La civilisation, le monde et l’équilibre
Témoignage : un grand-père de 67 ans se souvient de son expérience sénégalaise quand il avait 14 ans. Un autre éclairage sur les prétendus bienfaits de la colonisation.
J’ai beau examiner le sujet sous tous ses angles, je n’arrive pas à me convaincre des bienfaits de la colonisation. Je me souviens pourtant de mon enthousiasme d’adolescent lorsque je feuilletais au Sénégal dans les années 50, ces merveilleux ouvrages illustrés qui vantaient l’action du colonisateur pour le développement de l’Afrique. Dans ce continent magnifique, mais sauvage, tout était à faire : routes, barrages, usines, hôpitaux, écoles, etc. Quoi de plus excitant pour un jeune qui rêvait de construire sa vie ? A 14 ans déjà, je sentais intimement et profondément la beauté et la grandeur de l’action européenne civilisatrice en Afrique. Et puis, comme tout le monde, j’ai observé, j’ai vécu et j’ai appris. Dans ma classe du lycée Van Vollhenhoven, au cœur de Dakar, il n’y avait que deux ou trois Africains brillants, mais un peu perdus au milieu de cette foule de blancs. Dans le centre de Dakar, paradaient la belle cathédrale blanche, les pères blancs et les belles voitures conduites par des blancs. A la périphérie de cette capitale du continent noir végétait une foule d’Africains dont la pauvreté contrastait de façon caricaturale et choquante avec la richesse des Blancs.
Comment développer un pays sans donner l’exemple, sans lui montrer ce que l’on sait faire ? Bien sûr que le Blanc était plus fort, qu’il construisait des maisons plus solides, des ponts immenses, des voitures et des avions pour aller plus vite et plus loin. Je me souviendrais toujours de notre boy ébahi devant les photos d’un livre sur Paris. Alors, pourquoi ce fiasco de la colonisation ? Qu’est-ce qui a cloché dans ce choc des civilisations ?
A la réflexion, c’est finalement bien peu de chose, presque un détail de l’histoire qui a tout gâché (mais l’on sait que certains « détails » ont changé la face du monde). Ce détail, c’est ce qui manque aujourd’hui dans nos propres sociétés occidentales : « le respect de l’autre ». En France aujourd’hui, l’enfant lui-même ne respecte plus ni ses parents ni ses maîtres. Les personnes âgées, les anciens représentaient autrefois les piliers de la sagesse. Eux-mêmes aujourd’hui ne sont plus respectés. Il ne s’agit pas de respecter le faible par charité chrétienne. Respecter la fragile beauté d’une civilisation est aussi vital à l’équilibre de notre planète que respecter la fragile beauté de la nature. On doit absolument respecter ce que le temps et nos ancêtres ont construit. L’espèce humaine, la dernière arrivée sur cette planète, est confrontée à un monde beau et équilibré. Chaque tribu humaine a suivi un cheminement différent, mais chacune a construit son propre équilibre, sa propre civilisation. Comme l’équilibre du monde, cet équilibre-là doit absolument être respecté. Reconnaître ces civilisations dans des musées des arts premiers est un pas important, mais cela ne suffit pas. Pour participer à l’équilibre du monde, il faut aussi reconnaître l’existence même de ces civilisations et les respecter. Ce que fait quelquefois le commerçant (servir le monde par le commerce disent les Japonais), mais que n’a pas fait le colonisateur. Comme les Amérindiens, les Africains ont été éblouis lors des premiers contacts avec les Européens, cette tribu belle et puissante venue d’ailleurs. Et tous ces « sauvages » étaient prêts à entamer un dialogue constructif avec ces étrangers. En de rares occasions, ce fut le cas. Et lorsqu’elles ont pu s’établir dans le respect mutuel, ces premières rencontres ont permis des échanges équilibrés et fructueux. Mais, la plupart du temps, ce sont les représentants des forts qui ont exploité et opprimé les faibles. Ce sont les civilisés qui se sont comportés en sauvages. Les Européens n’ont pas tué tous les sauvages, mais ils ont détruit presque totalement toutes ces civilisations plus ou moins primitives qu’ils reconnaissent aujourd’hui.
Sans ce facteur d’équilibre qu’est une civilisation même primitive, un peuple n’a plus d’existence. En imposant à tous leur modèle, les Européens ont appauvri le monde, ils se sont appauvris eux-mêmes.
Je ne sais pas si le nouveau culte de la diversité, que l’on prône enfin aujourd’hui, sera de nature à réparer cette immense blessure de l’humanité. Voila pourquoi j’ai du mal à admettre les bienfaits de la colonisation.
François Maugis
Paris - La Réunion
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