L’impasse... Julien Dray ?
Les existences ne se ressemblent pas, les lieux non plus, les époques encore moins. Parfois, les uns vivent cette ivresse du sentiment que tout avance, que tout est possible, se construit, comme si chaque pas dans une forêt vierge abattait les lianes et ronces sur le passage, tandis que des tas de compagnons de fortune viennent se greffer à l’aventure. Pourquoi ça arrive aux uns et pas aux autres ? Pourquoi certaines périodes sont plus fastes pour les aventuriers de l’existence ? Pourquoi je me pose ces questions ?
L’impasse suppose qu’on rebrousse chemin, autrement dit, qu’on se remette en question, pour avancer dans une autre voie. Ou bien qu’on se trouve face au mur et que d’un coup de force, on le brise pour avancer d’une case. C’est bien étrange, car le mur, il est parfois notre œuvre, notre substance. Prendre le risque de casser le mur, c’est risquer de se fracasser, de se retrouver en miette. D’où l’importance du discernement. Bien voir quelle est la nature du mur et l’état de nos forces. Bref, rien de nouveau puisque c’est une analyse assez triviale, dérivée du traité de Sun Tse sur la guerre. L’existence serait-elle un combat ? Oui, sans doute, depuis que l’on ne laisse plus les braves gens vivrent tranquillement et que les gouvernants, les policiers, les juges, les intellectuels, les bureaucrates, surveillent et balisent nos plans de carrière, nos idées, nos actes. Mais il y aura toujours des aventuriers en quête d’un autre chemin. La vie transcendantale de Thoreau ne se trouve pas uniquement dans la forêt américaine mais aussi du côté de Tarnac. Hélas, des braves gens ont été inquiétés par la police et l’acharnement du pouvoir et du parquet fait que Julien Coupat et sa compagne croupissent en taule alors que d’authentiques ordures, des voyous, des maffieux, des escrocs, des vendeurs d’armes, jouissent de tous les avantages.
L’impasse, elle gagne sans doute Julien Dray. Dont on sait maintenant les frasques et les obsessions. Claquer en deux ans 200 000 euros en objets de luxe, notamment des montres, cela tranche avec la crise, la frugalité, l’idéal socialiste, la décence. Mais peut-on reprocher à Dray d’être malade au sens du fétichisme et de l’attrait de ces choses défendues ? Comme l’était Darry Cowl, accro au jeu. Il y a un côté suicidaire dans des addictions et d’ailleurs, Dray est connu pour être cyclothymique. Les médias sont discrets. Il semble qu’on serait plus près de (je me censure, tbp) Et ma foi, si j’étais à la place de Dray, jouant du mécanisme miroir, je penserais au suicide. Mais le miroir n’est jamais fiable. Dray dispose de ses propres instruments de navigation. Il peut compter sur l’indulgence du peuple imbécile et poursuivre sa carrière politique. Le peuple imbécile tolère les excès des élus, une fois le temps passé. Dray n’a sans doute aucune éthique, aucun sentiment de la mesure, de la dignité. Ses frasques de luxe sont incompatibles avec le souci des réalités dont souffrent les gens. Drôle de personnage. A se demander s’il n’a pas joué la comédie depuis qu’il fut en âge de militer. Si j’étais « moi à sa place » avec mes propres valeurs, je me suiciderais mais je ne peux me prévaloir d’un tel mélange. A la place de Dray, j’irais me ressourcer dans un monastère tibétain. Ou alors, je vendrais ma collection de montres et verserais une partie de la vente aux restaurants du cœur, seul moyen d’acquérir à la fois une rédemption et pratiquer un exorcisme. Cela revient à un suicide mais pas physique, spirituel, carrément christique. Un suicide qui aurait du sens en cette époque où selon Habermas, les sociétés deviennent post-séculières, renouant avec une intelligence du cœur ancrée dans le religieux.
Julien Dray ne doit pas se suicider. La vie doit continuer. Dray doit exorciser, conjurer ses démons, faire preuve d’un acte fort pour changer de chemin. Il a tout à gagner, la société aussi mais ses souffrances seront bien intenses. On ne va pas pleurer sur son sort. Il avait les moyens d’aller dans le bon sens. Il s’est piégé lui-même, par cette passion du luxe. D’autres chutent à cause des femmes, ou du jeu, que ce soit le poker ou le casino de la finance internationale. Les fondations mal assurées s’écroulent. Le cas Dray est une affaire plus religieuse et morale que politique.
Et mon impasse ? Par un effet miroir, je la pressens dans la sphère artistique. Je suis blasé, les nouveautés n’existent plus, je connais toutes les musiques qui parlent à mon âme, et celles capables de me ravir n’ont pas encore été composées. Je connais tous les livres importants et pour être ravi à nouveau, il me faut les relire sans cesse pour les redécouvrir. Dieu merci, l’existence ne m’a mis aucune passion en travers de la route. Juste quelques lubies et manies ordinaires. Pas de quoi dévier de la voie. Si j’échoue, c’est la société qui se plantera avec moi, parce que je suis un miroir. S’il y a une impasse et que tu trouves la porte, alors c’est qu’il y a un chemin. S’il y a une impasse et que tu ne trouves pas la porte, c’est qu’il n’y avait pas de chemin. A bon entendeur !
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON