Le chaos américain en 2020 ?
Turchin est un chercheur important se réclamant de la cliodynamique (d’après Clio, non le véhicule mais la fille de Mnémosyne, aussi connue comme Muse de l'Histoire), une théorie transdisciplinaire qui veut convertir l’Histoire en science. Son équipe est composée d’anthropologues comme Harvey Whitehouse, et ils constituent lentement mais sûrement une gigantesque base de données utilisant la technologie Data traitant des rituels, des structures sociales, de la démographie et des conflits dans le monde entier. Historiens, archéologues, chercheurs religieux, spécialistes des sciences sociales et neuroscientifiques tentent d’identifier et de modéliser les forces sociales qui façonnent les sociétés humaines. La cliodynamique a déjà proposé cette grille cyclique pour les séquences chaotiques ayant frappé la France ou encore l’Empire romain :
Turchin se consacre à la dynamique des populations au sein de l'Université du Connecticut à Storrs, et affirme avoir décelé l'apparition de trois pics d'instabilité politique à des intervalles réguliers d'environ 50 ans émaillant l’histoire des USA. Utilisant son outillage conceptuel auparavant appliqué aux cycles régissant le couple prédateurs-proies dans les écosystèmes forestiers, il le greffe aux mouvements sociaux américains. Il a par ailleurs analysé des données historiques collectées depuis des années synthétisant stabilité étatique, équilibre économique et tendances démographiques. Ses résultats prévoient donc un nouveau pic de violence sociale aux alentours de 2020. S’appuyant sur le pic de tensions raciales et politiques issues de l’après-guerre civile américaine, ayant culminé en 1870, puis en 1920, 50 ans plus tard, sur la peur du communisme, les émeutes raciales et les grèves ouvrières, et enfin en 1970 avec le mouvement des droits civiques, des assassinats politiques, des émeutes et du terrorisme, une boucle cyclique se dégagerait et serait donc toujours en cours, analyse renforcée par le contexte de crise politique actuelle, de contestation du pouvoir et de tensions identitaires et économiques ravivées par l’élection de Trump. La majorité des historiens ne soutiennent pas cette théorie à caractère probabiliste et strictement calculateur, considérant que l’Histoire échappe à toute rigueur mathématique. Toutefois, son intérêt essentiel est que son point de vérification empirique approche à grands pas… Ce qui semble poser problème avec ce genre d’approche numérique, c’est l’éludation du caractère intentionnel et potentiellement auto-déterminé de l’hominidé à agir ou se désengager. La raison n’est raisonnable qu’en ne se désavouant pas trop devant les algorithmes. L’unilatéralité de cette doctrine des cycles semble frappée du sceau de l’irréversible, oubliant le désir humain et ses retournements imprévisibles. Il règne parfois une grande dissymétrie entre un état de crise sociale et la capacité de révolte d’une population (se reporter à l’apathie actuelle des peuples européens). L’instabilité est la tendance de l’homme moderne, accompagnée par une confusion des idées et un vertige existentiel que les chiffres et la data science ne savent pas calculer dans leurs moindres détours et échappatoires. La capacité de l’homme à vouloir s’emparer arbitrairement de son monde par un savoir totalisant n’est pas neuve, mais d’Anaximandre à Empédocle, les Anciens savaient accepter l’inconnaissable de l’Aiôn.
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