L’univers Meetic : la mécanique du culte des apparences

Cela faisait un certain temps que je voulais écrire à propos des sites de rencontres amoureuses, tout en analysant quelles sont les finalités des différents acteurs – les abonnés, les visiteurs et les organisateurs commerciaux – qui participent de ce marché matrimonial cybernétique. Pour être honnête, le parti pris que je défendrai est celui de la description d'une matérialisation concrète à travers ma propre expérience de demandeur. Je vais parler de mes difficultés à rencontrer un partenaire qui correspond à peu près à mes attentes, dans ce cadre virtuel qu'est le site de rencontre.
Ensuite, je ferai des liens avec l'ensemble des rapports homme-femme dans la société contemporaine et j'expliquerai comment Meetic et les autres sites de ce type s'inscrivent dans la marchandisation des relations humaines, et détruisent par la même occasion le marché matrimonial organisé spontanément dans la vie quotidienne par les différents groupes sociaux intéressés.
Ma position est intéressante parce que je suis quelqu'un de particulier à tout point de vue, mais sans en avoir vraiment les apparences. Dans le fond, je suis un looser, puisque mon statut professionel est minimal – smicard de base pour un emploi « commercial » de base sans grandes qualifications ni responsabilités –, et à 34 ans je n'ai toujours pas de logement et je vis encore chez ma gentille maman qui habite la capitale. Voilà pour les inconvénients. De l'autre côté, j'ai tout l'air d'un winner, mais là c'est encore plus compliqué paradoxalement. Physiquement je n'ai pas trop à me plaindre même si j'ai quelques kilos en trop. Je n'ai pas de défaut majeur au visage et je ne souffre pas de gros handicap, y compris psychique. Je suis quelqu'un d'assez attentif et j'ai un tempérament assez calme. J'ai de la conversation, je sais m'adapter aux gens lorsque les différences de langage ne sont pas trop importantes et les efforts de communication mutuels et partagés.
Un autre avantage qui n'en est pas un, je suis un pseudo-intellectuel (avec des petits diplômes universitaires d'histoire et de géographie) qui n'est pas intéressé par le professorat, – ou pour être plus correct, par l'industrie éducative postmoderne –, mais garde le goût d'une certaine culture pour les sciences sociales, la littérature et les arts, un certain de degré de civilisation qui ne se retrouve pas forcément au coin de la rue et dans les grandes machines du marché industriel et commercial.
Un détail qui a son importance dans cette mécanique de l'apparence, je suis métis martiniquais et ceux qui ne sont pas avertis peuvent croire que je suis arabe ou je ne sais quoi d'autre. Certains qui sont dans le même cas, parmi les métis et les méditerranéens, peuvent s'en plaindre. Personnellement moi j'en joue et je peux m'amuser avec la perception des gens, quand ils ne se prennent pas trop au sérieux et ne font pas preuve de racisme. Mais dans le cas des sites de rencontres, fini la rigolade, l'apparence est absolue et vous enveloppe jusqu'à la moelle, que ce soit de manière positive ou négative. Vous êtes fichés dans telle catégorie et vous n'en bougerez pas.
Presque une évidence, je suis athée. Détail à relever là aussi, étant donné le luxe que cela peut représenter pour un individu issu d'une famille religieuse et traditionaliste, notamment chez les minorités ethniques où la religion remplace la politique. L'athéisme est souvent vu comme du nihilisme ou attaché à un radicalisme typiquement occidental qui s'oppose et détruit les cultures régionales du monde, ou qui prépare la fin du monde pour les créatures diaboliques. Pour plus du succès, dites au moins que vous êtes chrétien agnostique, ce sera plus consensuel et cela paraîtra moins farouche.
Voilà pourquoi les questions matrimoniales sont intéressantes en partant de ma situation, parce qu'elles croisent tous les domaines de la vie sociale et de l'imaginaire collectif. Qu'ai-je récolté en six mois de recherche sur Meetic, en ayant envoyé plus de quatre cent messages, « flashé » des centaines de filles, fait sept rendez-vous et deux soirées « événements » ? Les certitudes que seule l'apparence compte dans un premier temps, les statuts socio-professionnels séparés par des murs étanches et les catégories ethniques déterminantes dans le choix des partenaires. Je reviendrai spécialement sur ce dernier point, parce qu'il me semble indiquer une dynamique profonde dans la société française.
Les sept filles que j'ai rencontrées avaient de 26 à 36 ans, habitaient en région parisienne et comme moi, étaient à la recherche d'une relation stable. Sauf deux que j'ai vu deux fois, je les ai toutes vues qu'une fois et je ne me suis engagé avec aucune d'entre elles. La première était une grande blonde de 30 ans assez charmante qui était en instance de divorce avec son mari habitant à Lille, et elle était revenu à Paris chez son père. Elle était au chômage et ne savait pas vraiment ce qu'elle ferait ni où elle habiterait. Enfance assez difficile dans les espaces périurbains de la Normandie, père inconnu, travaux pénibles en restauration, malgré cela elle montrait un certain panache et restait dynamique. Elle se mettait au service des hommes et était vraiment généreuse. Pas de chance pour moi, puisque je suis toujours chez ma mère, et son coté instable ne me rassurait pas du tout. Même si j'ai cherché à garder le contact, elle avait bien compris que notre relation n'aurait pas d'issue puisque je cherche quelqu'un de stable dans la durée.
Ce fut la seule rencontre vraiment intéressante que j'ai pu avoir, parce que la fille était atypique. Les rendez-vous suivants furent en revanche bien plus prévisibles : j'ai eu droit à mon lot d'afro-caribéennes, trois parmi les sept rencontrées. Qu'une chose soit claire : je n'ai pas de préférences ethniques dans mes relations, contrairement à un bon nombre d'entre nous. Je me dis pas : il faut absolument que je sois avec une asiatique, une blanche ou je sais quoi. Je m'en fous. Les critères ethniques sont pour moi fallacieux lorsqu'ils ne sont pas basés sur des critères géographiques, culturels et linguistiques. L'apparence physique n'est pas une condition suffisante pour faire une relation, voilà pourquoi je me méfie toujours quand des antillaises s'intéressent à moi. Cela ne m'empêche pas de les rencontrer et de m'intéresser à elles, et si je me rends compte que notre entente est prometteuse, je ne reste pas sur la réserve. Et comme ce sont presque les seules qui me donnent une chance, je suis bien obligé de le prendre en compte. Trois guadeloupéennes et une togolaise, pas mal non ? L'Empire Français a de beaux jours devant lui...
Le 25 décembre 2015, rendez-vous à Saint-Lazare avec la première guadeloupéenne, 29 ans. Carrée des épaules et du visage, elle avait les traits du célèbre boxeur Mohammed Ali (pour de vrai). Néanmoins féminine dans son attitude, elle est chef de rang dans un restaurant où s'attable la bourgeoisie francilienne. Étant donné les efforts que nécessite ce type de travail, elle paraissait un peu blasé par la vie, et elle venait de plaquer son petit ami parce qu'il lui avait avoué qu'il ne savait pas s'il était amoureux et cela l'embarrassait. Là voilà devant moi qui est prête à s'engager dans une nouvelle relation. L'attirance physique m'importe peu si les affinités intellectuelles ont une telle intensité qu'elles effacent tous les autres défauts. Il est faux de dire que les hommes soient seulement intéressés par les qualités plastiques et le maquillage des femmes, parce que c'est la proximité culturelle et le partage de certaines passions qui déterminent la fiabilité d'une relation. Lorsque cette passion commune n'existe pas, il ne reste que le charme du corps. Si je ne sais pas qui je suis et ce que j'aime profondément dans la vie, la beauté serait mon seul critère de sélection, et ce n'est pas mon cas.
La deuxième antillaise, 26 ans, n'avait pas mis de photo sur son profil et elle m'a pris au dépourvu lors de notre rendez-vous. Quand je l'ai découverte, je fus à la fois un peu contrarié et un peu rassuré. Agacé de voir quelqu'un croire que l'origine ethnique équivaut à un sauf-conduit dans les relations sociales ; pour moi la grandeur de l'amitié et de l'amour réside principalement dans les efforts pour tendre la main à ceux qui sont différents, et j'en suis moi-même une incarnation vivante en raison de mon métissage assez complexe. Cette fois-ci, la fille n'était pas idiote, elle savait à peu près qui j'étais, et je fus assez rapidement rassuré. Elle avait fait des études universitaires de type AES, administratif et social, et elle travaillait en intérim comme larbin dans les services. Ne savant pas exactement ce qu'elle ferait ni ce qu'elle voudrait à l'avenir, elle résidait chez une cousine près de Torcy dans le 77. Arrivée de Gwada depuis quelques années, elle était un peu perdue dans cette vaste métropole parisienne et elle n'avait pas envie d'y rester. Face à elle, je ressentais un certain décalage qui ne me déplaisait pas, mais cette distance sociale, culturelle et géographique est si grande que la durée nécessaire pour la combler est d'autant plus longue, il faudrait des années avant de pouvoir nous retrouver sur un terrain d'entente. Pourquoi tombé-je toujours sur des affaires aussi compliquées ? Je veux du lointain et du proche en même temps, ce qui est impossible. Elle ne sait pas ce qu'elle va faire et sa destination m'est inconnue. Après avoir tenté de l'embrasser, elle prend le RER A vers Torcy et je ne la reverrai plus jamais.
Une autre m'a envoyé un message, et même si elle n'a pas mis de photo sur Meetic, je suis tellement désespéré de ne pas recevoir de réponses aux messages copiés-collés que je donne par cinquantaines à la volée, que je lui réponds quand même. Notre dialogue est fluide, elle parle bien français et a un vocabulaire étendu (ce n'est pas si fréquent sur Meetic). 30 ans, physique agréable sur les photos qu'elle m'envoie au téléphone, en plus elle a habité le même quartier, je ne dirai pas lequel. Enfin ! La promesse d'un début de relation viable. Haut standing, premier rendez-vous à La Défense, ça change un peu de Bastille et de Saint-Michel. Puis, peu à peu, lors de notre rencontre, ma motivation s'émoussait. C'était trop administratif, réglé à l'avance, elle me racontait son boulot au service culturel du conseil général du 92, à Nanterre, où les anciens célèbrent, paraît-il, le temps béni de la corruption sous Charles Pasqua. Elle est catholique pratiquante, ce qui me donne un parfum de désuétude, si ce n'est d'avachissement. La vieille France, tapie en cachette sous les motifs exotiques antillais, prête à vous ensevelir dans une histoire faite de compromissions lâches, d'espoirs trahis et de post-colonialisme mal assumé. Je n'aime pas les religieuses.
Pour la togolaise, envisager quoi que ce soit avec elle aurait été un véritable casse-tête. Sa maîtrise du français était très lacunaire et pour la communication j'étais obligé de lui faire répéter. Mais à la rigueur cela ne me dérange pas dans un premier temps, si la personne est motivée à s'intégrer et à en apprendre plus, cela peut éventuellement se corriger. Bon, après elle vit chez sa tante et n'a pas d'appartement. Je ne vais pas lui reprocher puisque moi aussi je vis en famille. Et là, le marteau arrive pour enfoncer le clou : elle n'a pas la nationalité française, ne peut pas travailler et gagner sa vie correctement. Je vais être sincère, elle était mignonne, et je m'étais fait prendre au jeu auquel je cherche tant à m'opposer : j'étais là parce que la photo m'avait attiré. J'avais été séduit par son apparence, voilà tout. Ce qui est triste dans cette histoire est que des pauvres gens comme nous se font flouer par un site de rencontres qui leur promet monts et merveilles. Et globalement, ce sont ceux qui sont le moins en capacité qui sont affectés à aider une personne en difficulté. Pour que ce soit faisable avec cette africaine, je devrais toucher un salaire d'au moins 2000 euros, prendre un nouvel appartement, se marier avec elle, l'intégrer le plus possible. Du coup, qu'a t-elle fait auparavant ? Elle s'était mise avec un cinquantenaire qui pouvait l'accueillir. Ensuite elle en a eu marre, parce que c'est une femme comme les autres qui veut s'épanouir et avoir des enfants. Elle tombe sur moi et se dit qu'avec mon salaire et ma situation les ennuis sont loin d'être terminés. J'espère qu'elle trouvera quelqu'un qui pourra la prendre en charge et ne soit pas trop exigeant sur les critères culturels. Si ça se trouve, elle trouvera plus facilement que moi…
En dehors de cette tournée africaine (c'est que je vais commencer à aimer ça !), j'ai rencontré et je me suis mis en contact avec des françaises de souche comme on dit, – ben... en gros des blanches qui viennent de n'importe où –, et je dois bien avouer que ce fut encore plus catastrophique qu'avec les antillaises. Au moins ces dernières savent faire la différence entre mon apparence et le fonds de ma personne, même si en façade elles peuvent préférer rester dans un esprit communautaire. Une française blanche de souche qui n'a pas fait beaucoup d'études (et encore...), à moins de bien connaître son sujet, ne va pas faire dans le détail : votre appartenance ethnique détermine tout le reste. Alors rien de surprenant si le goût de l'exotisme sera primordial quand elles me choisissent. J'en ai pas mal joué étant jeune, mais aujourd'hui j'aimerais aussi être aimé pour ce que je suis en globalité, et pas seulement en apparence. C'est à ce moment-là que je me suis dit que les sites de rencontres ne fonctionnent que sur les affinités physiques. Si l'apparence n'est pas en adéquation avec votre caractère, votre culture ou vos passions, il n'y a aucune reconnaissance de ce que la personne est. De la pure cybernétique appliquée aveuglément aux individus.
Finalement, toutes les femmes que j'ai rencontrées ont les défauts que partagent tous les abonnés de Meetic, y compris moi-même : la solitude précaire, surtout pour les femmes qui autrement n'ont pas besoin de recourir à un site de rencontres ; le niveau d'instruction qui est la plupart du temps moyen, voire insuffisant par rapport aux critères du marché global, et cela peut autant concerner un Bac + 5 qu'un sans diplôme si l'environnement social des individus est aussi pris en compte ; et vis-à-vis du marché matrimonial, plus on est seul, moins le niveau d'éducation a d'importance, puisque ce sont les ressources collectives qui permettent de mettre en valeur les compétences utiles dans ce cadre. Comme les sites de rencontres individualisent à l'extrême les qualités basées sur des conventions pratiques assez arbitraires (choisies par les organisateurs selon une grille d'analyse invérifiable), les critères de sélection deviennent insignifiants et sont nivelés par le bas, enfermant le dialogue dans le retour du même : l'affinité sélective par les critères identitaires (origines ethniques et catégories sociales) devient essentielle et prépondérant. Enfin, ce qui est autant valable pour les hommes que pour les femmes, la promesse d'une relation dépend fortement de la situation sociale des partenaires, même s'il reste toujours la possibilité de tricher. La chance s'accroît à mesure que s'accumulent les qualités positives que l'on fait apparaître. Le négatif, même résiduel, est fortement sanctionné et encore plus si cela apparaît lors d'un premier rendez-vous après avoir été dissimulé (défaut physique, statut social précaire, incertitude sur le type de relation ou sur le projet de vie, etc). Je l'ai autant appliqué qu'on me l'a appliqué. Il n'y a pas beaucoup d'amours ou d'idylles imprévus avec les sites de rencontres.
Sur Meetic, il y a nullement des acteurs rationnels qui agissent librement pour créer les bonnes conditions d'un partenariat amoureux solide et pérenne. La plupart ont compris depuis longtemps qu'il s'agit de fastlove – petit hommage à George Michael, – de plans cul à la semaine où les sentiments n'ont pas beaucoup d'importance. Pourtant, les abonnés font comme s'ils vont réellement trouver le partenaire de leur vie grâce au logiciel extraordinaire que nous ont concocté les responsables de la stratégie marketing. Depuis peu, certainement en raison d'une demande de plus en plus élevée, Meetic organise des soirées « événements » pour faire des rencontres en direct live. Je n'en ai pas fait assez pour dire si cela peut être une bonne stratégie pour trouver un partenaire, mais j'ai trouvé que les moyens investis par l'entreprise n'étaient clairement pas suffisants. Il y a un an environ, « soirée années 80-90 » au Back Up, une vieille discothèque obscure sentant la poussière et le renfermé qui se trouve rue Lecourbe. Aucun endroit pour parler, le son est à fond la caisse, les serveurs du bar sont des stagiaires ou des intérims payés au lance-pierre. Ces derniers avaient imprimé et collé au mur des feuilles A4 pour indiquer le prix des boissons. Quand j'ai demandé un mojito, j'ai dû passer pour quelqu'un de trop distingué… La seule chose possible à faire dans ce genre de soirée est de se mettre en mode « crevard », où les hommes assaillent les femmes (moins nombreuses) comme des vampires leurs proies. Vive l'amour moderne et numérique grâce à Meetic.
Ce genre « d'événement » montre bien comment l'entreprise considère ses clients et peut-être ses salariés : des vaches à lait qu'il faut faire cracher au maximum. Satisfaire la demande n'est plus vraiment un objectif. Il y a tellement de monde en détresse que pour en profiter il suffit de se baisser. De leur côté, les abonnés restent dans ce cercle vicieux de la consommation de fastlove , tout en se plaignant de ne jamais trouver le bon partenaire. Le succès de Meetic et de ses concurrents repose très largement sur l'augmentation du taux de divorce et de la précarité des femmes : comment un site de rencontres pourrait-il gagner des parts de marché si les gens se rencontrent vraiment ? J'ai dû envoyer plus de quatre cent messages et j'ai essayé de dialoguer en ligne avec des dizaines et des dizaines de femmes, la plupart du temps j'étais sans réponse. Et toutes les femmes inscrites sur Meetic le disent : elles reçoivent plus d'une cinquantaine de messages par jour. Autant dire que si vous êtes un homme, vous n'êtes pas très visible, vous n'êtes qu'un petit médaillon qui occupe quelques pixels sur un écran d'ordinateur, et il faut payer tous les deux jours pour en être en haut de la liste de recherche. Et les femmes ont tellement le choix qu'elles finissent par choisir le premier venu qui remplisse les bons critères au niveau de l'apparence, du statut social et de l'éducation élémentaire – c'est-à-dire savoir lire, écrire et compter –, sans se soucier du reste.
Les pratiques et les usages des sites de rencontres sont pour le moment trop déterminés par des logiques commerciales qui répondent seulement aux besoins des organisateurs du processus virtuel et qui sont redéployées à la charge des abonnés dans leurs stratégies de recherche. Le marché matrimonial virtuel pourrait être un bon outil si une matérialisation conséquente d'espaces de rencontres était organisée plus fréquemment et dans la durée, nécessitant évidemment beaucoup plus de moyens. Des grands forums ou des grands salons permettraient au plus grand nombre de se rencontrer plus facilement, sans avoir à développer une stratégie individuelle complexe de séduction et de conquête qui nécessite du temps et un ensemble de conditions qui n'est pas donné à tout le monde (transport, sécurité, logement, connexion internet permanente, etc). Les sites de rencontre externalisent les coûts de production sur leurs clients et proposent un modèle de réseau social low cost où chaque fonctionnalité du logiciel est facturée. Pour le dire autrement, de la grosse arnaque avec peu de moyens : Meetic est une boîte de 300 salariés pour des millions d'abonnés à travers le monde.
Il est peu compréhensible que dans une société moderne, la question du marché matrimonial soit reléguée à ce point dans les espaces marginaux de la société et ne se trouve pas au coeur des réflexions des rapports homme-femme et plus largement des interactions sociales. Comme si les gens ne pensaient qu'à travailler, à manger et à se reproduire bêtement comme des animaux, dans la plus complète endogamie sociale – même la stratégie clanique avec les « arrangements » familiaux peut paraître socialement plus évoluée. Les alliances entre les différents groupes sociaux, qu'ils soient familiaux, ethniques, associatifs, professionnels ou territoriaux ne sont pas simplement fonctionnelles et organiques, elles sont aussi affectives et ne peuvent pas être réduites à des simples opérations techniques, financières et commerciales, organisées par un simple mécanisme virtuel. La surexploitation des outils virtuels pour le marché matrimonial aggrave l'endogamie sociale, le racisme (de race ou de classe), favorise globalement le rejet de l'autre et donc accroît la solitude. Les dynamiques positives et régressives qui animent la société se retrouvent excessivement condensées et explosent depuis les canaux virtuels, puis se rematérialisent à l'état brut et en plusieurs morceaux dans d'autres espaces, détachées de tout contexte (c'est ce qui se passe aussi avec le djihadisme virtuel et les cyberattaques). Ce processus engendré par la télématique processuelle est positif dans le domaine de la communication, du tourisme, entre autres, mais il n'est pas encore articulé avec la nature humaine et provoque beaucoup de désorganisation sociale. Il réside encore tout un vaste domaine d'impensé autour des relations entre le virtuel et le réel, entre la capacité potentielle de la machine à fabriquer du rêve et l'usage que les êtres humains en font dans leurs propres vies. Plus de concret, d'affectif et de matériel, et moins d'abstrait, de mécanique et d'immatériel, voilà le commencement.
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