La centrale de distribution, grandeur et décadence
Je vais vous parler de la centrale...
La centrale de distribution Easydis des hyper, super, superettes Casino de ma région.
J'y avais atteri en 2003 avec 2 amis dans la dèche par le biais d'une agence d'interim.
Je n'étais pas mécontent de on boulot qui était physique (mais ça fait pas de mal).
Les gens de Easydis se reconnaissaient dans le bus et dans la rue de par leur doudoune de travail bleue et leurs chaussures de sécurité. C'est que ça faisait du monde. Easydis était une petite ville dans la ville. Une petite ville ressemblant à un immense frigo où tout le monde avait le tein gris de ceux qui passent leur vie sous les néons.
Nos journées commençaient toujours par le même rituel : on se battait pour avoir le meilleur transpalette (celui qui va plus vite et dont les batteries ont bien été remises à charger la veille au soir). Nous nous retrouvions tous devant les fruits et légumes pour le briefing du chef d'équipe. "Je fais l'appel, tout le monde est là ! Bon les gars ne chargez pas trop vos commandes, prenez plutot un deusième roll parce que sinon ça se casse la gueule dans les camions et les clients sont pas contents ! Bonne journée et bon travail".
Je prenais le bus puis je marchais 15 minutes dans le froid du matin pour me rendre à l'entrepot. Mais ce chef d'équipe était sympa : Il m'a pris en stop deux ou trois fois.
"Allez viens, monte ! Tu vas être en retard sinon !" ... Bon il ne m'a jamais proposé le stop en fin de journée quand je devais rentrer chez moi mais il était sympa !
Ensuite mes journées étaient rythmées de la sorte : on se bat pour prendre les commandes les plus pratiques à faire. Je prends 2 rolls sur mon transpalette, un aller aux légumes, un retour aux fruits, on vérifie la commande, on l'emballe avec une tonne de celophane et on la pose sur le bon quai pour que le bon camion l'embarque. La moyenne était, je crois de 700 palettes par jour, je les atteignais rarement mais je m'en foutais car j'étais interimaire.
Par contre je voyais les vieux, ceux qui avaient signé le CDI... Eux avaient l'air de trouver leur boulot moins marrant. Forcément, le boss les avait à l'oeil. Il n'y avait que les plus anciens, ceux qui s'approchaient de la retraite qui s'en foutaient royalement, envoyant chier les patrons sans crainte et s'octroyant des siestes entre les palettes et des pauses clopes selon leurs envies.
Ils nous racontaient l'histoire de la centrale pendant la pause déjeuner où tout le monde, les manutentionnaires comme les chauffeurs de poids lourds, pouvait profiter de la carafe de rouge ou de rosé à pas cher.
J'ai bossé 3 mois là-bas et si mon dos l'a moyennement bien vécu, j'en garde quelques souvenirs amusants. Moi et mes potes faisant des courses de transpalettes et des batailles de légumes. L'adjoint de mon chef d'équipe dépressif qui s'ouvre le crâne en mettant un coup de boule dans un mur d'énervement, les petits larçins sur les commandes, mes mauvaises manoeuvres où je renversais des palettes entières parce que je visais mal et aussi ce chauffeur poids lourd qui a été trouvé en train de déféquer dans une glacière du rayon poissonerie...
Ces trois mois là furent sympathique.
2 ans après, j'étais à nouveau dans la panade et je me suis dit que retourner à la centrale serait une bonne chose. Mes 2 amis quitté la ville alors ça allait etre moins marrant. Heureusement, j'ai été affecté au retour des palettes. Bref je passais mes journées sur un quai avec pour collègues un jeune maghrebin et Boris, un dentiste serbe qui gagnait mieux sa croute à faire manutentionnaire en France. Nous étions très pépères et très peu dérangés. Quelle ne fut pas ma surprise quand je suis allé faire un tour aux fruits et légumes voir mes anciens collègues en CDI... Ils avaient pris un petit coup de vieux, parlaient toujours aussi peu et faisaient les frais d'une couteuse innovation technique particulièrement aliénante.
A l'époque, les commandes étaient sur papier et on les remplissait point barre. Là les préparateurs de commande avaient dorénavant un casque avec micro et chaque palette leur était annoncée directement dans l'oreille et il fallait répondre OK pour passer à la suivante.
"1 pomme de terre - OK - 1 choux fleur - OK - 1 raisin Italia - OK - 1 banane Martinique - OK"
J'avais du mal à m'imaginer à leur place à passer la journée à dire OK à une boite vocale.
C'était pas très humain comme traitement mais après tout cela faisait moins d'erreurs dans les commandes et l'entreprise devait peut-être mieux tourner...
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Il y a quelques jours, ma copine coduisait et revoyant ce pont au dessus de la rocade je lui dis : "tiens tu vois là c'est le quartier où je bossais ! c'est là que mon chef d'équipe me prenait en stop pour ne pas arriver à la bourre au travail, tu vas voir notre entrepot, il était énorme, une vrai fourmillière !"
Mais en arrivant devant l'entrepos : pas de voiture, pas de poids lourds, des mauvaises herbes et des blocs de béton pour boucher l'entrée du parking. La centrale n'existait plus. Je ne sais pas ce qui est arrivé aux 2000 personnes qui devaient y travailler.
Moralité ? Y en a pas ou alors à vous de me le dire !
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