L’union fait la peur
On dit souvent dans le maquis que l’union fait la force. C’est très largement vrai : face à l’adversité et dans le dénuement d’une armée de fortune, les maquisards ne parviennent à leurs fins qu’en regroupant leurs faibles moyens militaires et politiques pour faire reculer l’ennemi.

On pourrait croire qu’il en va de même en Europe. Mais les derniers développements de la crise ukrainienne suggèrent plutôt qu’à Bruxelles, l’union fait la peur.
Peur retenant les 27 États membre d’élever la voix contre les massacres orchestrés par des forces de l’ordre n’hésitant plus à faire parler les armes. Peur tétanisant l’appareil diplomatique européen, pourtant l’un des plus capables au monde, de négocier avec la puissance russe, pourtant manifestement démunie face aux désordres de son arrière-cour, en plein jeux olympiques. Peur des opinions publiques européennes, qui, drapées dans leur indifférence, restent sourdes au formidable élan d’une société ukrainienne lassée d’un pouvoir despotique et corrompu, fatiguée de demeurer aux marges de la croissance mondiale et des libertés publiques. Peur d’entendre cet appel, qui devrait pourtant résonner comme un éloge, à rejoindre l’Union européenne, considérée, pas tout à fait à raison, mais pas tout à fait à tort, comme un espace de paix, de prospérité, de justice et de liberté.
C’est à croire que l’Europe a oublié, ou fait mine d’oublier, ses propres heures de résistance, ses propres maquis, pour s’enfermer dans un quant-à-soi mutique et gêné. Et ce serait faire preuve d’un excès de mansuétude que de créditer l’Europe de la chute du régime Ianoukovitch, même si son intervention a sans doute contribué à en précipiter l’issue.
Deux explications peuvent être données à cette tétanie collective.
Selon la première, sans doute excessivement pessimiste, l’Europe s’enliserait progressivement dans l’égoïsme mesquin de sociétés vieillissantes et contentes d’elle-mêmes, s’enfermant dans un ghetto pour seniors hautement sécurisé et imperméable à toute perturbation extérieure. Cette Europe-là aurait renoncé sans le savoir à ses idéaux fondateurs et, pour cette raison, à une bonne part de son influence présente et probablement de ses libertés futures.
La seconde explication, moins radicale et espérons-le, plus proche de la réalité, consiste à estimer que l’Union européenne est trop forte pour que chacun de ces membres souhaitent prendre d’initiative isolée sur la scène diplomatique, mais trop faible pour s’exprimer clairement, distinctement et avec autorité au niveau international, faute d’une parfaite convergence de vue, de portes paroles audibles et de moyens collectifs adaptés.
Les plus optimistes des observateurs y verront l’étape intermédiaire, nécessaire mais provisoire, d’une puissance fédéraliste dont la constitution est certes fastidieuse mais irréversible. Il n’y aurait qu’à attendre… quelques morts de plus.
Tel n’est pas l’esprit des maquizards. Si, au milieu du maquis, les communistes avaient autant tardé à rejoindre la France libre, il est probable que la deuxième guerre mondiale ne serait toujours pas terminée, ou qu’elle ne se serait pas terminée de la même manière.
Comme elle a su le faire dans le passé, l’Europe doit assumer ses convictions et ses responsabilités, ses valeurs et la puissance qui est la sienne dans le concert des nations. L’Europe doit envoyer un signe d’amitié, de solidarité et d’intégration à ce pays, qui s’il n’a sans doute pas vocation à rejoindre rapidement l’UE, pourrait fournir l’opportunité d’une nouvelle communauté de coopération politique renforcée sur le modèle de l’union pour la Méditerranée, qui pourrait être élargie en union politique pan-européenne.
Plus que les craintes, l’Europe doit unir les volontés, les ambitions, les aspirations à la démocratie et à la liberté. Il en va de sa crédibilité et de sa légitimité, aux yeux du monde comme de ses citoyens.
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