La chute du socialisme, après celle du communisme. Les jeux funèbres post-mitterrandiens

Les Socialistes, nous les observons se déchirer depuis l’échec de Ségolène Royal à la présidentielle. En jeu, les rênes du PS et en mouvement, les querelles du PS. Les courants ont en leur essence le mouvement. Ils peuvent se rassembler en un prestigieux fleuve ou bien se séparer. Après le congrès de Reims, la direction du PS fut confiée à Martine Aubry, non sans un mélodrame joué dans les urnes et l’ire de Ségolène qui n’était pas bourrée quand elle a dit que les urnes étaient bourrées. Et maintenant, voilà qu’un courant se dispute et que Vincent Peillon, animateur du courant, est exclu par Royal, fondatrice du courant. Cela rappelle des histoires de califes qui nous conduiront vers l’Antiquité grecque. C’est un fait. Au PS, plus personne ne s’écoute et l’on entend dans la fureur médiatique les échos des querelles de personnes. Pourtant, on nous avait appris à l’école que la politique, c’est des idées, des projets. Mais non, en ce moment, le PS est sous la domination des querelles de personnes. Comme ce fut le cas en 1990, lors du congrès de Rennes, sept courants ne représentant guère la diffraction d’une lumière socialiste rayonnante mais reflétant l’ambiance délétère régnant dans cette formation politique pourtant reconduite au gouvernement après la réélection de Mitterrand en 1988. Mais 1990, n’est-ce pas l’année qui suit la chute du mur et précède la dislocation de l’Empire soviétique ? Sans vouloir jouer avec les dates, osons une thèse, celle d’un effritement du PS lié à la chute d’une idée, le socialisme. Voilà une piste à creuser.
Lorsqu’un dispositif transcendantal de souveraineté s’effrite, l’empire sur lequel il règne se disloque. Quand c’est un Empire communiste, les anciennes républiques reprennent leur souveraineté et chacune tente de jouer perso. C’est un phénomène bien connu. Déjà, l’Antiquité a vu se dessiner un schéma similaire. Tout est une question d’échelle mais le ressort est dans les grandes lignes identiques. On assiste à des querelles pour prendre le pouvoir et diriger. Des hommes déterminés s’affrontent, en usant de clans, tribus, partis, nationalités, communautés, peu importe. Prenons la Grèce antique à l’époque d’Alexandre. L’historien Peter Green* nous dépeint un portait édifiant des luttes incessantes entre nouveaux prétendants sitôt en quête de trône dès que la dépouille d’Alexandre fut ramenée. Green a désigné cette période, allant de 323 à 276 av. JC, comme celle des jeux funèbres d’Alexandre. Des querelles intestines entre chefs, des luttes sans merci, avec des pillages. Et puis un portrait des tendances sociales à travers les mœurs et les modes d’existence que dévoilent les œuvres philosophiques et littéraires. Après la mort d’Alexandre, les cités grecques ont perdu le sens tragique et intense de l’époque classique. Le mercantilisme avait gagné les puissants et le nouvel universalisme organisa la vie sociale et politique autour d’intérêts économiques et familiaux. Cela ne rappelle-t-il pas l’évolution de l’Europe en 1990, avec une unité autour de l’économie, concrétisée par l’euro, et le retour des valeurs de la famille dont Luc Ferry se fit le chantre. De ces jeux funèbres d’Alexandre, on retiendra l’avènement de gouvernements autocratiques (clin d’œil à certaines tendances actuelles, surtout vers l’Est) Green évoque Aristophane, auteur d’une « préfiguration évidente de cet apolitisme de goût pour les platitudes sociales et domestiques » (p. 43) Ne pourrait-on pas appliquer ce constat à la vie politique après 1990, ces politiques de proximité destinées au riverains, pour résoudre de banales questions de stationnement ou de poubelle. Et cet apolitisme, ce goût moyen, ces platitudes, ne les trouve-t-on pas dans le roman français avec ces auteurs fades ayant suscité un brillant pamphlet signé Pierre Jourde qui en avait gros sur l’estomac après avoir ingurgité tant de banalités nombrilistes. Côté philosophie, 1990 ne se présentait pas sous d’excellents augures. Mais le pire était à venir, avec la philosophie light et cosmétique d’un Raphaël Enthoven. Après Alexandre, il y eut les cyniques, prenant leur distance avec le goût pour les biens matériels, préfigurant nos partisans de la décroissance et la frugalité.
Nous ne l’avons pas vu venir mais la chute du communisme, et surtout de l’idée communiste, a entraîné la chute de l’idée socialiste, autrement dit d’une idéologie associant justice sociale, équité économique, progrès social et culturel, généralisation des émancipations et surtout, une adhésion au principe du bien vivre ensemble. Sans s’en réclamer explicitement, les gouvernants après Roosevelt ont pratiqué, à travers l’Etat providence, une certaine forme de socialisme. Cette ère est révolue. Et lorsqu’une idée transcendantale disparaît, le naturel de l’animal politique rejaillit. De ces jeux funèbres post-mitterrandiens nous avons constaté ce déchirement au sein des courants et des personnes. Comme si l’idée socialiste n’avait plus son pouvoir structurant et enthousiasmant. La passion pour un projet a été remplacée par la passion d’être au sommet, de commander, d’être sous les feux médiatiques. Les Socialistes en ont donné le triste spectacle. Les Verts ne sont pas mieux lotis mais ce n’est pas leur faute. L’écologisme n’est pas une idéologie au potentiel de souveraineté universel. C’est presque du vide. Parmi les grosses têtes de la gauche, certaines ont poussé jusqu’au bout la passion du pouvoir en changeant de camp. Eric Besson, Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel. D’autres ont collaboré, Michel Rocard et Olivier Ferrand avec le grand emprunt, Rocard encore et la taxe carbone, Jack Lang en ambassadeur de prestige…
Bref, les années 1990 et 2000 ont signé la lente chute du socialisme. Le communisme était une idée pourrie, mais le socialisme ? Quel genre d’idée est le socialisme ? Si c’est une idée noble, elle mérite d’être accomplie par des esprits vertueux. Allez savoir, toute cette marchandise, cette platitude médiatique servant les goûts moyens, cette profusion de pub et de gadgets, bref, l’Europe n’a plus les grandes ambitions, comme la France, et se trouve ratatinée autour d’un universalisme matérialiste associé à une platitude bourgeoise, une démission des classes moyennes, et un manque de vision politique et intellectuel.
* Peter Green, « d’Alexandre à Actium », Bouquins, Robert Laffont.
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON