L’Italie de Charybde en Scylla
Au début du mois de mai, en Italie, le parti de la Ligue et le Mouvement « cinq étoiles » avaient fait leur l’adage du mariage de la carpe (brune) et du lapin (opportuniste) en proposant un nouveau gouvernement que les responsables de l'Union Européenne ont perçu comme une menace.
A la fin du mois, le 27 mai, le président de la République d’Italie, M. Sergio Mattarella, a opposé son veto à la nomination d'un ministre des finances eurosceptique pour tenter de rassurer les marchés financiers et dissiper la rumeur insistante d’un abandon de l’Euro par son pays. Or, sa décision pourrait bien avoir l’effet inverse de ce qu’il espérait.
Bien qu’il soit déjà arrivé qu’un président italien intervenienne pour bloquer la nomination d’un ministre jugé inapte, la décision de M. Mattarella est une première : son veto concerne les options politiques d'un candidat et non pas ses compétences techniques.
M. Mattarella n'avait pourtant pas hésité à accepter la candidature de M. Matteo Salvini, le leader de la Ligue, en tant que ministre de l'Intérieur, alors que celui-ci annonçait l’expulsion d'un demi-million de migrants et de réfugiés et ne cachait pas ses convictions racistes.
Le Mouvement des Cinq Étoiles et la Ligue ont refusé de proposer un autre candidat au poste de ministre des Finances. En attendant, M. Mattarella a réagi en nommant un cabinet de technocrates qui n’ont aucune chance d'obtenir une majorité parlementaire. Leur tâche se limitera à organiser des élections anticipées.
En fait, ce veto du président ne fait qu’exacerber la polarisation du spectacle politique, les Italiens étant contraints de rejoindre l'un de deux camps radicalement opposés :
- d'un côté, les partis qui soutiennent le président, défendent l'adhésion de l'Italie à la zone euro et prônent la continuité des politiques sociale et économique. Ils représentent « l'establishment » et gravitent autour du Parti démocrate, qui vient de perdre le pouvoir pouvoir. Leur victoire verrouillerait l'engagement de l'Italie vis-à-vis de l'UE et garantirait le maintien du statu quo économique. Synonyme de stagnation économique et chômage à deux chiffres.
- de l’autre côté, la Ligue et le Mouvement des cinq étoiles s’insurgent contre le diktat des marchés financiers transnationaux et de la bureaucratie de l'UE sur la « démocratie » italienne. Ils exigent que l'Italie "recouvre" sa souveraineté et cesse d'être "une colonie des Allemands ou des Français". Ces positions ont d’autant plus de succès que les « européens » eux-mêmes en remettent une couche. Lundi, le commissaire européen Guenther Oettinger a suscité l'indignation en déclarant que le coup de fouet des marchés financiers devrait dissuader les Italiens de voter pour les populistes.
Les marchés financiers en question ont réagi dans l’autre sens, avec la couardise coutumière à ceux qui détestent prendre les risques qu’ils mettent en avant pour justifier leurs prédations en périodes fastes. La bourse s'est effondrée parce que les prochaines élections seront perçues comme un référendum sur l'adhésion de l'Italie à la zone euro, alors que la décision de M. Mattarella a stimulé le camp nationaliste et radicalisé ses positions.
Les derniers sondages montrent que la popularité de la Ligue a presque doublé avec 27% de déclarations de vote (la Ligue a obtenu 17% lors des élections du 4 mars). Le Mouvement des cinq étoiles, lui, se maintient à 30 pour cent. L'Italie risque d’avoir écarté hierun ministre des finances eurosceptique pour se retrouver demain avec un gouvernement beaucoup plus véhément contre l'euro.
En fait, la situation en Italie reflète une tendance répandue un peu partout dans le monde, le partage de l'espace politique entre deux camps apparemment opposés, mais finalement symbiotiques :
- un des deux camps représente une nouvelle vague de nationalisme nourrie par le discrédit d'une « classe politique » accrochée à un modèle économique obsolète qui engendre l'inégalité et l'injustice et qui prive un nombre croissant de personnes de leur droit à une vie décente. Le soi-disant consensus de Washington (promouvoir la mondialisation néolibérale, les flux financiers sans entraves et l'explosion du commerce international) a du plomb dans l’aile et la tentative des vieux chevaux de retour discrédités de s'y accrocher ne fait qu’alimenter ces mouvements.
- L’autre camp, l'élite financiaro-industrielle, a besoin des nationalistes pour fonder sa dernière tentative de rester au pouvoir en les utilisant comme épouvantails à la manière d’Hillary Clinton qui avait déclaré en 2016 : « je suis le dernier rempart qui se dresse entre vous et l'apocalypse ». Le "vote utile" ou les appels franco-français au "réflexe républicain" en sont d'autres exemples. La dernière carte jouée par l’establishment est toujours celle de la peur de l’avenir. En Italie, le danger d'une rupture de la zone euro est utilisé pour effrayer l'électorat.
Les deux camps se renforcent mutuellement, tels l’abeille pollinisatrice et la fleur qui lui donne sont nectar.
Ce n'est pas un hasard si l'UE est la pierre d’achoppement de cette situation. Ses directives combinent des éléments de néolibéralisme débridé, comme le fonctionnement d’une banque centrale indifférente au sort des chômeurs, avec des éléments de solidarité internationale compensatoire (de moins en moins, d’ailleurs) sous la forme de fonds structurels pour les régions les plus pauvres du continent.
La monnaie commune affichait le projet de rapprocher les peuples et de favoriser le début d'une « démocratie transnationale » mais, tout comme les initiatives de M. Mattarella l’euro, une monnaie sans contrôle politique n’obéissant qu’aux objectifs « glacés du calcul égoïste » a abouti à un résultat contraire aux intentions affichées.
L'euro sépare les nations et les peuples et fragilise les états. Sans une transformation radicale des structures qui le constituent et sans une transformation radicale des institutions de l'UE qui donnent plus de pouvoirs à une commission non élue qu’à son parlement, la zone euro finira par se désintégrer, ce qui constituerait un tsunami, qu’on le souhaite ou pas. Or, ce qui est offert aux citoyens des pays constituant l’UE aux échéances électorales se résume à un faux choix entre la continuité suicidaire et l'implosion nationaliste.
Ce qui se passe en Italie aujourd'hui a des implications universelles. Une sortie de l'Italie de la zone euro déclencherait une tourmente financière et politique en Europe et l’effet papillon toucherait progressivement tous les pays de la planète.
Tels les compagnons d’Ulysse confrontés aux périls de deux monstres marins, Charybde l’establishment discrédité et Scylla le nationalisme renaissant, les citoyens italiens trouveront-ils la force et la vision nécessaires pour sortir du piège et montrer aux autres peuples la voie à suivre pour reconstruire un ordre international mourant ? Ils rendraient un grand service à tout le monde
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