L’ultime racine encore cachée de Nuit debout
Plus de patrons en chair et en os !
SI CHATEAUBRIAND REVENAIT
Dans ses célèbres mémoires, Chateaubriand écrit « … les systèmes saint-simonien, phalanstérien, fouriériste, humanitaire, ont été trouvés et pratiqués par les diverses hérésies ; que ce que l’on nous donne pour des progrès et des découvertes sont des vieilleries qui traînent depuis 1500 ans dans les écoles de la Grèce et dans les collèges du moyen-âge. ».
Si l’auteur de René revenait dans quelques années afin d’actualiser ces lignes, il ajouterait sans doute Proudhon, Comte, la Commune, Blanqui, l’Anarchie, Marx, Mai 68 ainsi que bien d’autres évènements ou personnages qui ont cherché à changer la vie et les choses depuis la moitié du XIXème siècle.
Mentionnerait-il Nuit debout ? Cela dépendrait évidemment de l’évolution de ce mouvement : va-t-il faire long feu ou, au contraire, incendier rapidement la société ou encore, comme certains volcans, couver sous la cendre pour se réveiller périodiquement sans jamais exploser vraiment ? Nul ne le sait et surtout pas nos énarques qui ne craignent rien tant que les mines à l’incertitude quasi quantique tapies sous les pavés de la rue française. Je l’ignore aussi mais crois cependant pouvoir discerner l’une des faces cachées de Nuit debout.
FIN DE LA CHARITE D’ETRE HUMAIN A ETRE HUMAIN
Tout commence vers la fin du XVIIIème siècle, lorsque le don personnel d’un riche à un pauvre est vu comme une humiliation de ce dernier. A la limite, on peut, selon sa tournure d’esprit, considérer le don comme une obligation des riches désireux d’obtenir leur salut (1) ou, au contraire, déplorer son existence comme une preuve irréfutable d’une l’injustice sociale inadmissible.
Justement, la République française, par sa devise Liberté, Egalité, Fraternité visait notamment à lutter contre l’injustice sociale. Hélas, les choses ne sont pas si simples !
Dabord, l’égalité des chances, des droits et des devoirs sur la ligne du départ ne signifie pas l’égalité à l’arrivée puisque la méritocratie n’est pas une science exacte et les oligarchies, semblables au phénix, renaissent de leurs cendres n’est-ce pas … Au fait, de quelle liberté s’agit-il ? Est-ce celle dont parlait Lacordaire dans une de ses conférences à Notre-Dame de Paris « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (2). Ou est-ce celle de Charlie Hebdo ? Quant à la fraternité, voyez vous-même s’il vous plaît.
De fil en aiguille, on en arrive à l’Etat-providence : les plus démunis reçoivent des allocations de façon anonyme, sans aucun lien avec un autre être humain. Le don est systématisé, dématérialisé, déshumanisé ou, plus exactement, mécanisé (3). A noter combien l’Etat-providence constitue un outil puissant dans les mains des politiciens aux visées clientélistes, le plus souvent d'ailleurs au grand dam des finances publiques. En fin de compte, on parvient à un égalitarisme (4) exaspéré traquant jalousement les inégalités matérielles. La véritable égalité doit se juger à l’arrivée
Des trois paragraphes précédents, retenons avant tout la coupure des liens et des contacts humains entre les individus. Les anarchistes du XIXème siècle, dans leur rejet de toute autorité, se contentaient de proclamer « Ni Dieu ni maitre ». Aujourd’hui, l’exclusion des autres (de l’altérité humaine) s’est élargie et certains ne veulent plus être les obligés de qui que ce soit. Leur nouveau slogan s’est enrichi pour devenir « Ni Dieu ni maître ni conjoint ni géniteur ni enfant ni police ni … » (5).
FIN DE L’EMBAUCHE D’UN ETRE HUMAIN PAR UN AUTRE ETRE HUMAIN
Nous en venons à l’essentiel de cet article : dans un premier temps, l’Etat-providence a permis d’éradiquer tout lien humain dans le processus égalitaire ; dans un deuxième temps, on va exiger de ce même Etat de supprimer tout lien entre employeur et employé. Autrement dit, il n’est pas normal qu’une personne en rétribue une autre comme il était anormal qu’une personne reçût un don d’une autre personne.
Ainsi, CDD et CDI doivent être rangés définitivement dans les musées de l’Histoire. Chaque être humain capable et désireux de travailler (6) a droit au travail dans le cadre d’un Contrat Définitif (perpétuel, illimité) avec l’Etat-providence.
De ce point de vue, la loi Travail de Myriam El Khomri est totalement hors sujet. Elle part d’une logique honnie, la logique comptable, celle du privé, de la rentabilité, des actionnaires, du profit, de l’argent (7). Le problème n’est plus de répertorier les cas où une vertu sociale dûment estampillée autoriserait un gentil patron (oxymore) à licencier un salarié, mais il est de jeter au feu les cartes du Monopoly social archaïque illustrées de patrons où de plans sociaux.
« Ni patron en chair et en os ! » et la boucle sera bouclée.
En aucun cas, la main d’œuvre ne doit être considérée comme une variable d’ajustement. Si nécessaire, le pouvoir d’achat – notamment celui de consommer du superflu (8) - s’y substituera ce qui, en passant, satisfera l’écologie. Que tous reçoivent strictement le même viatique matériel doit demeurer l’objectif final.
CONCLUSION
Deux remarques pour conclure.
La première s’articule autour du proverbe chinois « Quand les riches commencent à avoir le ventre vide, les pauvres sont déjà morts de faim ». Bien entendu, la majorité des acteurs de Nuit debout sont en désaccord total avec cette suggestion que les pauvres auraient besoin des riches, leur devraient quelque chose en quelque sorte. Les Chinois, peut-être moins pinailleurs que les Français, semblent ne pas penser, contrairement à beaucoup de ces derniers, qu’il est injuste que le pauvre meure avant le riche.
La seconde parle de mort justement. Nos nouveaux anarchistes n’ont pas encore, semble-t-il, osé ajouter le « ni mort » à leur litanie (9). Contrairement aux suppôts du libéralisme mondialisé qu’ils exècrent, il leur est en effet financièrement impossible de se joindre à l’utopie de « La mort de la mort » (10). Peut-être parce qu’on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre ou que toute utopie à un coût...
(1) La charité est l’une des 3 vertus théologales du christianisme et l’aumône (zakat) est l’un des 5 piliers de l’islam.
(2)Il y a de cela plus de 150 ans. A noter que le célèbre dominicain prêchait déjà contre le travail du dimanche…
(3)Voir Chantal Delsol, Qu’est-ce que l’homme.
(4)Rappelons que le collectivisme n’implique pas nécessairement l’égalitarisme
(5)Cette litanie de "NI"peut faire penser au Nihilisme qu’il faut cependant se garder de confondre avec l’anarchie.
(6)Ceux dont le choix reste de ne pas travailler reçoivent un revenu universel encore appelé « revenu d’existence »
(7) « La haine de l’argent est la bande-son de la société française » écrit Pascal Bruckner dans Les Echos du 22 avril 2016.
(8)De disposer d’automobiles luxueuses, par exemple (Quelle jubilation de sacrifier une Porsche au sein d’une manif ! ).
(9)L’inverse du « Viva la muerte ! » des franquistes
(10)Titre d’un essai de Laurent Alexandre
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