La com par Dieudonné
« La chose la plus importante en communication, c'est d'entendre ce qui n'est pas dit. »
(Peter Drucker)
Si, depuis de nombreuses années, Dieudonné monte des spectacles et se montre un bon communiquant via sa page Facebook et son site, les événements récents ont fortement accélérés les choses. Pour la première fois, cette communication a été amplifiée et cette croissance a atteint des sommets.
Que les spectacles soient autorisés ou interdits, que l'on soit d'accord avec les propos de Dieudonné ou non, peu importe. Je m'intéresserais ici à la communication, à son impact et surtout, à la capacité que nous avons, tous, avec un effort minime, d'en mesurer l'ampleur.
Les Pages Web
Il y a quelques années, lorsque nous pouvions avoir un compte Wanadoo (la préhistoire !) nous pouvions y mettre quelques "pages perso". Les premiers petits modules (CGI) que les hébergeurs de pages perso mettaient à disposition étaient en premier le CGI pour gérer des formulaires et en second, le fameux compteur de visites. Car rapidement tout le monde s'était rendu comte d'une chose : je peux faire une page avec tout un tas d'informations, mais ce qui compte c'est de savoir si quelqu'un vient la voir.
Ceci étant, rien ne permettait de dire si la page avait réellement été lue et surtout si le contenu était considéré comme bon, ou non, par les visiteurs.
Depuis son arrivée, Facebook a changé la donne. Même si le "J'aime" n'est pas parfaitement représentatif, il dénote quand même un acte, rapide, simple, affirmant un avis. Si nous regardons la "vraie vie", nous constatons que donner son opinion peut se faire de multiples façons : manifester dans la rue, faire des pétitions, écrire une lettre, voter. De toutes ces solutions, seul le vote est anonyme et a un impact. Le "silence des urnes" est donc un acte éloigné de la pétition (qui implique de s'identifier) ou de la manifestation (surtout avec la présence massive de caméra).
Dans ce cadre, surveiller et analyser les "J'aime" sur une page Facebook peut donner une idée de ce que seront sans doute les prochaines élections.
On pourra répondre qu'il y a aussi les sondages. Mais le sondage est réalisé face à une personne qui interroge donc à qui on répond les yeux dans les yeux, ou bien par téléphone donc en réponse à une personne qui sait qui est le sondé, puisqu'il l'appelle sur son numéro. Dans les deux, le jeu est déjà faussé car dans le cas d'une question relative à un sujet délicat, peu de chance d'avoir des réponses justes. Chaque individu va, consciemment ou inconsciemment, faire une réponse plutôt « politiquement correcte ».
De même, les sondages étant réalisés sur des panels de population très réduits, les résultats sont rapidement faussés. Se poster devant une mosquée pour demander l'avis sur le Coran n'aboutira évidement pas au même résultat qu’en se postant devant une Synagogue.
Quand on fait un sondage, on demande à qui on veut et on pose la question que l'on veut.
A l'inverse de tout cela, le "J'aime" de Facebook peut être considéré comme beaucoup plus représentatif. D'ailleurs, la page de soutient au Bijoutier de Nice a bien montré un avis massif. Mais comme il n'y a pas d'élection, nous n'avons pas la réponse "électorale". L'avis "Facebook" est donc à prendre comme un signal d'alarme dont nous pouvons penser qu'il sera validé par les urnes, à quelques choses prés. En tout cas, difficile de ne pas en tenir compte.
Combien de "J'aime" ?
Il y a 4 paramètres : le nombre de "J'aime" d'une page, le nombre de "Personnes qui en parlent" et enfin, les évolutions de ces données. Avoir 100 "J'aime" et "100 personnes qui en parlent" est une chose. Par contre, si j'arrive à 100 « J'aime » avec une progression de 1 par semaine, ou de 10, ce n'est pas pareil.
De plus, si je passe de 1 par semaine à 10 par semaine avec en même temps une augmentation des "personnes qui en parlent", je peux déduire qu'on parle de moi en termes positifs. A l’inverse si mon nombre de "J'aime" stagne ou que son évolution montre un ralentissement alors qu'en même temps j'ai de plus en plus de "personnes qui en parlent", j'en déduit qu'on ne doit pas parler de moi en terme élogieux.
Observons...
Ces préalables étant posés, observons 5 pages Facebook : CRIF, LICRA, Parti Socialiste, Front National et Dieudonné. Donc les pages des acteurs principaux des événements récents.
Les pages du CRIF et de la LICRA ne donnent pas de statistiques d'évolution. En haut de ces deux pages, nous ne voyons que le nombre de personnes qui aiment et le nombre de personnes qui en parlent, mais pas les évolution.
A l'inverse, les quatre autres pages (UMP, PS, FN, Dieudonné) donnent accès à leurs statistiques. Il suffit de cliquer sur le compteur de "J'aime" qui est en haut. Nous arrivons alors à une page qui montre la courbe d'évolution des "J'aime" et des "personnes qui en parlent". Notons que les dates de début et de fin des périodes de comptage, sont les mêmes sur les trois pages, ce qui aide à comparer, mais que les dates se superposent. Ceci permet de voir, sur les derniers jours, l’évolution quotidienne, sous réserve évidemment de la fiabilité des données de Facebook.
En date du 13 Janvier 2013 les résultats sont les suivantes, pour les mentions "J'aime" et "Personnes qui en parlent".
J'aime | Qui en parlent | |
CRIF | 311 | 70 |
LICRA | 7123 | 1000 |
UMP | 72.819 | 2046 |
PS | 76.491 | 5964 |
FN | 121.815 | 3707 |
Dieudonné | 610.272 | 374.844 |
Première surprise : la représentativité
Celle des deux premières entités est très faible. Or leur représentativité au sein des médias "officiels" est très forte. Mais ces médias ont, contrairement à Facebook, la capacité de filtrer qui est invité ou non. Nous en déduisons que les deux premières pages sont celles de groupes ne représentant quasiment personne et que les médias ne sont pas au service de la masse des individus. Cela valide d’ailleurs la défiance croissante de la population.
Je me permet d’ailleurs une remarque : si nous avons un tel écart entre les concepts de société de ceux qui passent à la télé (ou dans la presse) et la « masse », ceci pose rapidement un soucis économique. En effet, si un journal veut se vendre à ceux qui « Aime » le CRIF, il semble évident qu’il vendra moins qu’en mettant un contenu pour ceux qui « Aime » Dieudonné.
Les difficultés financière des médias traditionnels sont sans doute à chercher dans le virage numérique qui est pris (ou mal pris), mais sans doute plus encore dans le fossé qui se creuse. D’ailleurs, nous constatons de plus en plus de réactions violentes dans les commentaires des articles publiés sur Internet, commentaires soulignant en quasi permanence cet écart entre les articles et la réalité.
On pourra rétorquer que Facebook n'est pas très représentatif. Pourquoi pas. Nous pourrions l'admettre à conditions que les autres pages montrent des valeurs à peu prés similaires. Mais ce n'est pas le cas.
Dire à la vue des résultats du CRIF que "c'est pas pareil", revient au cas du perdant de la bataille qui se justifie en disant qu'il pleuvait beaucoup, tout en oubliant qu'il pleuvait aussi sur le camp adverse. Car l’accès pour cliquer sur le bouton « J’aime » de la page de la LICRA est aussi simple que l’accès pour la même action, sur la page du FN, du PS, de l'UMP ou de Dieudonné.
Seconde surprise : l'évolution
Voici les courbes des quatre pages. En vous dirigeant sur Facebook et en posant votre souris sur les courbes, vous verrez les chiffres. Je ne les recopie par ici, c’est trop fastidieux, les courbes étant assez parlante.
En terme d’évolution, la courbe du FN et la courbe de Dieudonné ont le même lien entre le nombre de personnes qui en parlent et l’évolution des « J’aime ». Plus on parle du FN, plus il gagne des « J’aime », moins on en parle, moins il en gagne. Il en est de même pour Dieudonné.
Mais l'évolution de la courbe du PS et celle de l’UMP durant l’affaire Dieudonné (et spécialement à la fin du traitement de celle-ci) montre l’effet inverse. Plus on parle du PS et de l’UMP moins ils gagnent de « J’aime » ce qui laisse penser qu’on en parle de plus en plus, mais pas en bien.
Notons quand même que cet effet est plus fort pour le PS que pour l’UMP.
Surtout, nous constatons une inversion de la courbe des « J’aime ». Cette inversion commence le 4 janvier. C’est à dire le jour ou Manuel Valls a annoncé qu’il allait faire une circulaire pour interdire les spectacles de Dieudonné…
A partir de cette date, les choses ont toujours évoluées de la même manière : plus le Ministre a lutté par la force, plus son parti a perdu la bataille de la communication et plus Dieudonné a progressé.
Dieudonné est copain avec le FN !
Discours habituel sur toute la durée de cette « crise ». Dieudonné serait d’extrême droite donc ami avec le FN. Sauf que les courbes ne le démontrent pas. En effet, si tel était le cas, nous devrions avoir une croissance parallèle des « gens qui en parlent » et des « J’aime » au niveau du FN et de Dieudonné. Et dans une moindre mesure, au niveau de l’UMP.
Or, à partir du 4 janvier, les courbes du PS, du FN et de l’UMP évoluent toutes à la baisse, montrant une défiance évidente de la population vis-à-vis des partis.
Le seul qui, à partir du 4 janvier, a gagné de plus en plus de « J’aime », c’est Dieudonné.
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