La classe éternelle de Willy
En plus de 15 ans de radio et de spectacle, j’en ai vu des escrocs du show-bizz. Des gars qui se pointent avec trois heures de retard et ne jouent même pas, des gus qui jouent le minimum syndical et se tirent sans rappel, etc. J’ai même vu Chuck Berry, jouer faux, archi-faux, et faire tout un plat à un organisateur qui avait oublié qu’il exigeait de monter sur scène avec ses dollars dans les poches, par liasses complètes. L’homme s’était tellement fait gruger dans la vie par des organisateurs de spectacles qu’il ne fonctionnait plus que comme ça : parano au dernier degré et jouant le strict minimum, à savoir 45 minutes, à la seconde près. Et puis j’en ai vu d’autres aussi, avec la classe, le style et des timings de scène à faire mourir le moindre organisateur : dans le genre, le pompon restera Grateful Dead, à Lille, revenu en fin de tournée pour jouer gratos en raison d’un spectacle annulé 2 mois plus tôt. 4h 20 de spectacle, qui est devenu en partie un triple album « live », où figurent quelques clichés de l’esplanade de Lille. Mais je ne savais pas ce que c’était que la classe avant d’avoir vu Willy.
Car dans ma courte vie, j’ai eu la chance de voir très tôt ce qu’était la très grande classe sur scène. Un jour, à la Mac (maison de la culture) de Villeneuve d’Ascq, à savoir la salle de spectacle du campus, on a annoncé la venue d’un quasi inconnu encore pour l’époque appelé... Mink DeVille. On doit être alors en 1981 je pense. J’ai déjà entendu plusieurs titres de lui, en fait au départ une reprise de John Martin, "Cadillac’sWalk" sur France-Inter et ça m’avait fort plu en fait. On est en 1977, encore en pleine vague post Punk, et un grand éflanqué d’une minceur cadavérique vient de sortir un album intitulé "Cabretta". L’album était produit par Jack Nizsche, et tout le monde savait que celui-là ne s’était jamais trompé de pointure. L’année suivante c’était déjà "Return to Magenta", et DeVille confirmait l’adage du deuxième album réussit signifiant début d’une grande carrière. J’avais évidemment acheté, ayant déjà déniché le premier. L’album s’appelait ainsi, car entre temps "Mink", comme on l’appelait alors c’était fixé à Paris quelques mois... près du Boulevard Magenta. L’album sonnait encore plus Nouvelle-Orleans que le premier : dans le fond du studio rodait Mac Rebennack, alias DrJohn, qui estampillait la filiation musicale du chanteur. L’homme suintait le rythme de la Nouvelle-Orleans par tous les pores. Puis il y avait eu "Le Chat Bleu", fait en France, et "Coup de Grâce". Quatre albums déjà... J’avais donc grande hâte de le voir sur scène.
Ce soir là, faute d’affichage et de publicité... la salle était vide. Désespérément vide. Après une heure d’attente, on était toujours.... quatre seulement, dans la salle, une salle avec des fauteuils, une toute petite salle de cinéma. Les quatre se regardaient et lorgnaient sur leur montre en se disant c’est râpé, ça va être annulé. A 20H55, les musiciens sont montés sur scène, tranquillement, et on entonné un Harlem Nocturne d’anthologie....avec un sax hurleur comme ce n’est pas possible, dans la droite ligne des Viscounts. Plus lent, remarquez, en fait, plus proche de Stan Kenton.... dans le tempo. Un morceau archétypique pareil comme intro ? La claque, déjà... et cinq bonnes minutes plus tard....le temps d’étirer la sauce.... la deuxième.
A 21 heures pile, en effet, un mec est monté lentement sur scène, avec une cape noire et une rose rouge accrochée à la boutonnière. Enorme, la rose. Il a empoigné le micro, à dit "bonsoir" en français, et a fait "one, two, three" et a commencé un spectacle d’une heure et demie, avec deux rappels.. pour quatre pékins déchaînés devant autant de... classe. Le premier titre ? "Bad Boy" : un nanar complet, transcendé par notre squelette à moustache. Je ne savais pas ce que c’était, la classe, avant d’avoir vu et entendu ça. Il a fait un spectacle normal d’une heure et demie, donc, et à la fin à lancé sa rose à la seule fille présente au fond de la salle. Je ne m’en suis jamais remis (la fille non plus je pense) : je n’ai plus jamais vu pareil respect du public et pareille allure sur scène. Je l’ai revu pas mal de fois sur scène après, toujours aussi élégant et aussi charmeur. Ça n’a plus arrêté après : deux mesures de "Must be Dreaming" et c’était fait : l’envoûtement de la voix et de ce timbre si particulier. L’une des plus belles voix du R&B avec l’énorme Solomon Burke, autre méconnu du show-bizz. Logique : il y a héritage direct, DeVillle reprenant du Burke sur scène depuis toujours...
Sur scène, ce soir là, j’avais été impressionné par l’étrange allure des musiciens et du chanteur : on sortait à peine du punk et lui était en costume classique, ses musicos en jabots et gilet, l’un d’entre eux (Kenny Margolis) jouant d’un minuscule accordéon : l’atmosphère était étrange, lui paraissant plus proche du monde gitan avec sa dent en or et ses cheveux longs coiffés en arrière : il est tout sauf à a la mode, il est déjà hors du temps... et le restera toujours. Hors mode dès ses débuts, il traversera le temps, en effet, se remplumera un peu, parfois, au gré de son addiction pour les drogues ou pas et se jouera des styles de musique. Et fera des reprises définitives. Vous savez, ces interprétations où après le passage du mec ce n’est pas la peine d’essayer de faire mieux. Il fera aussi du blues, comme pas un, bien entendu. Au répertoire, des standards encore et toujours, régulièrement, tous très impressionnants d’interprétation : "Stand By Me", un autre nanar certes, mais si difficile à chanter, en fait pour lui comme une simple formalité : la classe. La grande classe.
L’homme savait faire beaucoup de choses : en solo, sur scène, il était drôlement impressionnant, mêlant une vraie voix de crooner à un un ton parlé, celui du récitatif des chanteurs de rue. La classe encore. Même fatigué, depuis deux ans surtout, l’homme continuait à célébrer la Nouvelle-Orleans nonchalante et le tympo laid back qui la caractérise, entonnant régulièrement un "Bacon Fat" désormais traditionnel. Chantant le pays de la mazurka.. morceau joué en 1981 également.... . La Nouvelle-Orleans où il était revenu depuis quelques années... juste entre les indiens du bayou et la musique noire... ... sans oublier l’influence hispano-mexicaine. Et une voix, une voix....
Sa dégaine anachronique de mousquetaire m’a toujours enthousiasmé, et l’entendre dans la bande originale d’un film comme "Princess Bride", ou Knopfler assurait comme à son habitude un ravissement véritable. Chanté par un autre, ce serait un sirop sans trop de saveur. DeVille vivait sa musique, ça se voyait, ça s’entendait : il vient de nous la transmettre. En cette fin d’après midi quand j’ai appris la nouvelle, je suis allé aussitôt au fond de mon garage. J’ai ressorti mon vieil ampli NAD, j’ai rebranché mes enceintes Triangle, j’ai sorti ma Thorens, et j’ai délicatement posé dessus le vinyl du Chat Bleu. C’est avec la voix de Willy derrière moi que je souhaitais lui rendre hommage.
"Les anges ne mentent pas" avait-il chanté un jour . Ce doit être vrai, à l’entendre, lui avec son allure... d’archange déchu. Il nous disait récemment encore que les étoiles chantaient : c’en était une, pour sûr.. La classe de Willy, une dernière fois....
site :
http://www.willydevillemusic.com/
discographie
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