Après avoir laissé de côté les utopies fondées sur une mutation spontanée de l’état d’esprit commun, il apparaît que les données de la prochaine situation seront plus implacables. La réduction de la capacité énergétique de notre civilisation heurtera de plein fouet une masse de consommateurs inchangée. Pour reprendre la comparaison avec le « Triangle du Feu », il s’agira de, faire face à une diminution du combustible sans diminution du comburant, ce qui nécessitera obligatoirement d’agir sur le troisième composant de la réaction chimique, l’activateur, c’est à dire le capitalisme.
Nous pourrions certes imaginer que ce système socioéconomique périclite de lui même dès lors que les éléments constitutifs de la croissance viendront à se raréfier, mais ce serait sans doute faire preuve d’un optimisme peu crédible dans la mesure où le capitalisme s’exprime par le biais d’intérêts particuliers et procède de la domination d’une classe humaine sur une autre. Par l’effet de la propagande de la pensée unique, ce système ne paraît pas pouvoir être éradiqué et, de l’avis général, sa disparition semble plus relever du rêve éveillé ou du délire de comptoir que d’une possibilité réelle. Tout au plus de légers correctifs sont évoqués, voire poursuivis par une action politique visant la redistribution d’une partie des profits des possédants vers les non-possédants. Ces pseudo-recherches de palliatifs ne sont naturellement que des duperies destinées à adoucir la tendance revendicative habituelle des peuples face aux inégalités trop visibles. La variable d’ajustement la plus connue est le fameux socialisme qui, utilisé en phase d’alternance politique, permet au capitalisme de lâcher un peu de lest par l’application de potions anesthésiantes sur une plèbe ponctuellement souffreteuse. Pour mémoire, nous pouvons également citer quelques clubs élitaires anecdotiques, tels ATTAC, altermondialistes divers, voire certains anarchistes, dont les membres sont pour la plupart issus du sérail petit-bourgeois et dont le discours embrouillé et les objectifs fumeux ne remettent pas véritablement en cause un capitalisme qu’ils contribuent par ailleurs à nourrir par leur comportement consumériste ostensible.
Bref, aucun coin sérieux ne semble aujourd’hui être enfoncé par quiconque et dans aucune fente significative susceptible de faire éclater, un jour peut-être, l’édifice capitaliste. Il faut dire que ce dernier bénéficie d’une immunité contre son principal prédateur, le communisme, puisqu’il en est vacciné à vie pour l’avoir vaincu historiquement avec ses propres forces naturelles. Restent les attaques faiblement législatives, mais il maîtrise trop le sujet pour risquer d’être pris à défaut par des adversaires incertains et peu formés.
Contester le capitalisme semble donc une entreprise insurmontable, pour tout dire impossible, et pourtant l’homme a vécu pendant des siècles en dehors de ce régime, sans que nous puissions affirmer que tous les modes de vie antérieurs à son apparition furent détestables. Plusieurs idées fausses, largement répandues dans l’opinion publique et entretenues par la pensée unique, lui sont favorables et aident incontestablement à sa durabilité. La plus notoire consiste à assimiler le capitalisme à la propriété, et faire débuter celui-ci avec l’essor de la civilisation et le passage humain de l’état de chasseur-pêcheur-cueilleur à celui d’agriculteur-artisan. Ainsi dès l’instant où l’individu aurait commencé de posséder un outil de travail et de vendre à autrui les produits de son activité, il aurait initié un processus capitalistique…On comprend aisément dès lors que le capitalisme soit considéré comme indissociablement lié à la civilisation humaine et qu’il ne puisse être contesté comme faisant partie intégrante de l’organisation socio économique. Le plus frappant est de constater que cette version fantaisiste est affichée la plupart du temps par les détracteurs même du capitalisme en tant que tel, témoignant ainsi de leur désarroi et leur de impuissance devant cette implacable donnée historique. Rien n’est plus faux bien entendu, ni plus éloigné de l’analyse de K. Marx que ces commentateurs d’estaminets n’ont manifestement pas lu. Le capitalisme tire son essence du capital au sens financier et non pas au sens patrimonial du terme. Ce n’est qu’avec et grâce à la « fiduciarisation » de la société qu’il est apparu et a pu se développer pour atteindre son hégémonie actuelle et sa déclinaison étatique, ajoutant à sa perversion sociale le ferment malin de l’autoritarisme.
Pour déchoir le capitalisme de son emprise et de son rôle d’activateur intempestif de la combustion économique, il suffirait pourtant d’une action législative non violente et non coercitive mais de nature « abolitionniste », comme le seraient d’ailleurs toutes les mesures adoptées pour établir la société anti-autoritaire. Il s’agirait, en l’espèce d’abolir la loi scélérate permettant au capitalisme d’exister, à savoir la loi garantissant les transactions argent/argent. Il conviendrait donc que la société antiautoritaire garantisse uniquement les contrats entre individus de type monétaire, c’est à dire établissant un échange entre un bien ou un service et une somme d’argent, à l’exclusion de tout contrat de type financier, c’est à dire établissant un échange entre une somme d’argent et une autre somme d’argent. Cette mesure simple et radicale ne rendrait pas illégales les transactions financières, mais celles-ci relèveraient désormais du seul domaine privé, et ne seraient donc validées par aucune loi, ni aucun tribunal.
Il est de toute première importance d’insister sur ce « facteur législatif » qui est généralement ignoré, ou passé sous silence, par les analystes de toutes tendances qui considèrent volontiers que le capitalisme financier est un dispositif inné, normal, inhérent à la nature humaine, résultant d’une déclinaison économique de la liberté, le fameux « libéralisme », et que les doctrines visant à le combattre sont amenées à inventer des lois pour contrecarrer son action. Or, rien n’est plus faux, il suffit en réalité d’adopter tout simplement une optique « abolitionniste » et de supprimer les lois « antinaturelles » qui permettent au capitalisme de s’exprimer. Celles-ci auront pour objectif la disparition des multinationales et des grandes entreprises, au profit d'un tissu de petites entreprises individuelles, libres et localisées.
Dans notre système actuel de « capitalisme d’état », l’Etat est non seulement l’allié du Capital, mais également son garant juridique. Ce fait majeur est rarement évoqué et chacun à tendance à considérer comme une donnée acquise et quasi naturelle la fiduciarisation massive de l’économie. Or le capitalisme ne peut exister ni se développer sans juridiction financière. Mais qu’est ce qu’une juridiction financière ? C’est tout simplement la légalisation par le pouvoir étatique d’une utilisation dévoyée de la monnaie, à savoir « la finance ». A l’origine, la monnaie a été créée pour faciliter les échanges de marchandises. Dès lors la loi reconnaissait une dette d’argent en seule contrepartie d’un bien, en d’autre termes l’argent ne pouvait circuler qu’en situation d’achat ou de vente de bien matériel, un paiement différé étant toujours possible, mais en seule garantie ou réserve de propriété d’une marchandise. Le dévoiement commence non pas à partir du moment où l’argent se met à circuler contre de l’argent, mais à partir du moment où la loi garantit cette circulation. Expliquons nous bien : lorsqu’une personne vend de l’argent à une autre personne, c’est à dire qu’elle lui remet une somme en numéraire avec promesse de remboursement d’une somme supérieure, nous sortons d’un contexte monétaire pour entrer dans un contexte financier, et c’est cette phase qui constitue l’essence même du capitalisme. Mais pour être viable, ce système doit être légal, c’est à dire que l’Etat doit garantir la transaction par la Loi. Dans un système purement monétaire la loi ne garantit que les transactions argent/marchandise. Dans un système financier, c’est à dire capitaliste, la loi garantit également les transactions argent/argent.
Afin de déchoir le capitalisme de son emprise, il convient donc qu’il n’existe plus de loi garantissant les transactions financières ainsi définies. Chacun constatera que cette mesure est simple et non coercitive et qu’elle se démarque ainsi radicalement de la pratique du Capitalisme d’Etat qui nous inonde chaque jour d’innombrables règlement, décrets et arrêtés. De la sorte aucune activité financière ne serait interdite et chacun pourrait s’adonner au commerce de l’argent à ses risques et périls, la seule différence avec le régime actuel résidant dans le fait qu’aucune loi, ni aucun tribunal ne serait fondé à protéger les acteurs ou trancher les litiges issus de leurs transactions. Et c’est cela qui ferait la différence et sonnerait le glas du capitalisme, plus sûrement et plus pacifiquement qu’une révolution armée, ce dont les antiautoritaires ne veulent pas.