béat, une attitude « antifrançaise » ou que sais-je, où la nostalgie d’un passé idéalisé amène à se refermer sur des certitudes rassurantes mais aussi illusoires qu’inutiles pour résoudre le problème de l’intégration, souvent réduit en France à l’enjeu de l’assimilation.
Notre époque semble avoir perdu le sens des symboles et des mots : l’antiracisme institutionnel lacrymal a ainsi manié sans précaution les mots « racisme », « antisémitisme » même, ce qui a eu pour résultat une banalisation de ces termes, une négation de leur histoire, une privation de leur sens. Pour le reste des objectifs qu'il s'était attribué, à savoir "le recul du racisme", l'antiracisme a clairement échoué dans de tels proportions qu'on pourrait se demander s'il n'a pas fait qu'aggraver une situation déjà difficile.
Il faut rappeler, sur la question de l’identité, un fait tout simple : l’immigration est un déracinement. En cela, les immigrés, sous l'emprise de la nécessité économique et non par désir de tourisme, abandonnent une culture dans laquelle ils ont grandi, à laquelle ils sont attachés, pour embrasser une nouvelle qui, parfois, ne leur offre que le rejet ou la stigmatisation. Partis dans l'optique d'un eldorado illusoire les immigrés vident souvent leurs nations de départ de forces vives nécessaires à leur essor économique. En effet, ceux qui migrent sont souvent ceux qui ont le plus de moyens et les autres, plus pauvres, sont condamnés à rester sur place.
A cela s’ajoute le fait que la société française est une société où les « autochtones » se supportent de moins en moins entre eux. Roland castro va jusqu’à parler d’une « société ou personne ne supporte plus personne ». Le véritable problème résiderait donc dans ce qu’Alain de Benoist nomme « la déstructuration des socialités organiques » dont la plus grande responsabilité incombe à une certaine logique libérale de la sacralisation de l’individualisme.
La « fraternité » et la « République », dans une société où chacun s'engage dans une rivalité mimétique stérile servant de cadre à la maximisation de ses propres intérêts personnels, au détriment de toute logique de don/contre-don, avec l’idée d’une concurrence constituant sa propre finalité, sont alors plus que des objectifs irréalisables : ce sont des concepts devenus mirages. Nul n’a mieux résumé les choses que Christian Thorel : « le recentrage sur l'individu au détriment du collectif conduit à la disparition du regard sur l'autre ».
L’exclusion des immigrés par certains français ne constitue donc qu’une extension de l'exclusion qu'ils exercent entre eux. J'invite donc à balayer devant notre porte avant de rejeter toute la responsabilité sur les autres.
Pour conclure, on dit souvent aux jeunes immigrés qu'ils devraient respecter la France suivant la maxime : « la France tu l’aimes ou tu la quittes ! ». Mais comment pourraient-ils être plus patriotes que des jeunes Français « de souche » qui ne le sont plus du tout ? La critique de l'immigration, qui est en soi légitime, ne sera pas facilitée par la montée d’un recentrage sur soi, et sur sa petite individualité. C’est précisément ce recentrage qui a défait le plus profondément le tissu social jusqu’à remettre en cause sa capacité d’absorption de flux migratoires. C'est cela sans doute qui explique le plus la restriction drastique, aujourd'hui, du "seuil de tolérance" national qui, bien que non quantifiable, existe.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON