La colonisation a-t-elle joué un rôle civilisateur ?
Deux faits m’amènent à écrire cet article, le premier ressort de la polémique qui a suivi le rôle que les politiques veulent assigner à la colonisation, et le second est une pétition, créée à l’initiative de Pieds noirs pour la création d’une commission d’enquête parlementaire.
Deux faits m’amènent à écrire cet article, le premier ressort de la polémique qui a suivi le rôle que les politiques veulent assigner à la colonisation, et le second est une pétition, créée à l’initiative de Pieds noirs pour la création d’une commission d’enquête parlementaire.
Autant le premier a suscité un torrent de protestations sur la position que les politiques voulaient donner à ce rôle positif de la colonisation, autant la raison de cette pétition est méconnue, voire occultée, et, je pense, représente la face cachée d’un même problème.
En effet, un certain nombre de personnalités dont les positions ont été retranscrites sur le site de la Ligue des Droits de l’Homme et que je joins à la fin de cet article sont unanimes, avec des arguments différents, voire divergents, dans la critique du fond ou de la forme de cette loi.
Pied noir moi-même, ayant eu à souffrir des avatars de cette guerre qui, en son temps, n’avait jamais dit son nom, ayant pendant des années été immatriculé sous le fameux numéro (99) réservé, comme pour nos frères harkis ou Algériens, à ceux qui sont nés en terre étrangère, j’ai été sollicité le 5 mars 2006 pour signer une pétition demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire, et ceci pour faire la lumière sur le génocide perpétré le 5 juillet 1962 à Oran. Je l’ai naturellement signée, et c’est aussi la raison pour laquelle j’écris cet article.
En octobre 2001, j’ai commencé la rédaction d’un livre sur les années Chirac, et je vais ici en citer quelques passages afin de bien faire ressortir que tous, unanimement, Algériens, harkis et Pieds noirs, sans distinction d’origines, de croyances ou de statuts, avons été victimes d’un aveuglement politique, et comme d’habitude, en France, s’il y a une chose que les politiques n’aiment pas, c’est faire la lumière sur les passages les plus sombres de l’histoire de ce pays, a fortiori quand elle est trop contemporaine. Je sais que ce qui va suivre va enflammer nombre de gaullistes pur jus, j’en ai cure. En ce qui concerne les affres de l’après-indépendance de l’Algérie, je disais : « Si un certain nombre de généraux, encore en vie, pouvaient parler, pour le bien de la France, qu’ils disent aimer et servir, dire la vérité dont nous avons besoin, maintenant plus qu’hier. Non, messieurs les généraux, vous ne trahiriez pas l’un des vôtres, il a été ce qu’il a été, ce sont ses successeurs, à qui vous ne laisseriez plus l’occasion, l’opportunité de dévoyer un bilan, qui même controversé, restera ce que l’histoire voudra qu’il soit, dans le contexte auquel il fait référence. Vous ne pouvez, quand bien même cela irait contre vos idées politiques du moment, laisser la France, sombrer dans la dérision » ; et encore : « L’histoire, la longue, celle qui s’écrira avec un grand H, celle qui sortira de la gangue du temps, apportera son jugement sur chacun, selon ses mérites. Les politiques seront à leur place, vous aussi. Servir son pays est un sacerdoce, pas une profession de foi. Un sacerdoce est l’accomplissement d’une vie. Une profession de foi est l’acte que l’on change entre deux campagnes électorales, au gré du temps et des modes ». Et enfin : « Certains des vôtres, en 1961, ont bravé, non pas l’autorité, ils ont osé braver le pouvoir de celui qui ne pouvait accepter cela de quiconque. Ils en ont payé le prix, le prix du déshonneur, certains même le prix de leur vie. La France commençait, dans une semi-clandestinité d’abord, des négociations, qui lorsqu’elles deviendront officielles (7-18 mars 1962) prendront le nom d’Evian. Elles n’étaient pas aussi pures que l’eau qui porte le nom de cette station, elles ont floué les Français et nos frères les Algériens, la courte histoire qui nous sépare, 40 ans, le montre déjà. Nous aurions pu être une communauté fraternelle, fédérative ou confédérative, qui aurait donné à ces deux pays loisir de jouer un rôle, de loin plus important que celui qui est le leur, individuellement, aujourd’hui.
Le 1er juillet 1962, l’Algérie devient indépendante, pour la France et l’Algérie commence un nouveau destin, de part et d’autre de la Méditerranée, nous n’avons pas fait l’effort de vérité qui s’imposait, pour une rémission des maux infligés aux populations. Cela commence, 41 ans après. Nous avons tous couvert, comme au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les bassesses commises, les horreurs perpétrées, pour ne pas avoir à rougir de nos grands hommes, en seriez-vous complices, vous les généraux, si oui, alors continuons de nous taire, si non, parlez, cela permettra à cette République de ne pas être jugée seulement sur la manière dont elle s’achèvera, comme elle a commencé, par le caniveau, comme aime à le dire François Léotard, un des piliers de cette République, depuis 15 ans ».
Je crois pour ma part, après autant d’années passées, que de part et d’autre de cette Méditerranée qui nous a bercés, nos frères du sol et pour certains de sang sont comme moi et beaucoup d’autres, désillusionnés, ouverts à une nouvelle expérience, fondée sur une mutuelle reconnaissance et un respect de la personne, dont ils ont et nous avons été privés. Nous n’avons pas tous été des colons, très souvent, nos grands-parents arrivaient de pays, l’Espagne, l’Italie ou d’autres, et n’étaient que les gueux qui cherchaient à se nourrir. Cette terre d’Algérie, où nombre d’entre nous ont laissé leurs morts, a été, après les pogroms des juifs et des Arabes en Espagne, le seul endroit où des communautés ont su, durant des années, vivre et partager ce que chacun apportait de son histoire, de ses coutumes et de sa religion. Jamais, durant toute ma scolarité, au grand jamais, je n’ai connu de frictions ou d’anathèmes touchant aux origines ou aux croyances, c’est pour cela que nous voulons savoir la vérité, et c’est pour cela que nous demandons cette commission d’enquête parlementaire. Pour savoir si encore une fois les politiques ne vont pas dresser les deux communautés, l’une avec sa vision de l’histoire et l’autre la contredisant ; nous avons été, des deux côtés de cette belle bleue, les victimes d’enjeux dont on ne veut plus payer le prix. Paraphrasant Georges Clémenceau, je souhaite dire pour conclure : « La vérité que nous voulons n’est que celle qui éliminera les erreurs ».
© 08/03/06 par Philippe Murcia
[1] Parlement algérien l’Algérie dénonce le « rôle positif » de la colonisation
[2] Noël Mamère régression française
[3] Le rôle positif de la colonisation « Incongru » ! Charles-Henri Favrod
[4] Enseigner une histoire commune, par Benoît Falaize et Françoise Lantheaume
[5] Paris Tokyo la mémoire coloniale qui bloque par Pascal Blanchard
[6] Alain Finkielkraut “loi stupide, mais ...”
[7] Henri Alleg “la loi du 23 février est odieuse”
[8] Hamlaoui Mekachera Colonisation réconcilier les mémoires
[9] Gilles Manceron des lobbies veulent imposer une histoire officielle
[10] Edwy Plenel cette loi déshonore la République
[11] Robert Charvin sortir de l’amnésie entretenue
[12] Guy Pervillé Paris voulait l’amnistie et l’amnésie
[13] Pascal Bruckner l’autocélébration constante de notre démocratie
[14] Gilles Manceron répond à Guy Pervillé
[15] Olivier Duhamel une loi qu’il faudra abroger
80 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON