L’individualisme mortifère
Psychopathologie dégénérative contemporaine
Ne croyez pas que l’individualisme soit l’antonyme du grégarisme. Bien au contraire nous sommes en présence de deux complémentaires formant unité. Les foules anonymes sont en effet des agglomérats de monades1 presque totalement closes sur elles-mêmes, sans porte ni fenêtre sur le réel au-delà des fausses-semblances qui les enveloppent d’un brouillard virtuel. Monades qui s’agrègent le temps d’un dimanche d’hiver lorsqu’une forte décharge voltaïque les a traversés et a fait s’agiter convulsivement les membres inférieurs de ce grand batracien collectif décérébré.
L’homme civilisé “animal social”
Nous sommes à l’âge de l’individualisme. Généralement plus on est individualiste et moins l’on est individualisé. L’homme, Aristoteles dixit, est un “animal politique”, autrement dit “social”. Sauf en des circonstances particulières, l’homme craint la solitude autant que le chien domestique redoute de perdre son maître. L’homme moderne, celui de la πόλις [cité] grecque, était parvenu à s’affranchir de la promiscuité primitive. Sociétés archaïques non pas égalitaires comme veulent nous le faire croire les chantres d’un chimérique communisme originel, mais dominées par les forts, les violents, les cruels, chefs et sorciers. En Afrique des forêts, l’idylle originelle si complaisamment décrite par les humanitariens et autres fumistes prompts à encenser le « bon sauvage » façon Rousseau, continueront d’ignorer que le pouvoir traditionnel à l’ombre des grands arbres, s’accompagnait le plus souvent du règne de la terreur quotidienne. Un monde de magie noire où les mal loti se réveillaient chaque matin en se demandant s’ils n’allaient pas être désignés comme les prochaines victimes afin d’apaiser le courroux des esprits. À l’heure actuelle certaines pratiques cannibales n’ont d’ailleurs pas disparues d’Afrique occidentale, mais il est de bon ton de les passer sous silence… Car dire les choses dans leur crue nudité, ne point appartenir au grand corps sans tête de la multitude démocratique, ou qui se croit telle, par exemple n’être point Charlie et se déclarer Donbass, n’est-ce pas là pas une forme de révisionnisme qu’il s’agit urgemment de corriger et peut-être même de châtier ?
La démo-aristocratie athénienne
Donc la civilisation moderne née de la démocratie athénienne - qui était en réalité une aristocratie citoyenne d’armateurs, de commerçants et de soldats laboureurs - était parvenue à façonner des individualités à la fois libres et unies dans la défense des intérêts vitaux de la Cité aussi bien que pour son administration ordinaire. L’histoire de la civilisation occidentale sera à partir de là celle des droits personnels, ceux des hommes libres, par opposition à ceux qui se trouvaient dans les rets du servage. D’ailleurs gardons-nous bien de croire que les esclaves ne possédaient aucun droit à Rome ni après, avant l’abolition de l’état de servitude. Mais tel n’est pas notre propos. Ce droit des gens trouvera l’une de ses expressions achevées dans l’habeas corpus3. Et comme le note l’écrivain et académicien Amin Maalouf4, les Croisés apporteront avec eux en Terre Sainte la notion tout à fait inédite des droits individuels pour la plus grande satisfaction des fellahs [paysans] jusqu’alors soumis à l’arbitraire des pouvoirs traditionnels et de l’ordinaire despotisme oriental5.
Propos liminaire utile pour comprendre que la civilisation moderne s’est bâtie sur un équilibre subtil entre les pouvoirs souverains, les corps intermédiaires et la personne en tant que telle. Cet équilibre sera détruit par la Révolution qui, en écrasant la hiérarchie des pouvoirs sociaux (loi Le Chapelier du 14 juin 1791 proscrivant les corporations de métiers, les rassemblements paysans et ouvriers, le compagnonnage), va laisser l’individu seul face au Moloch étatique. Dès lors l’État déifié, érigé en parousie de l’histoire [fin/achèvement] par l’Allemand Hegel puis par son suiveur Karl Marx, n’aura de cesse de cannibaliser toutes les enveloppes sociologiques qui protégeaient l’individu et lui permettait d’exister en tant que tel. Le processus n’a jamais cessé depuis février 1790 et la dissolution du Parlement de Bretagne.
L’individu isolé face au Moloch étatique
De nos jours, les derniers refuges où l’individu pouvait s’épanouir dans le lien social, en tant qu’animal politique, se défont un à un. Désormais l’entreprise, hormis artisanale, n’est plus guère patrimoniale et l’État s’ingère jusqu’aux tréfonds de la vie économique et de la vie de chacun. La tyrannie hygiéniste en est une illustration. Tout est peu ou prou interdit, réprouvé, exception faite de la dépravation sexuelle explicitement encouragée. L’agriculture paysanne n’est plus que résiduelle et les villages se meurent. Dernier bastion et refuge de l’individu, la famille est en cours de déconstruction, battue en brèche par tous les encouragements à ce qu’autrefois, il y a peu encore, l’on nommait la “débauche”. Autant de comportements que la loi et la morale réprimaient jadis. À présent, ce sont ceux qui stigmatisent le relâchement des mœurs - et de tous les sphincters sociétaux - qui sont réprouvés voire sanctionnés… pour révisionnisme, autant dire pour crime contre la pensée unique et totalitaire.
L’individu n’existe donc plus là ou l’État décide seul de ce que nos pensées doivent être. Quand la Bureaucratie céleste dit le bien et du mal dans l’arbitraire le plus absolu fixé la Loi, cela en négation de tout ordre naturel ou transcendantal, quand elle établit la tyrannie du Bien suivant ses propres critères, quand les constructions nominales défient la réalité du monde, quand l’empire des mots et des abstractions délirantes s’imposent – “le mariage pour tous”, l’Égalité, la Liberté – alors l’individu résiduel se voit enrôlé dans une termitière à visage inhumain. L’archipel du goulag mental est certes plus doux que celui du septentrion sibérien, mais il n’en est pas moins déshumanisant, au contraire, car il est sans espoir et ne possède que peu d’issues.
En marche vers l’extra animalité sociétale
Plus l’homme s’éloigne de l’animal politique aristotélicien, plus il sort du règne… animal et humain ! Les pratiques de sexualité extrême – celles d’un Strauss-Kahn adepte de la sodomie avec violence ou de ce chef du protocole de la rue Beauvau habitué des égouts de Berlin et de la coprophagie de groupe… tous excipant de leur Liberté et du respect de leur vie privée - encouragées et plus encore admirées par des gens réputés normaux, ne sont pas régressives en tant que telles, cela est bien pire ! Dans cette course à l’abîme, l’on se demande quelle sera la prochaine étape. Pourquoi pas les sacrifices humains que « La vilaine Lulu » pratiquait sous forme ludique dans la bande dessinée d’Yves St Laurent5 ? Le cannibalisme mondain déjà en vogue sur internet6 ? Concluons provisoirement que cette vertigineuse déstructuration comportementale fait sortir l’homo sapiens de tout ordre naturel et le place en deçà de la bête, hors du règne animal et humain, avons-nous déjà dit ! À ce stade nos sociétés ne sont plus très éloignés des Morlocks que HG Wells décrits dans « La Machine à explorer le temps » [1895].
Chacun aura donc compris que le processus d’atomisation sociale, de désindividualisation, de réduction tendancielle de la personne à une monade entièrement programmée par les oukases étatiques, au sein d’une masse uniformisée, processus amorcé avec et par la Révolution de la Liberté et de l’Égalité, est en progrès constant. C’est d’ailleurs là le plus grand progrès visible ! Que ce mouvement conduit à une déconstruction de la société pour la ramener au stade du sanglant arbitraire qu’exerçaient dans les sociétés primitives, notamment du Continent noir, le couple du roi et du sorcier. Situation qui se dessine à présent comme l’avenir de la civilisation… si tant est que l’on puisse encore appliquer ce vocable à l’humanité mondialisée tombée sous la férule des Grands initiés de la tabula rasa et de la rédemption par le mal !
Le drame est que l’homme moderne, trop souvent soumis aux séances d’hypnose télévisuelle, soit des heures et des heures de décérébration quotidiennes et de déconstruction de la personnalité, se coule dans ce moule sans douleur apparente… en ayant apparemment abandonné tout exercice de la raison critique, et même de la raison tout court. C’est ce qu’à fait entrevoir la marche à l’abîme des lemmings du 11 janvier, lesquels ne soupçonnaient pas les malheureux, qu’en battant le pavé ils acquiesçaient à la guerre. Conflit bi-front, l’Occident crépusculaire en conflit quasi ouvert avec la puissance orthodoxe russe – l’un des affrontements théorisés en 1993 par Samuel Huntington dans son « Choc des civilisations », lequel, bien entendu, ne concerne pas uniquement l’Islam – en Ukraine mais également en Syrie, dernier espace géopolitique à se maintenir vaille que vaille dans le chaos environnant !
À suivre…
Notes :
1 – La monade est étymologiquement l’unité [μονάς]. Ici prise au sens leibnizien, elle est l’élément vital minimal, soit une forme substantielle élémentaire… une sorte de miroir reflétant l'univers réduit à la seule doxa, l’opinion flottante, erratiques des masses et de leurs mentors. Agglutinats de monades sans conscience ni mémoire individuelles, soumises aux courants émotionnels qui les traversent et les tétanisent, peur, espoir, haine, avidité…
2 – Les libres prisonniers de guerre des tribus amazoniennes Tupi-Guarani attendaient, sans chercher à s’évader et en toute connaissance de cause, d’être rituellement dévorés par leurs hôtes. Car en cas de fuite la selve les eut engloutis encore plus sûrement. En ce cas mieux valait la compagnie de leurs semblables et la prolongation à durée indéterminée de leur existence autrement et immanquablement vouée aux crocs aigus du jaguar. Voir « La Tragédie cannibale Tupi-Guarani » Isabelle Combes 1992.
3 – L’habeas corpus ad subjiciendum et recipiendum définit la liberté fondamentale de ne pas être pris de corps sans jugement. Un principe juridique déjà présent dans le droit romain, que stabilise en Angleterre l’Habeas Corpus Act de 1679.
4 – Membre de l’Institut de France depuis 2011, le franco-libanais Maalouf apporte ce point de vue original à la fin de son essai historique paru en 1983 « Les Croisades vues par les Arabe ». À savoir selon Wikipedia, « la capacité des occidentaux à s'organiser autour de la notion de droit pour établir des règles efficaces de dévolution du pouvoir ».
5 – Cf. Karl August Wittfogel (1896/1988), influencé par le proto néoconservateur James Burnham, théoricien de la domination mondiale, il publie en 1957 à New York « Le Despotisme oriental ».
6 - Présentation du site commercial amazon : « En 1967, Claude Tchou publie “La vilaine Lulu”, la seule BD écrite et dessinée par Yves Saint Laurent. Dans un style naïf, presque enfantin, Yves Saint-Laurent se moque parfois avec cruauté, souvent avec humour, toujours avec intelligence, de ses contemporains, de ses proches, du milieu de la mode et des mœurs de l’époque. L’ensemble est mordant et drôle, et n’a pas pris une ride ». Nous avons en effet, de la main du compagnon, de Pierre Bergé le catalogue raisonné de toutes les turpitudes contemporaines !
7 – En 2001, une dizaine de milliers de réponses à l’offre d’autophagie in vivo offerte par Armin Meiwes le dépeceur de Rothenburg sur un site dédié au cannibalisme. Plus près : au cours de l’été 2014, un policier allemand se trouve accusé d'avoir tué et dépecé un homme rencontré en ligne [nouvelobs.com22août14]. Comme pour le sieur Strauss-Kahn, la rhétorique est partout identique et leurs avocats plaident pour « le libertinage, le libre choix de pratiques sexuelles entre adultes consentants, droits inaliénables reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme ». Les accusés se présentant chaque fois comme victimes de « croisades aux relents puritains et liberticides, attentatoire au droit à la vie privée ». Or, comme l’a rappelé la présidente du tribunal correctionnel appelé à juger M. Strauss-Kahn pour proxénétisme aggravé, celle-ci entend bien être « la gardienne de la loi et non pas de l'ordre moral ». Ce qui, comme le soulignait déjà en mars 2012 maître Frédérique Beaulieu, l’un des conseillers du prévenu, serait la négation de l’État de droit. Resterait à savoir quelles valeurs précises sont maintenant fondatrices du droit si ce n’est l’arbitraire définitif de l’idéologie dominante ?
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