L’origine des inégalités
Dans un ouvrage paru en 2008 – « L’homme et l’inégalité. L’invention de la hiérarchie durant la Préhistoire » — Brian Hayden, ethno-archéologue canadien, tente de mettre en évidence l’origine de l’inégalité parmi les humains. Loin du célèbre discours de Rousseau sur le même sujet, il propose une solution au problème suivant : pourquoi certaines sociétés étaient-elles fondées sur un ordre politique coercitif et d’autres non ?
La nouveauté de sa réponse mérite qu’elle soit exposée.
Si, pour Hayden, l’apparition de la hiérarchie n’est pas due comme chez d’autres chercheurs à la pression démographique qui aurait imposé aux sociétés les plus peuplées de réguler par le pouvoir coercitif l’accès aux ressources et leur distribution, cette apparition de la hiérarchie n’en est pas pour autant aléatoire. L’explication ne réside pourtant pas non plus dans la sédentarisation car la pratique distinctive du traitement funéraire dans des sociétés nomades du Paléolithique moyen prouve l’existence d’inégalités.
Selon lui, l’apparition de l’inégalité tient à un facteur matériel et politique :
– la création de surplus
– la nécessité de gérer ces surplus.
Or, ce n’est pas la vie sédentaire qui détermine l’apparition des surplus mais l’inverse, et les surplus eux-mêmes doivent leur existence et leur développement à la logique politique de l’inégalité et non à une nécessité économique de subsistance.
Hayden s’intéresse au passage entre la société égalitaire, fondée sur le partage (comme chez les Aborigènes australiens ou les Bushmen), et la société inégalitaire devenue quasi universelle. Ce passage se situerait dans les sociétés « trans-égalitaires » de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique moyen, (encore vivantes au 20ème siècle chez les Amérindiens de la Côte Nord-Ouest ou des tribus Papous de Nouvelle-Guinée). Dans ces sociétés, les élites économiques n’apportent pas d’aide à leurs cogénères « inférieurs » socialement en temps de crise ; elles rompent avec les lois du partage des sociétés égalitaires. Pour autant, l’accumulation de richesses ne détermine pas par elle-même la hiérarchie ; car il faut dépenser pour faire briller son prestige et non entasser.
L’utilisation des surplus par les chefs entraîne la complexification des rapports sociaux, la formation de réseaux de privilégiés, la création de projets par des gouvernants cherchant à tirer avantage, pour eux, leur lignage et leur clientèle, de la position de commandement.
Cet accroissement du pouvoir personnel passe par la reconnaissance du droit de propriété, la constitution de dettes contractuelles, l’organisation de festins, la fixation du prix de la fiancée ou de la dot, la circulation d’objets de prestige, l’imposition de tabous, la gestion des guerres et des calamités, l’accès au surnaturel, la manipulation des valeurs culturelles, la mise à distance des autres et la distribution de pots-de-vin.
Pourtant, les stratégies ne sont pas pour autant de nature capitaliste puisque l’exercice de la domination politique peut conduire à des dépenses de prestige de type potlatch ou pig festivals, dont la tradition anthropologique a bien montré à quel point leur logique compétitive, poussée à son terme, était incompatible avec l’économie de marché.
Le dernier chapitre de l’ouvrage, fait état de l’absence d’objets de prestige, de techniques de stockage et de sépulture au Paléolithique inférieur, tandis qu’au Paléolithique moyen, entre – 120 000 et –35 000, apparaissent les premiers indices d’inégalité. Le Paléolithique supérieur enfin, qui correspondrait au modèle des cultures du Nord-Ouest américain, serait caractérisé par une multiplication des objets de prestige, des techniques de conservation de la nourriture, des vêtements en peau, de l’architecture monumentale (mégalithes), du culte des ancêtres, des sociétés secrètes.
Hayden voit dans cette phase la véritable révolution dans l’histoire de l’humanité, une dynamique socio-politique nouvelle, portée par l’ambition individuelle des chefs, qui conduit tout droit à la domestication des espèces végétales et au Néolithique, considéré comme une conséquence dérivée du Paléolithique supérieur. Cette évolution continue de nos jours, et seul l’épuisement des ressources naturelles pourra freiner la recherche effrénée de la distinction individuelle.
Cette inversion des schémas habituels a au moins un mérite : mettre en évidence le fait que la structure des sociétés humaines n’est pas le fait de la nécessité, ni du hasard, mais d’une volonté et de stratégies.
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