L’US Air Force, gérée par des épiciers ?
C'est mon vieux compagnon de presse spécialisée le Fana de l'Aviation qui m'en a averti, dans son numéro du mois d'avril. Et l'histoire vaut en effet le détour. Figurez-vous que les gens du Pentagone, qui semblent gérer leurs stocks au stylo près, alors qu'ils dépensent sans compter dans des gabegies mémorables dans des engins approximatifs, ont décidé de sortir de son cimetière un avion-zombie, et pas n'importe lequel. Un B-52H, débarrassé de son cocon de plastique pour reprendre l'air, afin de complèter la liste des appareils de la catégorie, l'un d'entre eux, incendié, s'étant avéré irréparable, il y a quelque temps. Le vénérable engin a de nouveau fait rugir ses réacteurs au dessus de Davis-Monthan pour rejoindre la base de Barksdale pour être fignolé (il ne rejoindra ses collègues que l'année prochaine). Au moment où on nous bassine sur les avions dits de 5eme génération (un terme discutable) et les merveilles de l'électronique, avouez qu'il y a de quoi sourire avec ce vieillard à pilotage par câbles, ressuscité... au nom il est vrai un peu prédestiné : il s'appelle en effet "Ghost Rider"...
L'histoire a commencé lors d'une visite de maintenance habituelle (enfin pas vraiment, l'avion avait déjà eu un problème auparavant). Celle du modèle 60-0049 de B-52H, envoyé au 49e TES (centre detest) pour effectuer des essais d'évaluation de nouveaux systèmes d'armes, avec son compère le 60-003, siglé lui aussi encore au 11e BS. L'appareil avait participé en 1999 à l'opération Noble Anvil, à savoir au bombardement de l'Otan de l'ex-Yougoslavie. On peut le voir ici avec sous les ailes deux missiles AGM-142 "Have Nap" en mai de la même année, arrivant à Fairford (en Angleterre). Des "Popeye" israéliens au nom modifié (pour faire plus sérieux ?). Un bidule guidé visuellement et pouvant emporter une charge perforante, une première sur ce type d'avion. Sur la base de Barksdale, les B-52 font parfois l'objet d'incidents sérieux, tel celui du 5 septembre 2013, un frein (celui du diabolo numéro 3) ayant pris feu alors qu'un avion était en train se se parquer. Ça, ce n'était rien en comparaison de l'incident de Minot d'octobre 2007, où un avion avait survolé les Etats-Unis avec 6 bombes nucléaires armées, un incident en évoquant d'autres du même tonneau dans les années 50 et 60... (lire ici et là également). D'autres incidents ont eu lieu durant la carrière du monstre des airs, avec parfois des surprises comme ici avec un vestige retrouvé... 50 ans après l'accident du 24 janvier 1963.
Le 28 janvier 2014, rebelote avec une fuite d'oxygène et une étincelle malvenue dans le cockpit, survenue lors de la grande maintenance du 0049, après chaque cycle de 450 heures de vol, une visite qui dure 14 jours d'affilée, et où l'avion est complètement désossé par 11 rampants (ici l'appareil en travaux en novembre 2014). Cette fois-ci, les dommages étaient trop importants, la structure du cockpit ayant été endommagée, l'appareil était bon pour la casse : cela revenait moins cher d'en remettre un des treize mis au rencart au cimetière des avions que d'essayer de retaper la bête brûlée. Il y avait eu un blessé dans l'incendie. L'affaire n'avait pas fait grand bruit dans le presse, l'USAF préférant parler ce jour-là d'un exercice à... Pearl Harbor à partir de la base d'Andersen à Guam. Voici les photos les plus récentes le concernant, en date du 26 avril 2014 à Barksdale (après l'incendie donc, qui ne semble pas se voir extérieurement). A noter qu'extérieurement ça fait belle lurette que l'engin a perdu son canon de queue, vestige de la seconde guerre avec B-17 et B-29 : ses quatre canons, vite remplacés par un seul M61 Vulcan ont été rapidement tous deux enlevés sur tous les appareils restants. Pour les missiles de croisière (nucléaire !), c'est en pylone, à l'extérieur.
Ne reste plus en effet que la solution de sortir de sa tombe désertique un des derniers exemplaires de B-52H. Un des rares modèles encore actif sur les 744 construits, le dernier exemplaire, de type H, justement étant sorti en... 1962 (notre "remplaçant" n'a qu'un an de moins !). Aujourd'hui, il ne reste donc plus en service que 58 B-52H, stationnés au 5th Bomb Wing de Minot AFB dans le Nord Dakota et 18 de l'Air Force Reserve Command au 917th Wing de Barksdale. Soit 76 engins exactement, le 1/10eme de la flotte d'origine des camions à bombes (voir ici) mais aussi les 76 exemplaires acceptés par les russes lors du dernier accord SALT signé en février 2011. En gros, les américains n'ont pas le droit d'en maintenir plus en vol... alors qu'il n'en ont donc plus aujourd'hui que 12 en stock, sous cocon, maintenus prêts à être utilisés.
Pourquoi avoir tant tenu à respecter ce chiffre d'apothicaire ou de compte d'épicier, ne cherchez pas à comprendre. Il y en a un, quelque part au Pentagone, qui détient une feuille sur laquelle c'est marqué 76... et si l'un d'entre eux se vautre, eh bien on fait tout pour qu'il y en ait à nouveau 76. C'est un peu kafkaïen, un tantinet ridicule (que sera le rôle d'un appareil de moins, est-ce celui-là qui effectuera la mission du siècle ou en a-t-on vraiment besoin. là ne semble pas être la question). Mais le fait est là : quelqu'un a signé un papier et mis un tampon pour qu'on sorte de sa tombe un bazar vieux de 54 ans, le numéro 61-0007, choisi parmi les "1000" à savoir une catégorie d'avions entretenus pendant au moins 4 ans dans un état assez correct pour pouvoir être remis en vol rapidement
(le principe marche aussi pour les autres, comme ici pour l'A-10, chez qui ça ne coûte "que" 43 000 euros pour le remette en route). En photo, les douze restants, soigneusement mis à part à Davis Monthan, les autres étant progressivement "scrappés" (ici au Texas). Ne reste plus qu'à se pencher sur ce qui est aussi un cauchemar de plombier : ce que montre cette étonnante photo (ici à gauche) prise dans la baie avant du train d'atterrissage, vers la cloison arrière du cockpit....
Enfin, rapidement, cela veut dire après deux mois et demi de remises à niveau diverses, de vérifications et de tests. Ce qui n'est pas une mince affaire sur un engin doté de 8 réacteurs... qui sont tout sauf jeunes (la cellule de l'avion affiche 17 000 heures de vol !). En octobre 2012,le plus récent des B-52 (le modèle 61-040) a en effet franchi le cap des 50 ans d'existence. Des TF33, bichonnés certes, mais eux aussi d'un autre âge : c'est en effet la version civile du JT3, dérivé du J-57, qui a volé la première fois avec le premier Boeing 707-120 le 22 juin 1960. Extérieurement, ça se voit, quand il vole, ça s'entend et ça se sent quand huit exemplaires laissent derrière eux leur panache de carbone (dû à l'injection d'eau en sortie de réacteur).
Le temps de transférer du 0049 ravagé les composants nécessaires, dont une navigation Norden numérique et un équipement Satcom (il venait d'être mise à niveau !) et le revoilà en vol... d'essais : le programme de remise à niveau ne sera terminé qu'à la mi-2016 !!! Et tout cela à un coût : le nettoyage et la remise à neuf d'un B-52, ce n'est pas un coup de polish seulement comme pour les bagnoles, au fond d'un garage de banlieue. Selon les techniciens, il n'y a eu à changer que les réservoirs internes et les tuyaux de desserte du kérosène, et c'est tout. La fantaisie du respect du chiffre 76 (auquel les américains sont très attachés) a coûté la bagatelle de 13 millions de dollars ! Ce qui n'a pas empêché l'Air Force de présenter la chose sous le terme "d'économie" : Selon le capitaine. "Chuck McLeod, un officier de carrière de la logistique et de l'élargissement de l'équipe l'avance de son B-52 SPO de l'équipe de régénération, "la récupération d'un B-52 d mis à la retraite et au '"cimetière" épargne l'argent des contribuables. Il a poursuivi : « C'est beaucoup trop cher de réparer l'avion endommagé ou de fabriquer un nouveau bombardier (? ??), alors qu'il n'y a pas eu de nouveau B-52 depuis 1962." Il eût été moins cher de ne pas le remplacer du tout, pourrait-on persifler.
L'engin est l'objet de tous les soins, mais ses colègues aussi, depuis qu'on s'est aperçu que le B-2 était loin d'être une réussite et que le B-1 était plus fragile qu'imaginé au départ. Alors on dépense des millions pour mettre à jour le tas d'aluminium. On le recâble entièrement en bus de données, on lui met de beaux et grands LCD en cockpit, et on lui colle un ordinateur digne de ce nom, l'ensemble étant appelé Combat Network Communication Technology (CONECT) : les premiers ont été posés en 2009 en tests. Le contrat, finalisé l'année suivante porte sur 8 ans de chantiers de mises à niveau diverses pour la somme de... 12 milliards d'investissements au total. très bonne vue du cokpit ici. Chaque tas de ferraille transformé aura donc reçu à la fin près de 158 milions de dollars de soins (L'engin ne valant que 53, 4 millions en 1998 (et seulement 9, 28 en 1962, à sa sortie d'usine).). Avec un beau gag au millieu, expliqué ici candidement par une revue spécialisée (Wired) : "CONECT rend beaucoup plus facile de modifier les objectifs en vol, un gros avantage dans un avion qui passe régulièrement 14 heures en altitude. Les écrans LCD rendent l'information compliquée plus facile à comprendre. Et le système fonctionne sous Windows, ce qui réduit le temps d'apprentissage et peut permettre aux équipes de faire des choses comme l'utilisation de Microsoft Word pour rédiger des rapports pendant les accalmies dans le vol."... la crainte de l''écran bleu de la mort n'ayant pas effleuré les responsables du Pentagone... Z'ont intérêt à avoir une connection téléphonique qui marche, pour le service après-vente ("allo Microsoft, ça a planté, que dois-je faire ?"... "Evacuez l'avion, ou rebootez !!! ").
Actuellement, on teste toujours le remplacement de la soute rotative du B-52, répondant ainsi à la mise à jour décidée en 2013 de pouvoir emporter des "smart bombs". Le nouveau bidule s'appelle un Conventional Rotary Launcher (CRO, la maladie des millitaires US de mettre des sigles partout), pouvant emporter des "smart weapons" de type 1760, remplaçant les bombes guidées par GPS (Joint Direct Attack Munitions ; ou par laser. L'envoi de ces nouvelles bombes JDAM exige non seulement le changement du rack mais aussi l'installation d'un bus d'informations pour pouvoir les lâcher au bon moment. Le nouveau rack rotatif emportera ainsi 24 GBU-JDAM-38 de 500 livres ou 20 GBU-31 de 2 000 livres.
Mais il lui faudra aussi changer un jour ses réacteurs... car cela fait longtemps que l'on a testé des TF-39 (ceux du Lockheed C-5 Galaxy) à la place, dont 4 exemplaires prendraient la place des 8 précédents à bout de souffle, mais que le Pentagone n'a jamais trouvé l'argent pour le faire. Or ça commence à urger, pour un simple problème de pompe à essence. A savoir aussi qu'en kérosène, en effet, ce n'est pas donné : l'avion contient 47 000 gallons, le kérosène étant à 1,57 dollars le gallon (il a baissé de moitié ces derniers mois !) un décollage à plein coûte, même avec les prix bas actuels, plus de 73 000 dollars (en septembre 2014, il fallait presque 200 000 dollars pour le remplir...). D'autres on fait le calcul sur une plus grande échelle, pour imposer l'idée de nouveaux réacteurs indispensables pour les 35 ans à venir : "le B-52H est programmé pour voler environ 22 000 heures par an et avec ces moteurs existants, il consomme 3 310 gallons par heure (12 500 litres), ce qui fait qu'un seul B-52 consomme 275 millions de litres par an de carburant !!!). Après remotorisation, le taux de consommation de carburant horaire devrait calculé diminuer d'environ 33 pour cent, à 2 218 gallons par heure. Aux heures de vol programmés, ce est une économie d'environ 24 millions de gallons de carburant par an, soit 840 millions de gallons sur le reste de vie (35 ans) de la cellule du B-52H. Des études antérieures de remotorisation ont calculé la valeur économique de cette réduction en multipliant le nombre de gallons enregistrés par le prix en vigueur chez le Defense Energy Support Center (DESC) pour le carburant. C'est basé sur le prix "DESC FY03" à 1,20 dollars. la méthodologie utilisée dans les études antérieures pourrait réduire les coûts d'environ 29 millions par an, soit environ d'un milliard de dollars sur la durée de vie restante estimée du B-52 à 35 années". Evidemment, derrière les calculs d'épiciers, il y a le lobby des constructeurs de moteurs, et ici General Electric, premier candidat à la modification. Le Pratt & Whitney PW2000 (appelé aussi F117) étant aussi en lice, car déjà utiisé sur le C-17 et le Boeing 757... "ce serait une victoire pour l'environnement", note avec humour foxtrot alpha. Il y en a 304, de moteurs à fournir (sans parler des stocks supplémentaires de rechange)... et ce n'est pas donné... chaque moulin vaut en effet 8,4 million de dollars. Il faut donc aligner 2,5 milliards de dollars pour changer toute la flotte existante (sans compter les moteurs de rechange).
Tout ça alors que la guerre assymétrique d'un Daesh ou des Talibans, ou avant eux les Viet-Congs a démontré que le tapis de bombes, à part laminer les civils, était plutôt peu efficace et qu'en ce domaine, un bon vieux monstre très laid à tronche de phacochère était dix fois plus efficace. Oui mais voila : le F-35 a bouffé tous les crédits qui restaient de l'aventure F-22 ou du V-22, et il ne reste plus grand chose à ronger. Le B-2 est tellement fragile qu'à chaque sortie on craint qu'il ne rentre pas entier, et ce, en dehors de toute adversité. Il craint... la pluie. Le F-22 a besoin d'un drôle d'avion (on va voir lequel bientôt) pour causer avec ses collègues, vu qu'il est l'autiste de service, le F-35 lui ne sortira jamais par temps chaud (ou alors avec des citernes au sol peintes en blanc ce qui est un sommet, il faut l'avouer). L'arsenal guerrier US n'a de sens qu'il ne fait que nourrir un looby et rien d'autre, et la sortie de la naphtaline d'un avion de 50 ans n'échappe pas à cette règle. C'est un système clos : on pointe sur un tableur, et on demande au contribuable US de payer, en l'embarquant dans une propagande pitoyable et guerrière sur la défense de la Nation. En attendant, il peut toujours attendre des soins fournis par l'état en cas de maladie : aux Etats-Unis, patrie cocardière des vieux avions repeints à neuf, il vaut mieux être riche, en bonne santé et posséder un bon flingue qu'être noir et habiter Ferguson...
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