L’Institut Montaigne propose onze solutions pour sauver la presse quotidienne d’information
Le débat de la rentrée de l’IM vient d’avoir lieu jeudi soir dernier dans la salle cossue du siège de l’assureur Axa. Sur l’estrade, autour de l’animateur Philippe Manière, Olivier Fleurot, ancien directeur général du Financial Times et des Echos, Denis Muzet de Médiascopie, et l’incontournable Serge July, qui a sûrement contribué à rendre la salle comble. Les « people » font encore déplacer les foules.
Cette génération expérimentée a battu sa coulpe durant plus d’une heure, en confessant son manque de vision depuis 1996 sur la « révolution numérique » en mouvement qui allait souffler un ouragan dans l’industrie de l’édition au sens large. Je me rappelle avoir quitté la direction de la communication de Schlumberger Technologies la même année. Les ingénieurs de cette noble institution ne croyaient que dans leurs tuyaux à haut débit, et absolument pas dans les contenus ni dans le pouvoir des internautes éditeurs que l’on appelle maintenant Web 2.0. Olivier Fleurot côtoie en Angleterre une industrie de la presse avec des journalistes OxBridge (diplômés de Oxford ou de Cambridge) de grande qualité qui deviennent des patrons de banque ou d’institutions. Ce conseiller du groupe Pearson sait que la presse française actuelle ne doit surtout pas être sauvée avec des subventions de l’Etat, qui ont prouvé leur inefficacité, mais sans doute avec une fiscalité encourageante. Il croit aussi dans une presse écrite dominicale, avec des journalistes polyvalents dans l’écriture, l’image et le son. Les investisseurs européens ne vont pas tarder à conquérir la France pour construire ce nouveau modèle. Serge July les accueillerait bien volontiers pour que ses éditoriaux soient téléchargés sur des écrans A4 à partir d’un signal radio émis par un horodateur de Parkéon qui offrira beaucoup plus que le simple règlement du stationnement en ville.
La France change sans le savoir, et sans réforme conduite par des gouvernements ou des organisations syndicales, figés dans le siècle précédent
L’ouragan « Catherina » de la vague Internet a formé un cyclone qui a aspiré les valeurs conservatrices de la presse française en érigeant le « nombre et la gratuité » comme la première règle économique. Certes, ces deux critères existaient déjà. L’audimat mesure le nombre de médias consommateurs et fixe les prix des spots publicitaires. La radio ou certaines chaînes de télévision ont toujours été gratuites. Pourtant les annonceurs, concubins aussi du pouvoir, continuent de payer une page du Monde plus cher que celle de Métro, alors qu’il existe un rapport de 1 à 4 en nombre de lecteurs.
Mais le média des médias - Internet - offre presque toutes ses valeurs ajoutées gratuitement. Google a maîtrisé ce modèle sans être le pionnier des moteurs de recherche. Le logo multicolore de l’information gratuite rafle encore 80% de la publicité. Les quotidiens gratuits comme Métro ou 20Minutes absorbent ce qui reste de la publicité.
Des familles comme Hersant ou Amaury ont dû investir des dizaines d’années pour bâtir une image de marque comme Le Figaro ou Le Parisien, image institutionnelle qui permettait de fidéliser des centaines de milliers de lecteurs. La barrière aux nouveaux entrants est tombée comme le mur de Berlin. L’absence d’investissement dans une industrie française plurimédias et le basculement de la publicité vers les médias numériques font disparaître ce modèle économique depuis 1998. La presse anglo-saxonne verticalisée est aussi touchée à son tour.
Les propositions de l’IM semblent avoir été soufflées par de hauts fonctionnaires utopistes. Elles sont enfermées dans un schéma français décalé de beaucoup de réalités. Onze propositions qui se résument avec : un plan de financement de l’Etat remboursable en cas d’échec ; abolition du monopole du syndicat du livre CGT ; aides à la modernisation des imprimeries ; informatisation des circuits de distribution ; suppression subventionnée du monopole des kiosquiers et des concentrations locales ; abonnement gratuit trois mois pour les jeunes ; augmentation des salaires des journalistes avec une part des droits d’auteur ; alignement des indemnités de licenciement des journalistes sur le régime du droit commun.
Comment sauver les journalistes ?
Les bons journalistes se sauveront eux-mêmes en animant leur blog. Les analystes-spécialistes inconnus dans le monde des stars et désargentés (sans subvention) n’ont pas besoin d’un an pour manipuler le verbe aussi bien que 80% des journalistes - dits professionnels - et approfondir régulièrement un sujet d’actualité de manière instantanée avec des caractères, du son et des images. Co-fondateur de W2Média, je connais ces journalistes sans carte tricolore qui gagnent déjà des milliers d’euros avec leur clavier. Bref, une cellule isolée offre son témoignage parfois insolent, en direct, et disponible sur tous les continents. Cet autre observateur anonyme rapporte des événements en concurrence avec les diffusions des organismes de presse mondiaux. On ne dit plus « 30 millions d’amis », mais trente millions d’internautes français qui prennent, en silence, le pouvoir des candidats au Panthéon. Les journalistes « tricolores » des éditions en ligne sont encore les smicards des grands titres, cloisonnés par des quinquas, concubins des ministres de la République. Ces prolétaires des rédactions numériques deviennent progressivement les nouveaux élus, par la simple comptabilité du nombre d’abonnés aux fils RSS de leur blog. Certaines signatures de presse, anoblies par leur fidélité à la ligne éditoriale, sauront quitter l’ancien régime pour animer leur blog aussi, et exprimer leur analyse authentique.
Comment sauver les lecteurs de la surabondance de l’information ?
Cette question n’est pas traitée dans le rapport ni dans le débat de jeudi soir. Pourtant tout le monde se plaint de la surinformation, mais aussi du clonage des lignes éditoriales partisanes des grandes marques de presse. Le volume d’actualités se compte en millions de pages pour seulement deux langues. Les abonnements aux alertes en ligne s’accumulent et le lecteur a le sentiment de perdre encore trop de temps à lire les fils d’actualités sans avoir le sentiment de savoir tout ce qu’il aurait aimé apprendre. Combien des membres de l’atelier médias de l’IM sont consommateurs d’informations en ligne ou rédacteurs d’un blog ? Trop peu pour comprendre cette évolution irréversible. Des logiciels de veille et de filtrage de l’information sont largement utilisés par les grandes entreprises. Le prix de ces nouveaux outils de traitement et d’analyse de l’information - créés il y a une dizaine d’années - devient abordable. Google Trends offre déjà des courbes volumétriques sur l’évolution d’un sujet sur le Web. Les lecteurs vont progressivement moins lire un article suggéré par son audience ou par l’image de son auteur. Ils recevront en temps réel des brèves gratuites filtrées sur leurs priorités. Ces internautes pourront aussi s’abonner à plusieurs synthèses mondiales quotidiennes, composées par des extraits d’analyses les plus lues et les plus commentées, sans droits d’auteur. Les analyses couvriront le périmètre de l’écrit, dont les livres, du son et de l’image. L’anonymat des informations authentiques remplacera les marques "people".
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