L’inadaptation des dispositifs pour les demandeurs d’emploi : pauvres droits, pauvre Droit
La Cour des comptes, dans un rapport cette semaine, a fustigé le manque d’efficacité de l’ASSEDIC et l’ANPE. Dans le contexte des politiques publiques pour la cohésion sociale et de mesures annoncées de renforcement du contrôle des demandeurs d’emploi, il convient de constater les manquements de l’ASSEDIC et de l’ANPE à leur mission conjointe d’assurance sociale et de service, pour faire évoluer la réglementation dans l’intérêt général, en exposant la situation vécue du point de vue de la base. La réglementation doit être adaptée, pour correspondre aux besoins des allocataires dans leur recherche d’un poste, mais également pour reconnaître la responsabilité de l’ASSEDIC ou de l’ANPE lorsqu’elles causent un préjudice à un allocataire actif dans sa recherche d’emploi en lui coupant arbitrairement ses allocations.
La réglementation doit être adaptée pour que les aides aux demandeurs d’emploi soient davantage pertinentes, alors que des moyens de financement peuvent être dégagés.
Le PARE doit être plus orienté vers les besoins des allocataires dans leur recherche de poste, et l’aide à la mobilité doit être accrue.
Le PARE a constitué une avancée incontestable, dans ses principes, mais il y a de nombreuses carences d’ordre administratif qui sont préjudiciables à son efficacité.
Le problème des formations
L’accès à la formation dans le cadre du PARE présente des incohérences graves qui nuisent à l’efficacité et à la pertinence des actions contribuant à l’employabilité.
Il y a d’abord une non-reconnaissance des formations « de proximité » pour les frontaliers : à l’heure de la construction européenne, la non-reconnaissance de formations à l’étranger, surtout lorsqu’elles sont moins chères et de niveau égal en qualité, est regrettable, même s’il est évident qu’il faille une forme de contrôle. Par exemple, un allocataire résidant à Thionville, même s’il est dans les délais, ne peut avoir d’aide pour suivre une formation à Luxembourg (25 km) pourtant moins onéreuse que la même formation à Paris. Quand on mesure en outre le rôle positif du Luxembourg pour recruter des demandeurs d’emploi de Lorraine, on trouve cette situation anormale.
Il y a ensuite un manque de flexibilité des délais de dépôt des dossiers, une information sur une formation pertinente pouvant être connue tardivement par l’allocataire : faudrait-il perdre plusieurs mois pour attendre la session suivante pour présenter un dossier dans les délais ? Une rétroactivité n’est-elle pas envisageable et souhaitable, si le stage s’inscrit dans les actions contribuant à l’employabilité ?
Il y a enfin un statut flou de l’allocataire pendant des formations ponctuelles ciblées non reconnues malgré leur contribution indéniable au retour à l’emploi. S’il les déclare, les jours lui sont décomptés en indemnisation. Pour être en règle pour toucher les allocations pendant la période de formation, il faut imputer ces jours en congés. Cela est parfaitement injuste.
On le voit, le système est trop rigide. Il faut simplifier l’accès à la formation ciblée pour permettre la proactivité de l’allocataire afin d’assurer son employabilité et lutter ainsi contre le chômage de segmentation (i.e. l’inadéquation entre les offres d’emplois et la demande).
Les dangers d’une forme de « rééducation par le travail »
Le constat du chômage de segmentation a fait évoquer récemment la possibilité de faire une sorte de « révolution culturelle » dans le cadre d’un renforcement du contrôle des demandeurs d’emploi, en contraignant les allocataires à s’orienter vers les métiers où les employeurs ne trouvent pas de salariés. S’il peut y avoir des opportunités ici ou là, il ne faut pas que cela tourne à une forme de « rééducation par le travail ». Autant pour les personnes non qualifiées, cela fait sens pour « mettre le pied à l’étrier », autant pour les personnes qualifiées, une réorientation vers les postes non pourvus est à envisager d’une manière pragmatique et cohérente et certainement pas administrative, d’autant que le personnel de l’ANPE, qui a plutôt une bonne écoute, n’a pas toujours une bonne connaissance des cursus de formation, de la notion de pilotage de carrière pour les cadres en particulier et des entreprises.
Outre la mobilité fonctionnelle, que peut renforcer ou permettre une formation, l’aide à la mobilité géographique : elle n’est pas satisfaisante.
Déplacement et mobilité
Actuellement, il faut accord préalable pour obtenir une aide à la mobilité, par exemple pour un déplacement en train, et en outre il a un ciblage des aides par l’ANPE (demandeurs d’emplois non indemnisés par les ASSEDIC par exemple).
Cette organisation ne prend pas en considération le cas d’un appel d’employeur un vendredi soir pour un entretien le lundi suivant : il faudrait pouvoir présenter, sous conditions d’urgence, une demande de remboursement a posteriori.
Cette organisation ne prend pas en considération par ailleurs le cas d’un allocataire qui, bien qu’indemnisé, n’a pas les moyens de financer son déplacement, voire son déménagement, parce que le montant d’allocation ne le lui permet pas, eu égard à ses charges : il faudrait davantage aider la mobilité dans son principe.
Ces mesures d’aides nécessaires ont sans doute un coût, alors que régime est aujourd’hui déficitaire. Pourtant des solutions de financement peuvent être mises en exergue.
Des moyens de financement pourraient être dégagés
Il peut s’agir de budgets nouveaux à identifier au bénéfice des allocataires ou de sommes récupérées pour le régime dans le cadre des actions répressives.
La détection de possibilités financières au bénéfice des allocataires
Il semble que les fonctionnaires, qui ont la garantie de l’emploi, et les retraités ne cotisent pas à l’assurance chômage et l’argument, à revenu égal, qu’ils n’ont pas à cotiser, au motif qu’ils n’en bénéficient pas, n’est pas recevable car contraire à l’esprit même des assurances sociales. Dans les assurances sociales, il n’y a pas de lien direct entre la cotisation demandée à l’assujetti et son risque, alors que le système de l’assurance privée repose sur une participation financière des assurés eu égard à leur risque propre. Par exemple, les célibataires cotisent à l’assurance veuvage, les hommes à l’assurance maternité...
Cela revient à opérer un transfert de revenus, qui peut atteindre une certaine ampleur et doit s’insérer dans une politique délibérée de justice sociale. L’opposition des syndicats à une telle mesure d’équité serait révélatrice d’un double discours syndical de défense de la protection sociale « à la française », mais qui ne tirerait pas les conséquences du principe sous-jacent de solidarité.
Cette solution apporterait de l’argent nouveau dans le régime.
Par ailleurs, actuellement, dans le cas d’un travail à temps partiel, sous réserve de ne pas dépasser les seuils mensuels de 136 heures et de 70 % du salaire antérieur, et si l’allocataire demeure inscrit comme demandeur d’emploi, l’ASSEDIC calcule chaque mois un certain nombre de jours qui ne peuvent être indemnisés. Ces jours non indemnisés ne sont pas perdus, car ils reculent la fin de l’indemnisation (Cf. notice DAJ 143). Un crédit utilisable pourrait être constitué pour chaque allocataire sur les jours non indemnisés. Le compte personnalisé serait géré par l’ASSEDIC pour financer les actions de retour à l’emploi de l’allocataire (aide au déplacement, formation...) non prises en charge, au lieu de reporter la fin de son indemnisation.
Cette solution aurait le mérite d’inciter au travail en donnant un avantage immédiat aux bénéficiaires qui font l’effort de travailler sans rien coûter objectivement au régime : si l’allocataire n’avait pas travaillé, les jours lui auraient été payés de toute façon.
Pour ceux qui n’ont pas constitué cette épargne sur leur travail à temps partiel, il faudrait prévoir la possibilité d’imputer un financement d’aide sur leur solde de droits.
Cette solution toutefois n’est pas à privilégier, mais elle peut débloquer ponctuellement les situations où aucun financement des actions de retour à l’emploi n’est possible autrement.
Le Code civil donne à l’ASSEDIC la possibilité de récupérer d’éventuels indus non remboursés spontanément par l’allocataire (Cf. article 1377), mais cela entraîne une gestion lourde du contentieux. Lorsqu’un allocataire ne rembourse pas un indu, il faudrait systématiser les possibilités de compensation automatique entre les caisses ASSEDIC, CNAM, CAF, etc. Ainsi l’ASSEDIC pourrait-elle récupérer à peu de frais sur les prestations maladies ou familiales les indus d’un allocataire.
Cela entraînerait une exclusion du bénéfice du tiers payant pour les allocataires pour permettre à l’ASSEDIC d’être remboursée.
Pas de quartier pour les fraudeurs
Toute fraude avérée devrait être impitoyablement sanctionnée au terme d’une procédure contradictoire rapide respectant les droits de la défense.
S’agissant des employeurs, il faut veiller à ne pas pénaliser l’emploi par les sanctions démesurées. Une piste pourrait être de ne donner aucune tolérance en matière d’heures supplémentaires, pour contraindre l’entreprise à embaucher si son activité augmente, au lieu de recourir aux heures supplémentaires.
S’agissant des allocataires, la sanction pourrait être une déchéance des droits modulée selon la gravité de la fraude (en fonction du montant, de la durée de la fraude...), voire l’exclusion à vie dans le cas d’une fraude particulièrement grave (escroquerie...). A ceux qui pourraient objecter qu’il ne serait pas normal qu’un salarié cotise à l’assurance chômage et n’y ait plus droit, il faudrait rappeler que le système français de protection sociale, fondé sur la solidarité, ne fait pas de lien entre cotisation et risque (cf. par exemple, la cotisation des célibataires à l’assurance veuvage).
Les sommes non versées pourraient être affectées sur un compte de solidarité, pour redistribution à ceux qui font une recherche effective et qui méritent une aide.
Mais le pouvoir de sanction pécuniaire renforcé ne peut être compris que si la responsabilité de l’ASSEDIC ou l’ANPE peut être engagée, lorsqu’elles causent un préjudice contraire aux politiques publiques de cohésion sociale à un allocataire de bonne foi et qui fait une recherche active, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
La responsabilité accrue de l’ASSEDIC et de l’ANPE est nécessaire
Faute de pouvoir compter sur l’arbitrage du juge dans le cadre légal et conventionnel actuel, seule une évolution des textes pourrait permettre d’engager la responsabilité des organismes gérant les assurances sociales lorsqu’ils causent un préjudice.
L’article 1153 du Code civil
L’article 1153 du Code civil dispose que (L. n° 75-619 du 11 juill. 1975) « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages & intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. (Ord. n° 59-148 du 7 janv. 1959. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. (L. n° 75-619 du 11 juill. 1975). Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, (L. n° 92-644 du 13 juill. 1992) ou d’un autre acte équivalent telle une lettre missive s’il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit. »
Dans les retards de paiement des allocations, de tels intérêts de retard devraient être prévus par la loi, par exemple sous la forme d’un imprimé-type de réclamation remis à l’allocataire à adresser en recommandé avec AR à la caisse défaillante et faisant courir de plein droit les intérêts de retard, l’allocataire lambda ne pouvant dans la pratique adresser sérieusement une sommation de payer à la caisse, et tout courrier de réclamation pouvant être interprété par un tribunal de manière subjective comme ne constituant pas « un autre acte équivalent tel une lettre missive ».
L’article 1382 du Code civil
S’agissant de l’article 1382 du Code civil, il est certes, selon la jurisprudence de la Cour de cassation notamment du 12 juillet 1995, applicable aux organismes gestionnaires des assurances sociales lorsqu’ils causent un préjudice : peu importe que la faute soit ou non grossière, et que le préjudice soit ou non anormal. Mais il ne s’agit que d’une jurisprudence et de surcroît assez récente. La réparation du préjudice devrait être prévue expressément par les textes.
Il serait juste que tout paiement non effectué à l’échéance au bénéfice de l’allocataire ayant rempli ses obligations, et plus généralement que toute erreur de gestion dans le dossier ayant eu des conséquences financières ou autres pour l’allocataire, donne lieu à une indemnisation automatique de droit en cas d’erreur manifeste sans qu’il soit nécessaire de prouver un lien de causalité directe, au sens étroit où cette notion est actuellement entendue par la Cour de cassation. L’irresponsabilité inconditionnelle des organismes gestionnaires des assurances sociales lorsqu’ils causent un préjudice doit être révolue.
Elle est contraire aux politiques publiques actuelles de lutte contre les exclusions. Alors qu’un pouvoir de sanction accru est mis en place, les dispositions de droit commun en matière de responsabilité ne permettent pas à l’allocataire de faire valoir ses droits lorsqu’il subit un préjudice lié au mauvais fonctionnement de l’ANPE et l’ASSEDIC. Echappant à toute sanction explicite de leurs erreurs, n’ayant aucun compte à rendre aux allocataires, les organismes gérant les assurances sociales n’ont pas d’incitation à traiter avec diligence les réclamations fondées des allocataires.
Dans le même temps, en contrepartie de cette responsabilisation nécessaire, la sanction des fraudeurs et de ceux qui ne recherchent pas véritablement un emploi doit être impitoyable, pour une redistribution aux allocataires qui respectent leurs obligations dont les efforts ne sont pas toujours aidés.
En conclusion, même s’il y a eu des progrès, le temps « administratif » de l’ASSEDIC et l’ANPE n’est pas le temps « opérationnel » du marché du travail, et la priorité doit être de rendre les organismes plus efficaces au bénéfice des allocataires de bonne foi qui mènent une recherche active.
Alors, seulement, le marché du travail pourra être « dégrippé », pour reprendre un souhait de J-P. Revoil il y a un an.
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