• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) : de qui se (...)

L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) : de qui se moque-t-on ?

Lorsque l’Arménie est devenue membre observateur de l’OIF en 2004 j’ai pensé que cela donnerait une impulsion à l’enseignement de la langue française dans ce pays. Il n’en a rien été. En 2008 le pays est passé du statut de membre observateur de l’OIF à celui de membre abonné. Nouvel espoir, nouvelle déception. Enfin elle est devenue membre à part entière en 2012. Mais je ne me faisais plus d’illusions. 

Jusqu’à l’indépendance (1991), et encore aujourd’hui, la principale langue étrangère est le russe. Mais petit à petit l’anglais tend à le remplacer. Je donne un exemple. Ma femme a monté une agence de voyages locale. Elle est arménienne diplômée de français et ne parle pas anglais (c’est pour cela que je l’ai épousée !). Mais désormais presque tous les hôteliers lui écrivent en anglais. Lorsqu’elle proteste en arménien argumentant qu’elle ne sait pas l’anglais et qu’on est en Arménie entre Arméniens, rien n’y fait : on continue à lui écrire en anglais. Elle ne peut donc pas communiquer dans sa propre langue dans son pays, et c’est moi son mari qui répond aux courriels.

Autre exemple : à Dilijan a été créé une école anglophone pour former les futures élites du pays. Et aussitôt ce fut la ruée.

On objectera que ces deux exemples ne concernent que les privés, qu’on ne peut les empêcher de parler la langue qu’ils désirent. Je pourrais répondre qu’il est toujours possible de légiférer. Mais voyons plutôt l’attitude de cet État soi-disant francophone.

Là où, à l’indépendance en 1991, il n’y avait que de l’affichage en arménien et en russe (la poste, le métro) on a rajouté de l’anglais. Par contre les nouveaux panneaux (noms de rue, panneaux de circulation, information sur les sites touristiques) sont systématiquement en arménien et en anglais. Le russe est éliminé : étonnante attitude de la part d’un pays en grande partie aligné sur Moscou. Comme quoi la linguistique ne suit pas la politique. Quant au français, on n’en trouve pas un seul mot.

Dans les universités les étudiants en langue devaient, à l’époque soviétique, choisir deux langues, la langue principale et la langue secondaire. Ils choisissaient le plus souvent une seconde langue du même groupe linguistique que la langue principale, par exemple espagnol ou italien pour les étudiants de français. Or depuis le début des années 2000 l’une des deux langues doit être obligatoirement l’anglais : c’est ça la francophonie ? Et ni l’OIF, ni l’ambassade de France n’ont émis la moindre protestation.

Le niveau des profs de français laisse à désirer. Les proviseurs s’arrachent les cheveux et s’arrachent… les bons profs. Et le niveau des élèves ne vaut pas mieux. Dans une petite ville comme Garni, un des rares endroits où c’est le français qui est enseigné après l’arménien et le russe, pas un élève n’est capable, au bout de dix ans, de s’exprimer dans la langue de Molière.

Le pire est l’attitude de l’ambassade de France.

J’avais mis au point une méthode de français spécialement adaptée aux Arméniens. Pendant dix ans je l’ai présentée aux différents conseillers culturels et attachés linguistiques. À chaque fois le dialogue était le même :

― Je n’ai pas d’argent

― Jetez-y au moins un coup d’œil.

― Je n’ai pas le temps.

Apres dix ans de je-n’ai-pas-le-temps-je-n’ai-pas-d’argent j’ai laissé tomber. Le dernier message reçu de l’actuel attaché linguistique a été :

« Nous voulons simplement dire qu'il ne rentre pas actuellement dans les priorités du Service culturel de développer une méthode de français audiovisuelle » (le 20 novembre 2012).

On notera le ton hautain et méprisant.

Mais il serait injuste de dire que l’ambassade ne fait rien. Je donne deux exemples.

En octobre 2006 a eu lieu un festival de film français. On a sorti une magnifique plaquette en couleurs sur papier glacé de 32 pages plus la couverture (pour cela il y a des crédits). Opération ponctuelle donc, coûteuse et sans lendemain. Les films français avaient été sous-titrés pour l’occasion. J’ai alors fait remarquer que les sous-titrages pourraient resservir, en particulier aux enseignants qui voudraient projeter un des films. On me les a donc promis. Et j’attends toujours !

Le jeudi 18 novembre 2011 on a fait venir deux professeurs d’université et un journaliste pour 12 h (les deux profs d’université) et 36 h (le journaliste) pour des conférences à l’ambassade. Pour cela il a avait des crédits. Opération ponctuelle donc, coûteuse et sans lendemain. Il y avait 50 personnes dans la salle, la totalité des francophones d’Arménie.

Que conclure de ces deux exemples ? Que les autorités culturelles françaises aiment les feux d’artifice, les actions d’éclat sans suite.

J’étais au Cambodge lorsque le pays est passé du français à l’anglais. On arrachait les panneaux dans la langue de Molière pour les remplacer par d’autres dans celle de Shakespeare. Et pendant ce temps-là l’ambassade de France organisait des activités prestigieuses sur le même modèle que celles déjà décrites ci-dessus. Pendant ce temps les anglo-saxons envoyaient des enseignants dans toutes les provinces. Je me rappelle m’être arrêté à Pursat, un bled à mi-chemin sur la route sud entre Phnom Penh est Siem Réap. Partout il y avait des panneaux ‘’ ENGLISH’’, proposant des cours gratuits. Pas question pour nos élites françaises de s’abaisser à enseigner dans les villes de province. Et le Cambodge est devenu anglophone.

Le pire c’est qu’il y a une véritable demande de la part des Arméniens pour la langue française. Plusieurs classes bilingues franco-arméniennes existent dans quatre écoles à Erévan et une à Gümri. Mais elles manquent de matériel pédagogique. C’est là qu’il a été fait appel à l’ambassade. Le conseiller linguistique, le même que m’avait fait la réponse que l’on a lu plus haut, a exigé que la demande vienne du ministère de l’éducation. Connaissant le pays, c’était le meilleur moyen de se débarrasser du demandeur.

Résultat : les Allemands ont fait des propositions et plusieurs classes franco-arméniennes ont été remplacées par des classes germano-arméniennes (les Allemands avaient des crédits pour ça eux, et n’avaient pas besoin du feu vert du ministère de l’éducation pour agir).

Alors dira-t-on la France accorde quelques bourses à des étudiants arméniens. Oui mais quand, après un interminable parcours du combattant, l’étudiant a obtenu l’accord de l’Education Nationale française, c’est le consulat qui parfois refuse le visa.

On objectera aussi qu’il y a une école française. C’est vrai, mais c’est une création 100 % arménienne. Et puis 200 élèves de la maternelle à la seconde pour une capitale qui approche le million et demi d’habitants c’est ridicule, quand on compare avec les autres lycées français à l’étranger.

Il existe aussi une institution qui forme des CAP français (restauration, etc.). J’ai eu l’occasion d’y donner une conférence, et j’ai pu constater que malgré 7 h de français par semaine les élèves étaient incapables de sortir le moindre mot.

Reste l’université française seul succès réel de la francophonie, encore que je connaisse des diplômés qui ne parlent pas un mot. Son défaut est de se limiter au droit, à l’économie et à la gestion. Pas question de s’intéresser à la formation des profs de français, alors que l’université américaine attache une grande importance à la formation des profs d’anglais.

 Que conclure de tout cela ?

Que l’Arménie est le pays le moins francophone du monde. Si l’Arménie a pu adhérer à l’OIF c’est que n’importe quel État peut y adhérer.

 


Moyenne des avis sur cet article :  4.6/5   (5 votes)




Réagissez à l'article

9 réactions à cet article    


  • eric 6 octobre 2015 12:07

    Peut être que l’association du pasteur Sahagian pourrait vous aider ? SPFA
    http://www.spfa-armenie.org/


    • Pomme de Reinette 6 octobre 2015 13:39

      Que l’Arménie est le pays le moins francophone du monde. Si l’Arménie a pu adhérer à l’OIF c’est que n’importe quel État peut y adhérer.

      L’Arménie a bien de la chance !
      Parce que pour Israël, pays où 20 % de la population est parfaitement francophone, l’adhésion pleine et entière se fait encore attendre .... à cause de la pression raciste de certains pays du Maghreb !


      • patrickk 6 octobre 2015 14:56

        @Pomme de Reinette
        Ce qui prouve bien que c’est un peu n’importe quoi.

         Il faut dire que l’anglais est obligatoire en Israël, et les 20 % de francophones sont obligés de l’apprendre.

      • Pomme de Reinette 6 octobre 2015 15:19

        @patrickk

        heu oui .... comme en France, où l’anglais est en très grande majorité la première langue étrangère enseignée !


      • leypanou 6 octobre 2015 15:12

        @auteur :

        Il y a restriction budgétaire et le Ministère des Affaires Étrangères fait partie des ministères les plus touchés : conclusion, pour lui, le développement du Français est secondaire et ne mérite pas plus d’effort que çà.


        • patrickk 6 octobre 2015 16:40

          @leypanou
          OUI mais il y a de l’argent pour des actions qui cherchent à en mettre plein la vue et qui sont sans lendemain.


        • Pomme de Reinette 6 octobre 2015 17:48

          @patrickk

          Bien d’accord avec vous Patrikk.
          La culture et l’éducation, c’est de plus en plus la 5ème roue du carrosse .... (qui ressemble de plus en plus à une citrouille !)


        • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 8 octobre 2015 06:39

          Merci pour cet article ravageur et édifiant sur ces messieurs les haut-fonctionnaires qui sont censés servir les intérêts de la France mais ne se soucient que d’apparat comme s’ils voulaient se donner à croire qu’ils sont gens de cour.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité