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Accueil du site > Tribune Libre > L’opération mani pulite d’Erdogan

L’opération mani pulite d’Erdogan

"Pendant des années, divers faits se sont produits dans ce pays, au détriment des minorités ethniques qui y vivaient. Elles ont été nettoyées ethniquement, parce qu’elles possédaient une identité culturelle ethnique différente. Le temps est venu pour nous de réfléchir sur la cause de ce fait et sur les leçons que nous pouvons tirer de tout ceci. Il n’y a pas eu d’analyse de ces faits, jusqu’à ce jour.


En réalité, ce comportement est le résultat d’une conception fasciste. Nous avons également fait cette grave erreur."

Recep Tayyip Erdogan

Scène du pogrom anti-grec de 1955 à Istanbul

 

Une conception fasciste.

Ces propos, qui auraient valu une balle dans le dos à n’importe quel représentant des minorités arméniennes ou grecques de Turquie ont été tenus en mai 2009 sur CNN Türk par le premier ministre turc en personne.


Avec ces quelques mots, M. Erdogan était le premier gouvernant en fonction à oser mettre fin à un tabou vieux de 95 ans.

Opération mains propres.

Depuis, le gouvernement Erdogan s’est lancé dans ce qu’il est convenu d’appeler une courageuse opération de dé-fascisation de la société turque, une véritable opération mains propres visant à débarrasser la vie politique turque de la mainmise de l’armée.


Par la suite M. Erdogan a multiplié les gestes et les déclarations symboliques :


Le 13 mai 2010, il a publié une lettre ouverte appelant à ne plus discriminer les non-musulmans et affirmant « Les non-musulmans sont partie intégrante de l'État turc et a le droit de préserver leur identité et leur culture. »

La presse parle enfin.

A la suite du premier ministre de nombreux éditorialistes turcs ont publié des article iconoclastes inimaginables il y a seulement quelques mois.


Ainsi Ishan Dagi écrivait dans Zaman  :


« Nous devons prendre en compte le pogrom juif en 1934, l’impôt sur la fortune en 1942, et les événements du 6-7 Septembre. En d’autres termes, notre histoire n’est pas si « propre » que ce que l’on « croit ». Il serait erroné de ne plus en débattre et d’essayer de réduire au silence ceux qui le veulent sous prétexte que nous sommes en colère contre Sarkozy. »


Toujours dans Zaman, Orhan Kémal Cengiz a publié un article dans lequel il expose le rôle fondateur pour l’identité turque qu’à joué ce qu’il nomme « le grand crime de 1915 » et revient sur l’assassinat de l’intellectuel Turc d’origine arménienne Hrant Dink :

"Hrant Dink a été tué par le système en place en Turquie.

Ce meurtre demeurera non résolu tant que nous ne nous confronteront pas avec le système qui permet à tous ces meurtres de se produire. Si nous résolvons le meurtre de Hrant Dink, dont toutes le preuves et tous les liens sont réunis, nous mettront un terme au système établit dans ce pays en 1915."

Le gouvernement Erdogan a été récemment aidé dans cette "opération mains propres" par les gaffes d’un général à la retraite, ancien responsable du Département de la Guerre Spéciale de l’armée turque .


Ainsi le général Yirmibesoglu s’est vanté sur une chaine de TV turque d’avoir monté des provocations interethniques pour justifier l'invasion de Chypre en 1974


“Dans la Guerre Spéciale, certains actes de sabotage sont organisés et mis sur le dos de l’ennemi pour augmenter la réaction du public. Nous avons fait cela à Chypre ; nous avons même incendié une mosquée.”


Allant plus loin, il a même reconnu le rôle de ses services dans l’organisation du pogrom anti-grec de 1955 à Istanbul* qui avait fait 15 morts et provoqué l’exode de la communauté :


“Les évènements du 6-7 septembre [1955] sont le fruit du travail du département de la Guerre Spéciale et c’était là une organisation spectaculaire.”

Le civil contre le militaire

Depuis 1999 la campagne anti-fasciste mené par le gouvernement Erdogan s’accompagne d’un réchauffement diplomatique avec la Grèce et l’Arménie et un éloignement de l’axe atlantiste traditionnellement suivi par l’armée .

Le bras de fer s'est cristalisé avec l'opposition en Erdogan et l’armée turque sur la nommination des chefs d'atat majors, aboutissant à une cascade de démissions parmi les plus hauts gradés.

L'armée n’a plus qu’un chef d’état-major intérimaire, la solitude du premier ministre à la présidence du YAS (Conseil militaire suprême) reflète la victoire incontestable du civil sur le militaire.

La purge de l’état profond a été aussi rendue possible par le scandale Ergenekon et la quirielle de procès contre les tueurs de Hrant Dink mais aussi des prêtre italiens Andréa Santoro et Luigi Padovese, ainsi que des égorgeurs de Tilman Geske, Necati Aydin, Ugur Uksel à Malatya.

Les limites de la purge

Cependant la purge est loin d’être totale. Si la société civile a été outrée par ce déchainement de violence ethnico-religieuse, seuls les exécutants ont été condamnés, les commanditaires de ces meurtres demeurant intouchable en dépit de preuves accablantes.

L’état profond garde cependant ses relais dans la justice et continue de peser sur la diplomatie notamment en provoquant des incidents militaires avec la Grèce , notamment des violations régulières de l’espace aérien grec par la chasse turque.

Ainsi le président turc Abdula Gül reconnais lui même que sa marge de manœuvre reste limitée notamment sur la question Chypriote, chasse gardée de l’armée, dont il reconnaît que la solution « n'est pas totalement dans [ses] mains ».

Le péché originel

Dans ce bras de fer, la fin du négationnisme du génocide Arménien joue également un rôle important car il est le mensonge originel qui justifiait et permettait à l’armée de commettre toute sorte de crimes politiques au nom de la "protection de la patrie".

L'OTAN s'en mêle

Or, depuis la rupture avec Israël, la reprise en mains de l’état turc par la société civile commence à déplaire à l’OTAN pour qui les crimes fascistes des "loups gris" et du Gladio turc étaient très secondaires tant que l’état profond maintenant fermement la Turquie sur une ligne atlantiste pure et dure.


D’ailleurs les Think Tank atlantistes ont réagit à la rupture de l’accord de défense israélo-turc par une offensive en règle contre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan accusé d’agir en autocrate et de concentrer pour lui tous les pouvoirs qu’il reprend aux militaires :

http://www.atlantico.fr/decryptage/...

Cette attaque n’est pas dénuée de fondements mais il est intéressant de remarquer comment l’islamisme de M. Erdogan était qualifié de modéré tant qu’il menait une diplomatie conforme aux intérêts de l’OTAN et à quelle vitesse ce brevet de modération lui a été retiré depuis la rupture avec Israël.

Nous avons encore une foi à faire au cruel dilemme des sociétés civiles issues du sultanat qu’on a pu constater aussi en Afrique du nord :

Le pouvoir n’échappe aux militaires que pour échoir aux religieux.

Cependant, il faut reconnaître ceci aux religieux, leur comportement vis à vis des minorités chrétienne a été au long bien plus tolérant, même s’il était oppressif, que celui des militaires laïcs qui ont procédé à un nettoyage ethnique et religieux quasi total du pays.

L'empire contre-attaque

Il ne faut pas croire toutefois que l’état profond ait dit son dernier mot.

Les services spéciaux de l’armée et de la police turque ont une longue tradition d’assassinats politiques et ont développé sur les prisonniers de guerre Chypriotes (détenus secrètement depuis1974) des technique d’induction de cancers, aboutissant à des méthodes d’assassinat politiques bien plus discrets que les méthodes traditionnelles des contrecoups politiques lesquels ont considérablement contribués à discréditer l’état profond en Turquie comme à l'étranger.

Or M. Erdogan vient d’être opéré fin 2011 de polypes intestinaux, opération que les médecins présentent comme bénigne tout en restant très évasifs sur le diagnostic.

Pendant sa convalescence, il a recu le vice président des USA Joe Biden qui a déclaré à propos de l'opération de M. Erdogan : "J'ai la nette impression que c'était quelque chose qu'ils ont tué dans l'oeuf".

La santé de M. Erdogan fait peser un aléat inquiétant sur l'avenir du procéssus de purge de l'état turc profond car cette purge n'est resté pour l'instant que superficielle.

Une issue incertaine.

La Turquie est donc à mi-gué et devra affronter des situations critiques dès juillet 2012 avec la présidence Chypriote de l'UE.

Les contacts avec l'UE devront allors passer par Chypre que l'état turc ne reconnait toujours pas.

Le premier ministre turc aura donc besoin de determination et de stabilité politique pour passer outre les provocations que les ultra-nationalistes ne manqueront pas de tenter à cette occasion.

On comprend donc l'intêret politique pour l'AKP de discréditer les Ultra-nationaliste avec cette campagne anti-fasciste mais la sincérité de M. erdogan sur le sujet de la tolérance ethnique reste à démontrer.

Il y a quelques années il n'hésitait pas lui même à traiter le ville d'Izmir de "ville d'infidèles".

Aussi, une fois le cap délicat de 2012 passé, 2015 se profilera à l'horizon, avec le centenaire du génocide armnénien.

Ce sera sans doute le moment de vérité pour le gouvernement Erdogan.

Aldous.

* En 1955, la seule communautés importante de chrétiens qui reste en Turquie après le Génocide Arménien et l'expultion des grecs pontiques et ioniens est celle des 200.000 Grecs d’Istanbul, lesquels sont protégés par les traités internationaux de 1928.

Le Département de la Guerre Spéciale de l’armée turque pose une bombe dans la maison natale d’de Mustafa Kémal Atatürk en Grèce et accuse les Grecs de cet attentat.

Le gouvernement turc dissimule à l’opinion les resultats de l’enquête de la police grecque qui a arreté le poseur de bombe et organise deux jours de pogrom contre les Grecs d’Istanbul, acheminant des militants nationalistes en train et en bus et leur fournissant les armes.
Le quartier est mis à feu et à sang. Il y aura 16 morts (dont un arménien), certains brulés vivants, un pneu enflamé autour du cou, des viols de femmes et d’hommes, des circoncisions forcées de prêtres et divers cas de torture.
A la suite de ces violences et de celles de 1965, de nombreux Grecs fuiront Istanbul pour la Grèce et la communauté ne compte officiellement plus que 2000 personnes.
En réalité il reste de nombreux crypto-chrétiens à Istanbul, Izmir et Trabzon (les anciennes villes grecques Constantinople, Smyrne et Trébizonde) mais aussi Ephèse.

Cependant ces populations se terrent et se font passer pour musulmanes. Les églises sont fermées et seuls des missionnaires approchent ces crypto-chrétiens.


Plusieurs de ces missionnaires italiens et allemands ont été sauvagement assassinés depuis 2007.
Andréa Santoro tué à Trabzon.
Luigi Padovese décapité à Alexandrette,
Tilman Geske, Necati Aydin, Ugur Uksel et deux convertis turcs torurés et égorgés à Malatya.
Adriano Francini bléssé à Ephèse mais qui s’en est sorti.


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24 réactions à cet article    


  • armand armand 21 janvier 2012 14:57

    Aldous,

    Franchement, j’en suis revenu d’une vision positive d’Erdogan, notamment à travers plusieurs séjours en Turquie, parfois sur invitation d’universités prestigieuses. Ce n’est pas pour autant que j’y vois une alternative plausible à court terme. Mais le gugusse en question est bien trop proche d’un Ahmedinejad - même origine, même anti-intellectualisme, même populisme. D’alleurs, l’AKP reproduit progressivement toutes les dérives clientélistes des précédents partis au pouvoir, et remplace la menace du coup d’Etat, endémique en Turquie, par la menace d’une arrestation arbitraire. La société turque est trop évoluée, dans les villes en tout cas, trop éduquée, pour supporter longtemps cette hégémonie, à moins que celle-ci ne s’appuie sur la terreur.
    Sa relative bienveillance envers les minorités (toute relative, d’ailleurs) lui vient bien davantage d’un néo-ottomanisme, que d’une réelle sympathie pour les victimes. Et d’ailleurs il est loin d’être suivi par ses troupes de chocs, dont certains exemples se sont exprimés ici avec la nuance qu’on leur connaît !
    De plus, la politique étrangère que vous avez l’air d’approuver fait de la Turquie le fer de lance du conservatisme sunnite wahhabi, financé par l’Arabie séoudite et le Qatar, dont nous autres occidentaux, USA et France en tête, sommes devenus les supplétifs stipendiés.Sans parler du poids d’une « orthopraxie » imposée à la population, où les signes extérieurs de religion, naguère interdits, sont désormais exigés dans toutes les administrations dépendant de l’Etat.
    J’augure mal, en outre, des humilations successives infligées à l’Armée - pour rappeler la phrase de Lartéguy, gare au réveil des Prétoriens ! Cette prudence élémentaire valait pour la Rome antique, pour la France de 1960, pour la Turquie actuelle.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 16:45

      A aucun moment je ne donnu un blansain a la politique d’Erdogan.


      Je constate juste qu’il a eu le courage de decrire le systeme militaropolitique comme fasciste, qu’il a entrepris de demilitariser l’etat turc et qu’il brise le tabou su les nettoyages ethniques depuis 1915.

      Une evolution inimaginable tant que les ’laiques’ etaient au pouvoir.

      La vision occidentale qui dit qu’il vaux mieux l’armee laique que les imams est, a mon sens une ineptie.

      La laicite turque est culturellement de nature fasciste. 





    • armand armand 21 janvier 2012 17:06

      Aldous,

      Pour contrebalancer les imams, il faut bien le glaive des mamelouks.

      Bien que je ne sois pas kémaliste (je tiens l’abolition du califat pour une grosse erreur, qui a conduit à la multiplication d’officines islamistes à commencer par les Frères musulmans), le nationalisme d’Atatürk n’est pas fasciste, car s’il décrit un Turc normatif (sunnite mais pas religieux, fier de son héritage, etc.) il n’y distille aucune haine - faites un tour au mausolée d’Anitkebir et vous verrez que le culte de la personnalité et la glorification de la Turquie ne s’accompagne d’aucun bouc émissaire - et la guerre est définie comme le pire des malheurs, à ne déclencher que lorsque la survie même de la patrie est en jeu.
      Et sur le fond (mais vous n,’êtes pas obligé d’être d’accord) je trouve dangereux de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un parti majoritaire, sans une instance supérieure qui peut intervenir le cas échéant.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 17:16
      • Waou ! Je corrige, c’est orthographiquement du grand n’importe quoi...

      A aucun moment je ne donne un blanc-seing à la politique d’Erdogan.

      Je constate juste qu’il a eu le courage de décrire le système militaro-politique comme un système fasciste, qu’il a entreprit de démilitariser l’état turc et qu’il brise le tabou sur les nettoyages ethniques depuis 1915.

      Une évolution inimaginable tant que les ’laïcs’ étaient au pouvoir.

      La vision occidentale qui dit qu’il vaux mieux l’armée laïque que les imams est, a mon sens une ineptie.

      La laïcité turque est culturellement de nature fasciste. 

      J’ajoute que, comme vous dites, il prend un risque considérable, politique et personnel, qui ne manque pas de panache.

      Vous semblez penser que cela augure un retour de flamme violent, mais comme vous dite la société turque a beaucoup évolué et elle rejette aussi le fascisme des militaires.

      La Turquie tente en effet de reprendre du leadership dans le monde musulman mais ce mouvement est assez complexe. Faire de la Turquie le fer de lance du wahhabisme est, je pense, très éloigné de la réalité.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 17:28

      Je suis assez d’accord avec vous, le nationalisme d’Atatürk n’etait pas fasciste, ce qui l’est c’est l’état profond qui a transformé ce nationalisme en culte de la personnalité et en dogme qui vaut la mort à quiconque l’égratigne.

      Je suis d’accord avec vous sur l’importance de contre-pouvoirs mais ce n’est à à l’armée de tenir ce rôle.

      Je vous rappelle que la Turquie avait 1 coup d’état tous les 10 ans avant 1990.

      Ca nous arrangeait bien car elle ceinturait le sud de l’URSS, mais ça a enfoncé la société turque dans une violence inouïe.

      Erdogan est un enfant de cette société. Son autoritarisme n’est pas étonnant. Mais il a fait sauter d’importants tabous et cela est remarquable.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 17:30

      Au passage, ce n’est pas moi qui vous moinse !


    • armand armand 21 janvier 2012 17:38

      C’est gentil de le signaler !

      Concernant l’état kémaliste d’avant l’AKP, ma religion n’est pas faite. Je ne sais pas s’il eût été possible de faire de la Turquie un pays dynamique, à forte croissance, aux excellentes infrastructures, notamment dans l’éducation, sans l’autoritarisme laïc des successeurs d’Atatürk.
      de plus, cet état est né d’une situation catastrophique, où il fallait libérer le territoire, rétablir la fierté nationale, accomplir une oeuvre de modernisation comparable à celle de l’ère Méiji au Japon. C’est ce qu’a tenté de faire la dynastie Pahlevi en Iran, mais Réza Shah n’avait pas la force visionnaire de Mustapha Kémal.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 19:16

      Je ne suis pas admiratif du tout de cette politique de table rase du passé et d’édification d’un homme nouveau.

      A chaque fois ça a dégénéré en des millions de morts, que ce soit en Allemagne, en URSS ou en Chine.

      En Turquie ce sont les Arméniens qui en ont fait les frais les premiers suivis de tout ce qui n’entrait pas dans le moule.

      Ca se poursuit aujourd’hui avec les Kurdes.

      Humainement c’est inacceptable.


    • Aldous Aldous 21 janvier 2012 19:17

      Tiens j’oubliait les Khmers rouges.


    • armand armand 21 janvier 2012 17:29

      Aldous,

      C’est peut-être tout aussi inepte d’encourager le parti au pouvoir, comme l’a fait l’Europe, à se débarrasser des contrepouvoirs. Erdogan a bien dit que pour lui la démocratie était un train dont il descendra quand il arrivera à la gare voulue...

      Il y a aussi un tout autre aspect de la politique en Turquie - l’AKP représente la revanche de la province conservatrice et commerçante sur les grandes villes occidentalisées. Avec tout le risque de populisme revanchard que cela représente.
      Sa politique étrangère en fait écho, pareillement. Les grands effets de manche en direction des Arabes ne seront pas payés en retour, et ne serviront qu’à exaspérer les alliés traditionnels de la Turquie. Ceci dit, la situation, comme vous le savez, est loin d’être simple. La Turquie n’est pas le fer de lance du wahhabisme, mais les contraires s’accommodent bizarrement. L’Europe, les USA et même Israël peuvent très bien s’entendre avec un arc de cercle sunnite, généreusement arrosé de pétrodollars, pour faire face à l’Iran... Mais à la longue, le triomphe du sunnisme sous sa forme la plus conservatrice n’augure rien de bon pour les libertés individuelles, les droits des femmes. Et peut préluder à une offensive dont le but ultime c’est l’expansion de l’Islam chez nous.


      • Aldous Aldous 21 janvier 2012 17:41

        Je ne sais que penser de ce type d’analyses.

        Ca me fait penser à cette attitude de tolérance qu’il est de bon ton de manifester dans les cercles progressistes pour les autres cultures à condition qu’elles cessent d’être autres et qu’elle adoptent pleinement et immédiatemment vos valeurs libérales (et ultra-libérale).

        Ca n’est pas ça la véritable tolérance. On ne peut pas se dire tolérant et vouloir que les musulmanes ressemblent à des chrétiennes ou des athées.

        La tolérance c’est d’accepter les signes extérieurs des autres cultures dans la mesure ou ces autres cultures se montrent tolérantes à l’égard des nôtres.

        On n’importe pas la démocratie avec des bombes, ni en Irak ni en Afghanistan, ni à Tripoli ni à Ankara.

        La démocratie est l’aboutissement d’un processus interne d’une société et je pense que l’armée Turque a bloqué ce processus pendant 95 ans.

        Alors oui, les apparences de la démocratie vont reculer : les femmes seront voilées, la laïcité va reculer, des ministres et des présidents parleront de l’importance de la foi musulmane, mais c’est là la situation réelle de la société turque et non la carte postale imposée par les juntes militaires.


      • armand armand 21 janvier 2012 17:49

        Justement - la pression de l’« orthopraxie » en Turquie est perçue comme insupportable pour une grande partie de la population turque - lisez les témoignages dans les journaux turcs (on les trouve en anglais sur le web). Chaque fois qu’un islam conservateur s’infiltre dans les sphères du pouvoir, alors des pressions intolérables s’exercent sur les libertés personnelles - et notamment celle de ne pas adhérer ouvertement à ce culte. Et ce sont toujours les mêmes signes distinctifs qui apparaissent - on voile les femmes, on rend la consommation d’alcool très difficile (sauf pour les riches - c’est là toute l’hypocrisie wahhabite - rigorisme pour les gens du peuple, et les riches qui peuvent tout faire en cachette, das les grands hotels ou chez eux...), Et on affiche ostensiblement un soutien bruyant aux grandes causes : Palestine et sort des musulmans « opprimés » dans nos méchants pays européens.


      • Aldous Aldous 22 janvier 2012 09:57

        J’espere bien que la societe civile resiste a l’islamisation des moeurs !


        C’estcomme ca que la democratie progresse, pas avec une police politique et des coups d’etat.


      • armand armand 22 janvier 2012 11:07

        Aldous,

        Difficile de résister car la pression est forte et implacable. Lisez par exemple comment sont traités des Turcs, et non des moindres, journalistes notamment, lorsqu’ils entendent ne pas se soumettre, dans un restaurant au jeûne du Ramadan... Service déplorable, remarques désobligeantes, si bien que celui qui raconte l’épisode a conseillé au patron du restaurant de décrocher le portrait d’Atatürk.
        Ou bien telle jeune fille, postulant à un emploi municipal à Istanbul, qui demande si elle sera recrutée, étant de religion chrétienne, et son interlocuteur de lui répondre, avec bienveillance, qu’elle n’aura pas de problème à condition de porter le foulard....
        Ou bien la pression des femmes habillées en bibendum ’(ce maillot de bain ’islamique’) sur les plages, à l’encontre de celles qui entendent toujours se baigner en maillots deux-pièces...
        Les exemples sont nombreux...


      • armand armand 21 janvier 2012 17:54

        Pour finir, si la démocratie c’est qu’une majorité numérique impose à tous sa façon de vivre et ses valeurs - alors je ne suis pas démocrate. Car je suis assez favorable à ce que certains principes soient inaliénables. Et la démocratie ne s’est développée chez nous qu’à partir du moment où ces principes étaient établis.


        • Aldous Aldous 21 janvier 2012 18:17

          Ce que vous décrivez c’est de droit-de-l’hommisme de l’UE, pas la démocratie de Périclès.

          Ca ne cache en réalité qu’un système de castes ou les Alpha dirigent, les Béta vivent dans l’illusion de la démocratie et des Gamma triment dans les bas fonds.

          Le système entretenant l’éducation des castes en fonction de leur affectation.

          Moi je pense comme Périclès que la démocratie c’est que les affaires de l’état sont gérés par le plus grand nombre et non une minorité.

          Et que ce plus grand nombre ait droit à une éducation pleine et universelle qui les affranchissent des services d’une prétendue élite illuminée.

          Pour revenir à la Turquie, le peuple turc est un peuple déraciné sur ses propres terres.

          Un peuple qui a subit de plein fouet les idée du darwinisme social, volontairement acculturé et au passé totalement nié et réinventé.

          Un peuple qui ignore ses propres racines, à qui on a inculqué des racines mythologiques, mongoles et hittites qui ne concerne qu’une infime minorité.

          Un peuple qu’on enjoint depuis l’école à être fier d’être fier et à qui on apprend que c’est dans la haine des autres qu’il se réalisera.

          Un autre qui est bien souvent sa propre grand-mère Arménienne, son grand père Grec, ses aïeux Perses ou Serbes ou Bulgares ou Kurdes ou Arabes ou Syriaques, qu’il est sommé de refouler et de détester.

          Un peuple qu’on a habitué à voir tous les voisins comme des ennemis, à considérer que les 200 000 Chypriotes qui ne possèdent même pas d’armée sont une menace pour les 70 millions de Turcs.

          Une mythologie de l’encerclement et de la menace qui permet à l’armée de faire vivre le pays dans une situation d’état d’urgence permanent.

          Une mythologie fondée sur les millions de cadavres de l’épuration ethnique originelle, tabou d’entre les tabous dont tout le monde connait la réalité mais que personne ne peut évoquer.

          Cela ne peut produire que de la violence, à l’intérieur comme avec les pays voisins.

          Donc oui, je pense que le passage par un gouvernement islamiste est un passage obligé pour un retour à la réalité de la société turque.

          Elle est risquée mais c’est la seule voie possible.


        • ali8 21 janvier 2012 21:29

          @ Scipion

          je ne sais si Aldous est un mutant,

          mais armand a son clavier à Tel Aviv smiley


        • Aldous Aldous 22 janvier 2012 09:37

          Vous avez raison,Scipion, la motivation de M Erdogan est surement davantage politique que morale.


          Mais cela ne change pas les effets de sa politique de de-fascisation de l’etat.


          @ali8 pourquoi mutant ?

        • armand armand 22 janvier 2012 11:01

          Ali,

          C’est vous et les vôtres qui ramènent tout au conflit israëlo-arabe. Bien pratique, ça vous évite de vous occuper de la m...de dans laquelle vous vous êtes fichus. Pas surprenant, remarquez, quand on voit la déplorable éducation que vos mères inculquent à leurs petits garçons.

          Pour revenir à la discussion ci-dessus...
          Aldous, une mythologie peut être créée de toute pièces, et devenir opérante. Le mérite d’Atatürk aura été d’enraciner le peuple turc dans une mythologie qui ne se bornait pas à l’Islam. SOn défaut aura été de vouloir rayer entièrement ce dernier. C’est une question de dosage. S’il avait maintenu le califat, dans le domaine purement religieux (et le dernier sultan osmanli, excellent gentleman érudit et artiste, s’y serait prêté sans mal) on aurait évité cette dérive.
          Pour Scipion, effectivement, je répète que certains principes, dans une société civilisée, ne doivent pas être laissés au gré de la loi du plus grand nombre. Et ces principes ont bel et bien été établis en Europe à l’issue d’une longue période d’évolution politique et philosophique avant qu’on n’y instaurât le suffrage universel. De plus, je juge indispensable l’existence d’un arbitre au-dessus des partis, capable d’intervenir en ultime ressort. En somme, si l’Ancien régime avait pu évoluer harmonieusement vers le parlementarisme sans l’oeuvre meurtrière de la Révolution. C’est ce qui se serait produit en Turquie si les Jeunes-Turcs n’avaient pas renversé le sultan et entraîné le pays dans la guerre du côté de l’Allemagne.


          • Aldous Aldous 22 janvier 2012 16:51

            Je suis d’accord sur cette erreur :


            En faisant table raze du passé, on fait sauter les barrieres morales.

            Pour que la société ne bascule pas dans la barbarie il faut soit un peuple assez éduqué pour remplacer la morale par l’ethique, soit de nouvelles valeurs morales.

            Les deux ont fait defaut a la Turquie de 1915 et ont abouti a la barbarie et au fascisme.



          • Aldous Aldous 22 janvier 2012 16:46

            Concernant les derives possibles quand c’est le peuple qui choisi, je n’ai jamais compris d’ou venait cette idee qu’une elite prendrait des decisions plus justes que le plus grand nombre.


            Au contraire, lamasse cree une certaine moderation.

            Le petit nombre favorise les choix partisans et biaises par l’interet des classes supperieures (car il s’agit bien d’elles et non de ’sages’)

            Les exemples historiques ont montre que les pretendues elites sont toujours corrompue par les interets prives et la tentation de s’arroger des privileges.

            Le peuple peu bien sur etre trompe par un demagogue habile, mais uniquement s’il est dans des circonstances ou les ’elites’ l’ont au prealable trahi.

            Il n’y aurait pas eu le fascisme en italie s’il n’y avait eu l’ultra liberalisme auparavant qui avait jeté de milliers de travailleurs dans la misère.

            Sans Weimar pas d’Hitler.

            Sans Nicolas II pas de revolution d’octobre.

            La crise actuelle n’echappe pas a cette regle et accouchera elle aussi d’une bête qui aura toutes les chances d’etre immonde.


             

            • armand armand 23 janvier 2012 10:55

              Aldous,

              Vous oubliez, à mon sens, un des plus puissants facteurs dans les excès du XXe siècle : la brutalisation des moeurs issue des méthodes de destruction massives mises au point pendant la guerre de 1914.
              Je me souviens du témoignage d’un grand reporter américain qui a interviewé un jeune officier allemand, au moment de la révolte des spartakistes, dans un grand hôtel berlinois. L’officier était fatigué, dans un état d’agitation, et il expliqua autour d’un verre qu’il venait d’exécuter, lui-même, avec sa mitrailleuse, plus de six cents spartakistes, hommes, femmes, enfants, à la prison locale. Il était un peu déboussolé, mais ses états d’âme s’arrêtaient là...


            • armand armand 23 janvier 2012 10:49

              Et voilà, encore un qui voit tout à travers le prisme de ses obsessions antisémites...Gare à vous l la vraie fée Mélusine viendra vous emporter en battant ses ailes et en poussant son cri !

              Aldous et Scipion,

              Les progrès en termes de civilisation viennent en général d’en-haut, ou plutôt du petit nombre. Et on ne peut pas brandir la démocratie athénienne en exemple, car elle était exercée par un nombre réduit de citoyens, dominant une masse de métèques et d’ilotes.
              En revanche, parti du bas, du lumpen, et citer en exemple ses excès, son ignorance et son esprit de meute pour en faire un principe de gouvernement, voilà justement l’oeuvre des fascistes, des nazis, des bolcheviks.
              En revanche, les socialistes du XIXe, pour utopistes qu’ils fussent, estimaient que l’éducation donnerait au peuple la même culture que l’élite, au lieu que la société actuelle cherche son inspiration dans les bas-fonds.


              • Aldous Aldous 23 janvier 2012 15:47

                Les métèques c’était juste ce que nous appelons maintenant « résidents étrangers ».

                Quand à l’esclavage, il est universel dans l’antiquité.

                L’environnement non-démocratique généralisé de l’antiquité rend l’exception athénienne encore plus remarquable au lieu de la discréditer.

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