L’industrie des consciences
Je m’excuse d’ores et déjà pour ce titre qui vous intrigue sûrement, vous rappelle probablement l’odeur de la science-fiction et de George Orwell, et vous fait peut-être même un peu peur.
A vrai dire, vous faire peur, c’est un peu mon but, car moi j’ai un peu peur d’un truc : l’avènement de l’industrie des consciences. Si je n’étais pas un être complexe, j’aurais simplement écrit : le bourrage de crânes organisé.
Pourquoi je dis ça ?
Parce que depuis quelques jours se développe une laide unanimité quant à la réforme des universités, vous savez, ce bijou signé Valérie Pécresse qui vise à donner aux universités plus d’autonomie.
Tout le monde salue cette réforme qui va permettre (aucun doute possible, nada !) de redonner de la couleur à nos universités, ces espaces désertiques, infertiles, où vagabondent des jeunes lève-tard, décérébrés et sans avenir professionnel...
Rien que pour vous, un petit échantillon de tous ceux qui défendent ce projet corps et âme et considèrent ses détracteurs comme la pire des espèces, la racaille gauchisante et anarcho-communiste.
- Pour L’Express, c’est le rédacteur Chritophe Barbier, dans son édito-vidéo quotidien, qui va au front de la lutte contre la racaille estudiantine revancharde qui organise grèves et blocus : selon Barbier, il s’agirait pour ces jeunes grévistes "d’empêcher la mutation de l’université vers l’excellence, l’efficacité, la capacité de l’intelligence française à participer à la compétition mondiale". C’est tout Christophe ? Bah merci pour ces belles pensées, à la fois pragmatiques et impartiales. Quel sens aigu du journalisme d’information et d’investigation !
- Pour prendre un autre exemple (il y en a plus qu’il n’en faut) des tenants de la vérité, Versac, 1er bloggeur politique de France. Il n’y va pas par quatre chemins ; il y va par la voie moralisatrice, en se mettant habilement du côté des bloqueurs-grévistes pour les ridiculiser au plus haut point. Lisez ça, c’est du grand art ! Alors bien sûr je m’insurge, et je réponds à Versac pour lui dire qu’il ne peut pas considérer les étudiants grévistes comme des idiots gauchistes décérébrés. Il me répond ceci : "Leptitbenji : je ne dis pas que l’université française va mal, est nulle, et à jeter avec le bébé, l’eau du bain et tout le reste. Cette réforme évolue sur des points essentiels, dans un sens à mon avis pas assez poussé (au global, hein, parce qu’il y a quelques éléments à discuter sur l’autonomie du pdt d’univ). Elle n’est pas la solution ultime aux enjeux de l’enseignement supérieur (elle est même un peu bancale), mais il me semble assez essentiel qu’elle passe." Il recule donc un peu après mon rappel à l’ordre, émet quelques réserves, mais le mal est fait... Lui aussi a délivré la bonne parole, avec arrogance en plus.
Mais la réforme des universités n’est pas tout. Il y a aussi la réforme des régimes spéciaux. Là aussi, tout le monde est unanime, médias, journalistes, éditorialistes... et surtout l’"écrasante majorité des Français".
Parmi les pourfendeurs des grévistes de la SNCF (vous savez, ces profiteurs, ces privilégiés), il y a par exemple ceci :
Dans Le Point (pas étonnant, c’est le journal du triste Franz-Olivier Giesbert), l’économiste Jacques Marseille nous signe un beau pamphlet réactionnaire, et nous dit à propos de cette réforme : "Soit ce mardi marquera le premier jour de l’an I d’une République nouvelle plus équitable et plus solidaire. Soit il sera le jour de grisaille d’une société d’ancien régime où la ’rue’, comme ils disent, aura imposé sa loi, non pas seulement à un gouvernement légitime, mais aussi, et surtout, à une majorité écrasante de Français littéralement abasourdis, sinon indignés, par une telle coalition d’égoïsmes." Que c’est tragique ! La "rue" tente d’imposer sa loi, "attention, tous aux abris et lâchons les CRS, la mère patrie est en danger" !
Dans le même genre, et surtout dans le même journal, Claude Imbert ne mâche pas non plus ses mots : "Que la grève et la rue abolissent une réforme approuvée par le vote, c’est le but proclamé des grévistes de novembre. Qu’ainsi la démocratie française soit violentée dans un principe essentiel, c’est la vérité toute nue que les politiques font semblant d’ignorer." Hilarant ! Parce qu’un texte a été voté, personne ne doit défiler et faire grève ! Car c’est un déni de démocratie ! Mais alors à quoi sert la grève, monsieur Imbert ?
Voilà, ces quelques exemples montrent avec quelle virulence peut s’affirmer la "bonne parole". Cette unanimité marque selon moi l’avènement de l’industrie des consciences, c’est-à-dire qu’on tente de façonner les idées des Français en les manipulant, comme la matière première dans n’importe quelle industrie. Le pire, c’est que cette grande manipulation s’opère sans aucun contre-pouvoir, sans la moindre prise de conscience... L’intelligentsia (médias, pseudo-experts et pseudo-journalistes qui ne sont en fait que des antigauchistes réactionnaires pour une partie d’entre eux) entreprend depuis quelques jours, sur ces deux sujets d’actualité, un macabre bourrage de crânes.
C’est l’avènement de l’industrie des consciences, et ce n’est pas de la science-fiction.
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