L’ouragan Floyd
Nul ne sait ce que la vie et la mort d’un homme peuvent provoquer dans le monde. C’est le cas pour George Floyd dont l’assassinat a déchaîné un ouragan de passions des deux côtés de l’Atlantique. Mais, entre les Etats-Unis et la France, la problématique raciale n’est pas exactement la même.
Si, au vu des conditions dans lesquelles George Floyd a été assassiné par la police américaine, il fallait s’attendre à des réactions – justifiées – aux USA, leur ampleur néanmoins a surpris le monde entier. Un homme ne sait jamais ce qu’il peut provoquer avec sa vie et sa mort. Les remous générés en France par cette dramatique affaire ne sont pas moins révélateurs d’un malaise profond, où la question raciale et la question sociale s’unissent pour produire un cocktail explosif. Il y a une évidente demande de justice au départ de toute cette agitation. Et sans doute aussi une récupération opportune par des associations à vocation identitaire.
La question qu’appelle en premier lieu ce concert de revendications est de savoir si la France est une nation raciste. Si elle l’est, ce n’est sûrement pas sous l’angle d’un racisme biologique, hiérarchisant à dessein des différences naturelles – même si on y trouve des groupuscules prônant encore la suprématie blanche. Mais il y a cependant un racisme plus rampant qui s’attache à des signes ethniques ; un racisme qui repose sur la peur de l’autre, redoutant son influence – jugée pernicieuse – sur les esprits. Nous le voyons bien chaque fois qu’une poussée de communautarisme surgit, sous une forme ou sous une autre, dans l’actualité. On parle alors de colonialisme culturel et de cinquième colonne. Ce qui souligne en creux que la France a été aussi une nation parmi les plus colonialistes de ces deux derniers siècles. Et que si elle n’a pas, contrairement aux Etats-Unis, pratiqué l’esclavage sur son propre sol, elle a largement exploité les hommes et les richesses des contrées intégrées de force à son empire. Cela laisse des traces dans la mémoire collective et les premiers à le rappeler sont les descendants des anciens colonisés. Malgré tout leurs exigences révisionnistes, lorsqu’elles concernent des figures nationales – comme Colbert – ou des œuvres d’art patrimoniales jugées tendancieuses, sont inacceptables. Ce n’est pas en gommant tel ou tel aspect de notre histoire qu’on en tirera des leçons pour l’époque actuelle. Juger le passé avec les valeurs du présent, sans la distanciation critique qui s’impose, est tout simplement stupide. Sur ce point Emmanuel Macron a été parfaitement clair dans son allocution télévisée de dimanche dernier. Un avis de non-recevoir qui est sans doute partagé par la majorité des citoyens de ce pays, de quelque bord politique qu’ils soient.
La parole des jeunes issus de l’immigration africaine et maghrébine est, en revanche, beaucoup plus pertinente lorsqu’elle dénonce le racisme qui sévit dans la police française. Car il y a encore, chez bon nombre de policiers, la tendance à faire des contrôles humiliants au faciès. Des contrôles qui ne sont pas justifiés par la dangerosité des personnes interpellées, mais bien davantage par la couleur de leur peau et par les quartiers où elles résident. Car ce qui se produit en Seine Saint-Denis ou dans les quartiers nord de Marseille n’arriverait pas – du moins pas avec la même fréquence et la même brutalité – sur les Champs Elysées, par exemple. Face à ces accusations, les représentants de la police peinent à trouver des arguments probants. Ils s’indignent à leur tour du désamour qu’ils suscitent dans l’opinion, soulignent la nécessité absolue de leur fonction au sein de la société, interpellent ministres et préfets. Reste que les violences policières, en particulier sur des afro-descendants, ne sont pas une vue de l’esprit, même si elles supportent mal la comparaison avec celles des policiers américains. Il y a certainement une juste approche à trouver, un dialogue à rétablir et ce n’est pas une mince tâche.
Cette situation illustre l’écart – grandissant – entre le discours républicain forcément idéaliste (les Droits de l’Homme, l’égalité, l’intégration) et la réalité empirique qui, elle, obéit à d’autres affects (la peur de l’autre, la loi du nombre). C’est ce qui explique que les dirigeants politiques, un peu partout dans le monde, soient presque toujours issus de la majorité raciale de leurs pays (Barack Obama, de ce point de vue, reste la plus notoire exception). Et qu’à l’inverse, les représentants de minorités soient, plus fréquemment que les autres, emprisonnés ou assassinés. Les démocraties ont du mal avec ces statistiques qui bousculent leurs belles valeurs, mais c’est ainsi. Pour les dominants comme pour les dominés, le chemin est encore long vers un véritable universalisme.
Jacques LUCCHESI
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