La cohérence de la politique étrangère de Sarkozy
Les déclarations en Egypte et à Kaboul de Nicolas Sarkozy confirment la nouvelle politique étrangère de la France, une politique d’alignement idéologique à la politique américaine.
Tout ce cirque médiatique [2]autour du voyage de Nicolas Sarkozy permet de ne pas s’attarder sur les véritables positions du président. [3] Or ces positions sont étrangement nouvelles. Sans parler des déclarations inquiétantes au Vatican, il a fait un pas de plus en déclarant en conférence de presse en Egypte avec Hosni Moubarak qu’il interrompait toute relation avec la Syrie. Stupéfiante attitude qui a rendu les Libanais perplexes. Ou encore quand il affirmait à Kaboul : "Il se joue ici une guerre, une guerre contre le terrorisme, contre le fanatisme que nous ne pouvons pas et ne devons pas perdre". Bush ne l’aurait pas mieux dit.
Pareil alignement idéologique sur la politique étrangère américaine est effectivement une rupture par rapport à la politique étrangère de la France jusqu’ici. L’alignement derrière le jusqu’au-boutisme des conservateurs américains qui s’est incarné dans cette « guerre au terrorisme » est très inquiétant. La question n’est pas tant celle de savoir s’il faut ou pas envoyer des renforts en Afghanistan. Le président aurait pu le faire sans annoncer son accord à cette idéologie de « la guerre contre le terrorisme ».
Faut-il rappeler à quel point cette politique est aujourd’hui remise en cause par les Américains eux-mêmes ? Au nom à la fois de son inefficacité et de la réduction des libertés publiques qu’elle entraîne. Car la guerre contre le terrorisme n’a donné jusqu’ici n’a que des piètres résultats : guerre en Irak, Guantanamo, désordre politique, tolérance politique de la torture... Elle a aussi entraîné un éloignement de la réalité, remplaçant l’idéologie au diagnostic en fondant une politique étrangère au service de cette idéologie et non en réponse à une réalité.
Plus grave, cette déclaration remet en cause de manière très explicite le multilatéralisme. Sarkozy ne parle que de la relation bilatérale entre la France et la Syrie, il ne mentionne à aucun moment le rôle des institutions internationales ; la négociation internationale n’a aucun sens pour notre président. Seuls comptent « son » point de vue, « son » appréciation de la situation. Etrange projection au niveau international de ce désir de s’imposer au niveau national. Ce qui a de grave ici n’est pas la volonté de protagonisme, mais plutôt la négation des autres. Les Syriens, le peuple syrien, les intellectuels, les opposants au régime, ont énormément souffert et souffrent encore énormément de la mise à l’index de leur pays (décidée par Chirac rappelons-le) et surtout de l’isolement. Ce que propose Sarkozy est donc un renforcement de cet isolement. Comment alors pourra-t-on concevoir cette fameuse politique méditerranéenne si la Syrie n’en fait pas partie, si la relation complexe entre Israël et la Syrie n’est pas discutée ? Comment fera-t-on pour pousser le régime à se démocratiser si on le laisse s’enferrer dans une logique de refus ? La politique de Bush c’est cette politique du refus : Sarkozy, l’homme de Bush, [4] l’a adoptée.
Malheureusement notre nouveau président est totalement d’accord avec la politique du refus, de l’isolement et de la négation des négociations. Un bien étrange refus de la parole politique dans le domaine de la politique étrangère. Ce même renoncement de la négociation aura été le sceau de la politique étrangère de G.W. Bush et Sarkozy, disciple de Newt Gingrich, voudrait la faire sienne. La cohérence de la politique étrangère de Sarkozy se trouve à Washington. Et cette politique sera bientôt orpheline : Sarkozy va rester le dernier néo-conservateur quand ceux-ci vont disparaître aux Etats-Unis.
Epilogue : les vœux pour 2008
J’avais écrit ce texte avant le message présidentiel des vœux. Plusieurs affirmations de ce message qui non seulement me scandalisent, mais qui démontrent encore une fois l’idéologie néo-conservatrice.
- « Une tâche immense tant la France a pris du retard
sur la marche du monde. » Vision catastrophiste de la France due aux
idéologues Baverez ou Jacques Marseille.
- « Mon rôle c’est de convaincre » ; non le
rôle d’un président n’est évidemment pas de convaincre !!! Confusion des
genres, de même qu’il y a confusion entre la fonction présidentielle élue et
l’apparence permanente dans la presse comme un « people ».
- « Les réformes qui attendent depuis vingt ou trente
ans. » Quelles sont ces réformes qui n’ont pas été menées ? Le monde
de 2007 est-il le même que celui d’il y a « vingt » ou
« trente » ans (à savoir le monde d’avant 1989, d’avant la chute du
mur de Berlin) ?
- Une « politique de civilisation » concept
extrêmement dangereux, proprement totalitaire qui est censé englober la
culture, l’identité, les valeurs « ce qui fait une civilisation... ».
Qui renvoie au choc des civilisations de Hutinghton, devenu idéologie de la
guerre de civilisation par les néo-conservateurs américains.
- Agir plutôt que de faire des discours, « on en a tant fait ». Dévalorisation de la parole, de la pensée. Pour un champion du discours politique c’est pour le moins contradictoire.
- « Une nouvelle renaissance, que la France soit l’âme de cette renaissance. » La nouvelle renaissance est un terme bien grandiloquent !
[1] Pour nous rafraîchir la mémoire il serait bon de lire (ou relire) ce qu’écrivait Éric Besson dans l’introduction du remarquablement lucide livre que le Parti socialiste a produit pendant la campagne électorale : « L’inquiétante rupture tranquille de M. Sarkozy ».
[2] Un épisode (détail ?) prouve encore que ce cirque médiatique est en lui-même générateur de violence. « Un photographe de l’AFP a eu le coude gauche cassé par un policier égyptien samedi alors qu’il prenait des photos de Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner en train de faire un jogging à Charm el-Cheikh. » Le journaliste a été intercepté par un flic en civil égyptien qui l’a plaqué au sol, « maintenu au sol en lui faisant une clé de bras et en pointant son arme de service sur sa tête, selon le témoignage du photographe et d’un autre journaliste de l’AFP. » (Libération 30/12/2007) Ce n’est évidemment pas à l’honneur de la police égyptienne qui est malheureusement coutumière de cette brutalité policière. Mais c’est encore moins à l’honneur de Sarkozy (et que dire de Kouchner !).
[3] « Ce "sarko-show" est une arme de dissimulation massive », disait Besson p. 5.
[4] Fabius l’avait d’ailleurs appelé « le futur caniche du président américain » ! Besson, avant de retourner sa veste avait dit de Sarkozy qu’il était « un néo-conservateur américain à passeport français ». Il s’en est même excusé, alors que ce fut probablement un de ses moments de lucidité.
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