L’Ukraine sombre dans la violence, les médias dans la facilité
La dégradation de la situation à Kiev fait la une des journaux, qui optent pour un traitement souvent binaire et manichéen de l'information : d'un côté les manifestants pro-européens animés de bonnes intentions, sur lesquels tapent à bras raccourcis, d'un autre côté, des policiers en armes pilotés par un président désireux de ménager son autocratie et ne de pas s'aliéner la Russie. Simpliste.
Les images ne disent rien, si ce n'est qu'un certain chaos règne. Alors on les fait parler. La place du Maïdan est devenue un théâtre, oui, mais de marionnettes, auxquelles on fait dire ce qu'on veut, qu'elles soient dans un camps ou dans l'autre. Ce ne serait pas si grave si les médias n'influençaient en l'espèce que l'opinion des pays extérieurs. Réducteur sur le plan de l'analyse politique, désastreux pour l'image de Ianoukovitch, mais après tout pas si grave. Ce n'est pas le cas. Impossible d'imaginer que les échos de la presse internationale ne parviennent pas aux oreilles des Ukrainiens, y compris des manifestants, et ne contribuent pas injecter une bonne dose de tension supplémentaire dans les tractations bilatérales.
La grille de lecture de la majorité des médias se résume en quelques mots, s'assimilant assez au pitch d'un scénario mélodramatique. Elle renvoie les deux camps dos à dos, le premier, celui des opprimés, épris de l'Union européenne et de liberté - comme si les deux allaient nécessairement de pair - contre le second, dont la seule ambition dans la vie semble être de mater la résistance pour continuer de jouir paisiblement de ses privilèges.
Une interprétation qui arrange l'Union européenne, puisqu'elle la présente comme un monde libre et idyllique, et que par contraste ceux qui s'opposent au rapprochement de l'Ukraine avec elle sont perçus comme des tyrans en puissance. Pratique, cette théorie a pour avantage d'éluder les raisons profondes du refus in extremis du président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, de sceller un accord d'association avec l'UE, en le faisant passer pour un méchant de toute façon, par essence, mal intentionné.
Les Ukrainiens qui manifestent veulent que leur pays se rapproche de l'Union européenne. Soit, Ianoukovitch aussi ! Mais si les premiers partent du principe que les propositions de l'UE sont forcément intéressantes a priori, le second s'est penché de près sur l'accord d'association, et s'est rendu à l'évidence : le texte était cheap. Il ne proposait aucune alternative viable à la détérioration des relations économiques entre l'Ukraine et la Russie qui n'aurait pas manqué de se produire en cas de signature.
Ianoukovitch n'a pas dit non à l'Union européenne, mais à l'ersatz d'UE auquel l'Ukraine aurait eu l'accès via la signature de cet accord. Une version discount, bien loin de l'image d'Epinal que s'en font les manifestants du Maïdan. "Monde libre" ? Plutôt ironique, quand on sait que l'accord ne proposait même pas aux Ukrainiens de facilités de voyage sans Visa.
Le bourbier ukrainien s'éternise, grimpant chaque jour d'un cran dans la violence. Mercredi 22 janvier, le président rencontrait trois dirigeants de l'opposition pour tenter de trouver une issue pacifique. Après trois heures d'âpres négociations, ces derniers sont revenus sur la place du Maïdan, plus remontés que jamais, menaçant de passer "à l'offensive".
On peut se demander si les médias n'ont pas leur part de responsabilité dans la tournure violente que prennent les évènements. En présentant Ianoukovitch comme hostile au rapprochement avec l'UE (une UE incarnant les valeurs de liberté, de modernité et de vertu) ils contribuent à la crispation des manifestants - qui ne voient leur salut que dans la démission de leur chef d'Etat - et jouent le rôle de pousse-au-crime. Ce n'est pourtant pas d'un nouveau président dont ont besoin les Ukrainiens, mais d'une nouvelle mouture de l'accord d'association.
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