Les yeux sont rivés vers des "gladiateurs" de luxe dont les rémunérations frisent l’indécence en ces temps de crise et de morosité économique, le peuple lui, pauvre démunie, en redemande.. Pendant que l’on lui offre des jeux et quelques miettes du pactole gigantesque généré par son enthousiasme, on fait passer des politiques socialement génocidaires dans une indifférence effroyable.. Rien à craindre, le peuple acclame ses héros imposés et il en est fier..
Depuis quelques jours c’est la saturation médiatique, de la présentation des protagonistes aux pronostics de tout ordre en passant par les potins d’une drôlerie navrante, la coupe du monde de football a envahi la quasi-totalité du quotidien des hommes qui ont pourtant bien des urgences à régler que de se laisser infantiliser par cette puérilité scandaleuse.. Les politiques en usent et en abusent pour maintenir cette horde populaire instable dans une sorte de coma végétatif, et chacun espère que cela se passera bien pour son équipe pour pouvoir surfer sur la vague de bonheur provoquée par la victoire finale afin de passer dans l’ivresse les reformes impopulaires..
Il m’a semblé entendre que l’on trouve au Football des vertus insoupçonnées, de la reconciliation des différences à l’ouverture à autrui en passant par le patriotisme.. Sans verser dans la mauvaise langue, vu que le continent africain abrite cette compétition mondiale, et que pour une fois les vieux clichés qui ont la peau dure accentuée par une certaine ignorance seront pour un temps balayés, le Football n’est vecteur que du fric et de cette mafia froide et implacable qui régie cet univers impitoyable.. Laissons donc de coté la vraie fausse réconciliation sud-africaine, de cette nation cosmétiquement arc-en-ciel qui n’a pas su faire place à une véritable justice sociale avec une équitable redistribution des pouvoirs ainsi que des richesses.. Mettons de coté ce mythe sud-africain où les miséreux croupissent dans les mêmes et sempiternels Townships.. Faisons fi de ces réussites éparses qui cachent mal le diktat et la prédominance de quelques privilégiés accessoirement barons du régime.. Regardons ce pays tel qu’il est.. L’un des plus dangereux du monde, entre quarante et cinquante morts par heure, plus que l’Irak ou l’Afghanistan, une violence universelle dont l’une des sources vient de la paupérisation, du chômage, du désespoir des classes sociales affaiblies.. Mais aussi de l’incapacité ou du manque de courage de commencer, de poursuivre une réelle intégration de tous les sud-africains sans tenir compte de leur couleur de peau ou de leur ancienneté dans cet ANC hanté par ses fantômes d’hier.. Mandela et ses successeurs ont une grande responsabilité sur ce visage balafré de haines à peine étouffées, de colères assourdissantes mais pas pour longtemps, que présente l’Afrique du Sud au monde..
Pour récemment calmer la grogne de travailleurs honteusement exploités et qui ont travaillé dans un quasi état d’esclavagisme l’on a distribué sous le regard complice des journalistes quelques billets de matchs.. On a également ouvert des centres de dépistage du VIH SIDA, des complexes scolaires et présenter des projets sociaux qui ne répondent pas aux aspirations de ces jeunes qui ont l’impression qu’ils n’existent pas, qu’ils ne sont pas grand-chose dans le développement des politiques locales ou nationales..
Jamais le Football n’a empêché les non-sens sanglants africains, des guerres civiles au monopole politique accompagné de ses tares que sont le nepotisme, la corruption, l’impunité et le sentiment d’immortalité en passant par le boom économique.. Jamais il n’a permis le pays de Samuel Eto’o et de Roger Milla de se doter d’infrastructures, de structures fortes et durables.. Le Football n’a pas fait taire les armes au Liberia de George Weah ou empêché les déchirements xénophobes dans la Cote d’Ivoire de Didier Drogba.. Il n’a que nourri les comptes bancaires de ceux qui détiennent les clés de la bourse.. On continue à y jouer au Football à un niveau largement amateur, les jeunes talents que regorge le continent ont des envies d’ailleurs encouragées par la misère, la non-reconnaissance, les frustrations accumulées, et le chant des sirènes des clubs occidentaux.. Comme dans le domaine scientifique, culturel et intellectuel, on assiste à une fuite des cerveaux pour les uns ou une vampirisation occidentale pour les autres – entre les deux mon cœur balance – car la réalisation de soi n’est pas acquise et naturelle dans des pays gérés par des gouvernants comme des chefs coutumiers régnant dans leurs villages..
Un peu partout sur le continent, les beuveries accroissent le nombre d’alcooliques, des morts aussi, et on nous ressort la rengaine d’un honneur continental à défendre, alors oui il faudrait que nous acclamions tous ce bonheur d’être enfin reconnus comme faisant parti du monde.. Si seulement l’on pouvait concentrer de tels efforts à devenir des champions du monde du développement économique, de l’innovation technologique, de l’Équité sociale, l’Afrique ce beau continent ne serait pas une sorte de tombeau ouvert d’où jaillit la puanteur des désespérances..
Mais que peut-on faire contre la grande frénésie populaire autour de cet évènement dont les retombées iront dans leur majorité aux mêmes ? Comme tout le monde on se réjouit, surtout que les litanies sont aujourd’hui des absurdités de rabat-joie..
Alors moi aussi je dis "Vive la Coupe du Monde !", que le plus tricheur - puisse que l’on gagne rarement dans ce sport à la loyal, de la main de Dieu à celle d’un Bleu - l’emporte !