La chasse au clandestin est ouverte, mais pas celle au travail clandestin
Pendant la campagne électorale, la chasse aux clandestins prend des tours odieux : la traque s’organise autour des écoles, avec le renfort de gaz lacrymogène au milieu des gosses comme ce fut le cas dans le 20e arrondissement de Paris. Il suffit de se poser la question des origines de l’immigration clandestine et d’en rechercher dans les programmes des candidats les plus virulents sur le sujet les solutions qu’ils envisagent, pour se rendre compte de l’hypocrisie des postures de certains.
Car enfin, lorsqu’un clandestin parvient à pénétrer dans notre pays, il n’a aucun doute sur son avenir : il survivra dans la clandestinité pendant de longues années avant d’espérer une régularisation miraculeuse. Et pour survivre, il n’aura d’autre ressource que de se tourner vers le travail au noir. Et c’est là que ça se gâte car cette véritable pompe aspirante qu’est le travail non déclaré, et qui représente entre 7 et 19% du PIB dans l’Union européenne (source : Commission européenne, 2005), constitue le vrai moteur de l’immigration clandestine et n’est pourtant pas pris en compte sérieusement par les candidats les plus prompts à affréter des charters.
Nicolas Sarkozy, dans son discours de Caen du 9 mars 2007, réaffirme la nécessité de lutter contre l’immigration clandestine qui, dit-il, "fait la fortune des marchands de sommeil et des passeurs sans scrupules qui n’hésitent pas à mettre en danger la vie des pauvres malheureux dont ils exploitent la détresse." Marchands de sommeil, passeurs, soit. Pas un mot sur les employeurs. Et lorsqu’on cherche dans son programme une référence au travail au noir, c’est pour en déplorer le manque à gagner fiscal et le mauvais coup porté à la concurrence, sans évoquer l’immigration clandestine qui fournit d’importants bataillons à ces employeurs véreux.
Car, tout comme on excuse largement le chanteur populaire qui s’exile en Suisse pour ne pas payer ses impôts en France, il semble que l’on soit compréhensif envers ces patrons étranglés par les charges sociales et fiscales qui n’ont d’autre moyen que de recourir au travail non déclaré. C’est ainsi que l’on fait des descentes de police devant les écoles maternelles mais pas dans les ateliers clandestins du centre de Paris ou, pire encore, sur les chantiers des bons amis du BTP. En effet, toujours selon la Commission européenne, c’est dans le secteur de la construction, suivi de l’agriculture et de la restauration, que se concentre l’essentiel des travailleurs clandestins. A Paris, selon la préfecture de police, ce sont les secteurs de la confection et de la restauration qui utilisent cette pratique. Certes le travail clandestin n’emploie pas que des travailleurs en situation irrégulière : 16% des infractions concernent cette population. Mais l’ampleur de cette économie parallèle ne permet pas d’employer tous les clandestins ! Or, tandis que des dizaines de policiers se massent devant l’école maternelle de Belleville pour choper un grand-père, il ne sont que 47 à Paris à lutter contre le travail clandestin. Rappelons-nous notamment qu’en 2003, 81 députés UMP avaient déposé une proposition de loi visant à réformer le statut de l’inspection du travail et à en changer la dénomination. Cette proposition prévoyait notamment des sanctions contre les inspecteurs du travail ayant pris une décision qui aurait causé un préjudice à l’entreprise. Leurs décisions devaient en outre garantir le bon fonctionnement de l’entreprise, ce qui revenait à ne jamais incarcérer un responsable frauduleux.
Côté François Bayrou, la corrélation entre immigration clandestine et travail au noir est faite. Dans le chapitre "immigration" du candidat de centre-droit, on lit en effet : "Il faut en même temps très durement réprimer le travail clandestin. Les immigrés clandestins ne restent que s’ils peuvent travailler. Le travail clandestin est la condition de l’immigration clandestine. Chacun sait qu’il est en réalité peu réprimé." Le constat est vrai mais les moyens de lutte contre ces pratiques ne sont pas détaillées. Les effectifs de l’inspection du travail sont en baisse relative constante, s’établissant à quelques 1 300 agents pour l’ensemble du territoire. Compte tenu de la difficulté des missions, rendant souvent nécessaire d’effectuer certains contrôles à deux, le travail clandestin a encore de beaux jours devant lui.
En vérité, les candidats de droite et centre-droit éprouvent des difficultés à se positionner sur le sujet, comme si cette pratique, fût-elle illégale, constituait malgré tout un élément de régulation sociale et économique. Rares sont les entreprises qui n’emploient que des clandestins et les emplois réguliers ne doivent leur maintien qu’aux effectifs irréguliers. A côté de cet équilibre économique pervers, une lutte massive contre le travail clandestin jetterait à la rue de nouvelles catégories de pauvres sans ressources. Enfin, cette économie parallèle représentant un pourcentage important du PIB, son erradication entraînerait une baisse très sensible des recettes fiscales. N’y aurait-il pas de solution ?
Examinons donc ce qui se passe à gauche, chez Ségolène Royal. Le projet socialiste établit une liaison directe entre immigration clandestine et travail clandestin : "Il nous faut par conséquent dissuader l’immigration illégale et démanteler les filières mafieuses (augmentation des moyens de l’inspection du travail et aggravation des peines encourues pour les employeurs en infraction)." La proposition consiste donc bien à donner des moyens supplémentaires à l’inspection du travail, à en augmenter les effectifs dont on a vu qu’ils étaient dramatiquement insuffisants, et à sanctionner plus fort.
Cette proposition se double d’une possibilité de régularisation d’un clandestin après dix années de présence en France, disposition supprimée par Nicolas Sarkozy. Enfin, le projet prévoit de revenir sur les dispositions des lois Sarkozy qui ont plongé dans la clandestinité (les trop fameux sans-papiers) des milliers de personnes entrées légalement en France. Ces dispositions visent à donner une réalité légale à l’immigré, lui permettant ainsi d’accéder à un emploi légal ou de légaliser son emploi antérieurement clandestin.
On peut regretter que certaines mesures proposées par le courant Démocratie et République, courant interne du PS animé entre autres par l’inspecteur du travail Gérard Filoche, ne soient pas reprises, mais sait-on jamais. Il s’agit, notamment, de procéder à une régularisation massive d’emplois clandestins, c’est-à-dire monnayer avec les employeurs frauduleux la régularisation des emplois en échange d’un abandon des poursuites pénales. Cette proposition intelligente ne vise donc pas à régulariser massivement des clandestins, mais à régulariser des emplois occupés, entre autres, par des clandestins. Proposition "gagnant-gagnant", selon l’expression chère à la candidate socialiste : la collectivité récupère des cotisations sociales, l’employeur évite la prison et les lourdes amendes, le travailleur retrouve une dignité et des droits.
Comme on peut s’en apercevoir, ceux qui crient au loup et qui brandissent l’épouvantail de l’immigration ne sont pas ceux qui proposent les mesures adéquates pour en interrompre les pompes aspirantes. Prudemment et sans effet de menton, il semble bien que c’est à gauche que l’on trouve les choix les plus appropriés, quoiqu’encore insuffisants, pour réduire l’attractivité du travail clandestin.
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