L’instinct de la ruche
Profitons de la trêve préélectorale pendant laquelle rien de fâcheux ne se passe parce que ce n'est pas l'intérêt des différents groupes de pression, pour réfléchir sur le fonctionnement de la société. Il n'y aura donc ni critères de Bruxelles, ni manifestations syndicales, ni attentats pendant quelque temps, ce qui alimente cette impression un peu étrange de fausse sécurité dans laquelle nous baignons.
L'homme est un animal social
Si vous avez l'occasion de faire un vol de nuit, il est frappant de constater la tendance de l'humanité à se rassembler en groupes compacts en observant la répartition des lumières à la surface du globe, presque tout est plongé dans le noir, à part les grandes villes. Ce comportement est très clairement celui des êtres vivants qui fonctionnent sur le modèle de la ruche, leur autonomie leur permettant seulement quelques excursions à l'extérieur avant de revenir bien vite dans le sein confortable de leur ville-cocon. De nombreux êtres humains ne se sentent d'ailleurs pas très bien s'ils sont restés éloignés trop longtemps de leur terre natale.
Avec l'accroissement de la population sur l'ensemble du globe, tout autre modèle de société devient caduc. Le quotidien deviendrait vite invivable si chacun pouvait prétendre à faire ce qui lui plaît. C'est ainsi que nous sommes constamment sollicités, gentiment mais fermement, à nous conduire de manière à ne heurter personne. Nous offrons donc des cadeaux aux anniversaires, même aux personnes qui ne nous plaisent pas forcément, sacrifions aux rites commerciaux des différentes fêtes de l'année, et faisons notre possible pour montrer une belle image de nous-même en toutes circonstances. Le rôle des femmes à cet égard est considérable, pour la simple raison qu'elles forment un réseau de relations humaines nettement plus serré que celui des hommes, qui sont toujours plus ou moins en compétition. Certes, les femmes sont aussi en compétition, mais comme elles donnent la primauté au réseau, cela passe davantage par la communication que par les réalisations. La plupart du temps, ce sont elles qui donnent le « la » de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Même dans des communautés très patriarcales comme celles pratiquant l'islam, elles se sentent investies de ce rôle.
Nous sommes ainsi formatés à notre insu par de multiples codes sociaux que nous intégrons enfant sans même nous en rendre compte, concernant la manière de s'habiller en différentes circonstances, que ce soit dans un cocktail, au travail ou même en pratiquant un sport de loisir. A différents groupes sociaux correspondent évidemment des codes différents, comme les adolescents qui ont leurs propres codes de reconnaissance.
Beaucoup de gens n'ont pas vraiment conscience de la liberté qu'ils ont perdu durant ce dernier siècle, qui est pourtant considérable. Les personnes âgées ont connu le temps où elles pouvaient pêcher ou chasser librement ou presque, et se promener un peu partout à leur guise, même si les frontières existaient. La pression de la mode accompagnée de ses multiples gadgets ainsi que de la publicité envahissante ne se faisait presque pas sentir. Les gens ordinaires n'étaient pas pistés par les traces laissées sur internet, leur smartphone ou leur carte bancaire. Aujourd'hui, des organisations ayant des moyens financiers important peuvent pratiquement tout savoir sur les habitudes de n'importe qui.
Mais au fond, tout cela importe peu à l'individu qui troque volontiers son individualisme pour la sécurité de la ville protectrice qui lui apporte à la fois confort et divertissements, même si ceux-ci sont quelque peu artificiels. Si l'argent prend une place si importante dans la vie, c'est évidemment parce qu'il valorise son détenteur par rapport aux autres, mais c'est aussi parce qu'il permet d'obtenir plus de liberté d'action que n'en ont la plupart des gens. Le fonctionnement d'une grande métropole repose sur différents réseaux tels que l’électricité, les transports, le téléphone mobile, les approvisionnements divers, qui sont tous plus ou moins vulnérables à des attaques malveillantes. Pour se prémunir contre cette fragilité, le pouvoir n'a d'autres choix que de surveiller les individus le plus étroitement possible, ce qui a pour conséquence de diminuer leur liberté, c'est une tendance lourde qui prédomine à partir d'un certain niveau de complexité. Ceci va naturellement affecter de plus en plus les comportements, et il est très possible que ce soit une cause indirecte des relations de plus en plus difficiles entre les sexes.
La caisse de résonance médiatique
Le rôle des médias, que ce soit la presse, la télévision ou les sites en ligne, ne se limite pas, et de loin, à la diffusion des informations. Il prétendent également les sélectionner et les décrypter, ce qui est éminemment subjectif. Pour que la conscience collective puisse faire ses choix en toute connaissance de cause, il faudrait que la présentation des événements ne soit pas biaisée par des préjugés, ni uniforme, mais que tous les points de vue possibles puissent s'exprimer.
Ce n'est bien évidemment pas le cas, parce qu'il faut beaucoup d'argent pour diffuser un média de masse, et ceux qui paient ne sont pas vraiment des philanthropes. Le service public de la télévision en est un cas caricatural, l'état ayant intérêt à ce que son action ne soit pas ouvertement contrecarrée par des journalistes qu'il considère comme ses salariés. Les grands groupes de presse ne sont guère mieux lotis, la concentration grandissante des titres ne favorise pas la multiplicité des opinions, le poids financier du groupe devient rapidement déterminant dans l'orientation des journaux.
Une distorsion finit donc par se créer entre le public et les médias qui ne jouent plus ce rôle de caisse de résonance qui est leur fonction principale, alimentant l'impression qu'ils ne font plus leur travail correctement, et déclenchant un ressentiment diffus contre la profession. Malgré les pressions subies, les informations indésirables cheminent quand même au sein de la population, et finissent par déclencher avec un certain retard une réaction instinctive de survie. Mais bien souvent, le travail de préparation et de réflexion n'ayant pas été fait par les spécialistes de l'information, il en résulte une sorte d'improvisation désordonnée, comme nous l'avons constaté avec le Brexit ou l'élection de Trump.
Ce jeu est de plus en plus dangereux car il laisse de côté une population nombreuse qui ne se reconnaît plus dans les opinions émises en public, malgré le courage de quelques intellectuels isolés. La situation est pire que celle des dissidents de l'époque de l'Union Soviétique, car ceux-ci étaient appuyés par ce que l'on appelait le monde libre, où ils pouvaient quelquefois trouver refuge. L'ironie du sort fait que ce « monde libre » est désormais la proie d'un totalitarisme idéologique qui ne supporte plus la moindre contestation. Même les USA, qui étaient autrefois les champions de la liberté d'opinion, sont soumis aujourd'hui au joug du politiquement correct. Si quelqu'un ose brutalement remettre en question le dogme de l'immigration heureuse, ou simplement dire que les noirs devraient arrêter de se poser en victimes et galérer pour trouver du travail comme tout le monde, c'est la levée de boucliers et des manifestations sans fin. Les réactions à l'élection de Trump furent suffisamment éloquentes.
Mais du point de vue de la ruche, ce corset de fer médiatique n'est pas tenable, il va bientôt se décomposer sous l'emprise de la nécessité. Même les aides financières ne pourront maintenir à flot des contenus journalistiques en total décalage avec le ressenti des gens, une sorte d'immunisation va se développer et les gens n'écouteront plus, ils zapperont les informations comme ils le font avec la publicité.
La démocratie et la liberté individuelle
Il est courant de penser que le régime démocratique est celui qui favorise le plus la liberté d'expression individuelle. Cependant, il est légitime de se demander en quoi le fait de confier le pouvoir de décision à la majorité a quelque chose à y voir. Les marxistes utilisaient l'expression « la dictature du prolétariat », je ne pense donc pas qu'elle puisse favoriser une quelconque liberté individuelle.
En réalité, le principe qui sous-tend la démocratie est que l'esprit collectif est plus fiable et plus sage que celui de n'importe quel individu, fut-il un génie. En cas de menace ou de danger, c'est à lui que l'on confie le soin de trouver la solution adaptée, et non à un individu qui aurait étudié longuement le problème et trouvé une solution convenable. Avec le poids des nombres, aucun électeur ne peut penser que son vote particulier est déterminant, le choix est donc celui de la collectivité.
Comme pour les abeilles, ce fonctionnement collectif n'est possible que par des interactions incessantes entre les différents membres de la communauté. Il y a seulement quelques siècles, les communications étaient bien trop lentes pour qu'un régime démocratique puisse fonctionner dans une région de grande taille, les anciennes cités grecques n'ont pas exporté très loin leur modèle. La situation actuelle est complètement différente avec la diffusion instantanée de l'information (et naturellement de la désinformation).
Cependant, la vitesse et la quantité d'information disponibles ne suffisent pas à assurer la réussite des décisions collectives, les faits bruts n'ayant que peu de sens par eux-mêmes, il est nécessaire de savoir les trier et les interpréter. Ce genre de compétence n'est malheureusement pas inné et dépend fortement de la formation à la réflexion, de la capacité de synthèse, bref du niveau d'éducation en général. Contrairement aux discours pompeux affichés ostensiblement par tous les gouvernements, ce secteur est généralement considéré comme la cinquième roue de la charrette. Les résultats sont en général difficiles à obtenir et ne sont visibles qu'à long terme, ce qui ne rapporte rien en terme de votes à ceux qui mettent en place des réformes. La vision des dirigeants s'est raccourcie drastiquement, et si il y a trois siècles on plantait des chênes pour que deux générations après on puisse les utiliser, cela devient rare à notre époque. Si l'apprentissage est important pour un animal en liberté, il l'est beaucoup moins pour des poulets en batterie, notre environnement contrôlé est donc une faible incitation à une instruction poussée.
La conséquence de cette tendance au laisser aller de l'éducation est une baisse inévitable de la sagesse populaire. Les choix électoraux deviennent moins bons et les gouvernants franchement médiocres d'une façon générale. Sans expérience ni étude de l'histoire, le peuple est intellectuellement désarmé et incapable de déceler de vrais talents chez les hommes politiques. La démocratie ne vaut donc pas davantage que la qualité de l'éducation qui est prodiguée aux enfants, qui s'enfonce de plus en plus dans la facilité.
Pour conclure
Il n'y a pas de conclusion parce qu'aucun individu n'est vraiment capable de percevoir ce esprit collectif de qui nous dépendons. L'intuition de certains artistes, écrivains, peut être en phase et réussir à l'exprimer momentanément mais jamais clairement ni complètement, à mon avis. C'est peut-être le côté le plus passionnant de l'histoire humaine, finalement.
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