L’offense faite à la France
C’est certain : le respect des morts n’est plus ce qu’il était. Mais là, non plus, la loi n’est pas égale pour tous. Et la République ne plaisante pas quand on s’attaque à son plus célèbre représentant.
Tout comme la religion, la république, quoique laïque, suscite ses mythes, ses saints et ses pèlerinages. Dans cette perspective, la tombe de Charles de Gaulle, à Colombey-les-Deux-Eglises, est une étape incontournable pour tous ceux qui veulent s’inscrire dans sa filiation spirituelle ou qui se cherchent une légitimité politique. On ne sera pas étonné qu’elle soit fleurie et surveillée en permanence, notamment par une vidéo-caméra. Néanmoins, ce dispositif de sécurité n’a manifestement pas empêché un jeune provocateur de démolir la croix qui surmontait le tombeau du plus illustre des Français, samedi après-midi. Pour cela, il a simplement donné deux coups de pied dans la sculpture qui s’est ainsi brisée en chutant au sol. L’homme, qui agissait à visage découvert, semble avoir également craché sur la tombe gaullienne, avant de s’enfuir à bord d’une voiture qui l’attendait non loin de là.
La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre auprès de toutes les rédactions. L’Elysée a aussitôt réagi en affirmant que tout serait mis en œuvre pour retrouver les coupables. Tandis que sur les réseaux sociaux, les leaders politiques y allaient de leurs commentaires indignés, voyant dans ce geste de profanation « une insulte envers la France et ses valeurs » (Nicolas Sarkozy), « une infamie » (Florian Philippot) ou appelant la honte sur ceux qui l’avaient commis (Gérard Larcher). Certes, cet acte (qui n’a pas été jusqu’ici revendiqué) est en soi ignoble. Il est lâche et vil de s’en prendre à une sépulture, quels que soient les sentiments que puisse inspirer celui qui y repose.
Pourtant, si l’on s’en tient aux seuls faits, cette dégradation est bien peu de choses par rapport aux vagues de vandalisme qui ont touché de nombreux cimetières au cours des années et des décennies passées. Qu’on se souvienne du cimetière juif de Carpentras en 1990, avec ses cercueils ouverts, ses cadavres mutilés et ses obscènes tags d’inspiration nazie. Rien que dans notre pays, depuis le début 2017, ce sont plusieurs cimetières qui ont été profanés, avec des dizaines de tombes dégradées. Ils ont souvent, pour auteurs, des enfants et des adolescents en recherche de sensations. Seulement ici, c’est de De Gaulle qu’il s’agit, l’homme de l’appel du 18 juin 40, le fondateur de la Cinquième République. Et on n’attente pas à une telle personnalité historique sans s’exposer à une lourde sanction (l’auteur des faits encourt cinq ans de prison).
Nous nous indignons avec raison contre ces pays qui conservent, dans leurs législations, des lois contre le blasphème. Mais, finalement, tout aussi laïques que nous soyons, nous avons généré une autre forme de sacré. Et nous avons, pour le préserver, notre propre arsenal juridique. On ne s’affranchit pas aussi facilement des vieux réflexes religieux. Et le nihilisme, qui nous menace de tous côtés, ne peut d’ailleurs que les renforcer.
Jacques LUCCHESI
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