L’insolite question de la police australienne : « Do you have any criminal convictions ? »
Avant les bonds de kangourous ou la pêche collective des pélicans en flotille, un curieux usage surprend le touriste qui arrive en Australie : la fiche qu’il doit remplir en passant devant la police et la douane, commence par une question inattendue suivie d’une dizaine d’autres sur les denrées interdites d’importation qu’il doit déclarer détenir ou non : « Do you have any criminal conviction/s ? Yes – No »
Une question à valeur pédagogique ?
Qu’on soit ou non familier de la langue anglaise, le terme « conviction » est ambigu, car il peut aussi bien signifier « condamnation » que « croyance ».
Selon une amie australienne à qui on faisait part de son étonnement, cette question s’inscrirait dans le contexte d’éventuelles poursuites ultérieures au cas où le touriste se rendrait coupable d’infractions alors qu’il aurait nié en avoir déjà commise. Cette dissimulation préalable de sa ou ses « condamnations / croyances criminelles » lui vaudrait une sévérité accrue de la part de la justice. En somme, cette question curieuse aurait valeur pédagogique afin de mettre l’intéressé devant ses responsabilités en l’informant d’avance des risques qu’il prendrait à ne pas être sincère.
Si telle est la stratégie des autorités australiennes, on reste sceptique sur son usage et son efficacité pour trois raisons.
1- Un droit à l’oubli méconnu
La première est que si « conviction » signifie « condamnation », demander à une personne de préciser ses « condamnations criminelles » passées revient à lui refuser, après l’expiation de sa peine, le droit à l’oubli qu’accorde une justice démocratique.
2- Un soupçon de délit d’opinion ?
La seconde est que si « conviction » signifie cette fois « croyance », demander à une personne si elle professe des « croyances criminelles » consiste à instituer « le délit d’opinion » qui est le propre de la tyrannie et non de la démocratie qui ne sanctionne pas en principe des convictions, fussent-elles criminelles, mais seulement des actes. On peut avoir des « convictions criminelles » et ne jamais passer à l’acte. Inversement, on peut n’avoir aucune conviction criminelle et commettre une infraction plus ou moins grave selon les circonstances.
3- Une question trahissant une mythologie de l’information
La troisième raison qui fait douter de la pertinence de la stratégie des autorités australiennes, est que cette question relève d’une mythologie promotionnelle de l’information répandue par les médias avec constance mais que l’expérience dément tous les jours. Existe-t-il un seul être humain sensé capable de répondre « oui » à la question : « Avez vous des condamnations/ convictions criminelles ? » ? Ne s’exposerait-il pas immédiatement à une légitime riposte des autorités pour protéger la société qu’elles ont en charge, contre la menace qu’il représenterait ?
La première préoccupation de l’être vivant, homme ou animal, est de survivre et donc de se protéger contre tous les dangers : ceux qui ne dépendent pas de lui sont déjà assez nombreux pour qu’il n’éprouve pas le besoin d’en ajouter d’autres par sa propre conduite. Une représentation fidèle de la réalité comme l’aveu candide de « condamnation/conviction criminelle » ne peut que déclencher une riposte de son entourage. Il est donc de son intérêt, s’il a fait l’objet de condamnations ou s’il professe des croyances criminelles, de les dissimuler et de ne donner qu’une représentation infidèle de la réalité.
Nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Tel est le principe fondamental qui régit « la relation d’information ». N’en déplaise à la mythologie promotionnelle de l’information diffusée par les médias, une information n’est pas « une représentation toujours fidèle de la réalité », appelée « vérité ». Elle n’en est qu’ « une représentation plus ou moins fidèle », selon les intérêts de celui qui la livre. Ce n’est pas la malignité qui dicte d’abord cette conduite mais avant tout la nécessité puisque la survie de l’être vivant en dépend.
La question des autorités australiennes apparaît donc dans ce contexte comme insolite, dangereuse et même oiseuse. Car une justice démocratique, d’une part, accorde le droit à l’oubli une fois la peine expiée et, d’autre part, ne connaissant pas le délit d’opinion, ne punit pas les croyances des citoyens, fussent-elles criminelles, mais seulement leurs actes illégaux. Enfin la relation d’information repose sur un principe de survie propre à tout être vivant qui l’incite à ne pas s’exposer aux coups d’autrui, en particulier par la dissimulation de l’information qui lui est nuisible. On prête à Churchill cet aphorisme : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait toujours être protégée par un rempart de mensonges ». Est-il si exagéré de prétendre que l’être vivant est en guerre permanente pour assurer sa survie et qu’instinctivement il est contraint d’appliquer cette règle ? Paul Villach
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