La crise économique ramène-t-elle fatalement à la misère intellectuelle ?
29 octobre 1929 : une date sinistre, parmi tant d’autres, dans l’histoire boursière et celle de l’Humanité. Le krach boursier de New York qui s’est enclenché le jeudi 24 octobre 1929, signe le début de la Grande dépression qui va plonger le monde entier, sauf la Russie soviétique de 1917, dans la plus grande crise économique du XXe siècle. Deux ans plus tard, en 1931, ses ondes de choc traversent l’atlantique et atteignent les rives européennes.

En Allemagne, où le chômage explose et atteint 25% en 1932, un certain Adolph Hitler, marié à Eva Braun dont les origines pourraient être juives, va surfer sur la vague¹. Les couches populaires touchées de plein fouet par la crise de l’emploi, et les industriels allemands effrayés par le désastre économique qui menace directement leurs intérêts, placent naïvement dans tous les cas, leurs espoirs en celui qu’ils considèrent désormais comme l’homme providentiel, le redresseur du pays : « Donnez-moi quatre ans, disait Hitler, et vous ne reconnaîtrez plus l’Allemagne ».
Le 30 janvier 1933, le président allemand Paul Von Hindenburg nomme à contre cœur Chancelier (Premier ministre), celui qu’il appelle avec mépris « le petit caporal tchèque ». Quatre ans plus tard en effet, l’Allemagne est méconnaissable : opposants assassinés ou emprisonnés dans le premier camp de concentration édifié par Heinrich Himmler à Dachau, plus de partis politiques, plus de Reichstag (parlement allemand, brûlé par les Sections d’Assaut –SA- en faisant porter aux communistes la responsabilité de l’incendie), plus de droits sociaux, plus de droit de grève sous peine d’être expédié à Dachau. La dictature est installée pour le malheur de l’Allemagne et le monde. La suite de la tragédie on la connaît dans ses grands traits : génocide juif et Seconde Guerre mondiale.
Au début du XXIe siècle, en 2008, arrive en Europe, toujours en provenance des USA, la crise des « subprimes »² qui rappelle étrangement celle de 1929. Crise de l’immobilier au départ, elle ne tarde pas à se transformer en impasse bancaire puis financière et entraîner la planète dans une crise mondialisée qui n’est pas encore terminée³. Comme toujours, le petit peuple est la première victime de ce mensonge généralisé⁴.
Les couches sociales les plus défavorisées aux USA, mais aussi les Grecs, les Italiens, les Espagnols et dans une autre mesure les Français, sont d’abord les premières populations les plus fragilisées et dont les difficultés et les souffrances ont été les plus médiatisées en Europe. Les usines ferment, les patrons sont séquestrés, des millions de familles dans le monde sont abandonnées à leur misère. La société se recroqueville, le bifteck se fait rare, le chacun pour soi tend à prendre le dessus dans les esprits. Les valeurs républicaines et démocratiques commencent à prendre l’eau de toutes parts. Les nationalismes fermés prolifèrent un peu partout dans le monde et désignent sans vergogne à la vindicte populaire exclusivement l’autre, le différent, l’immigré, comme le responsable de la situation.
On voit ainsi surgir de l’ombre chez des Nations démocratiques, des responsables politiques populistes, affichés ou masqués, du genre d’Adolphe Hitler, afin d’enrôler les nombreuses victimes de la crise, ou une jeunesse frustrée, désorientée et désœuvrée, dans les armées de l’intolérance, de la haine et de la violence.
Ce type d’êtres hitlériens, ces nouveaux rhinocéros⁵ pseudo-démocrates, profitant du contexte économique, pensent dur comme fer que pour prendre le pouvoir et exister, il faut ramener l’Humanité à ses heures les plus sombres, à ses pulsions les plus primaires, à ses peurs, donc à son ignorance⁶. Ces gens-là exploitent sans scrupules le moment où les populations fragilisées par la crise économique, succombent à la misère intellectuelle. Experts en hypocrisie, fins manipulateurs, et monstrueux psychologues de l’opportunisme, ils savent que ces populations pensent d’abord à satisfaire leurs besoins les plus élémentaires : se nourrir, se loger, s’habiller.
C’est bien dans ces moments de crise économique mondialisée que l’Humanité est ramenée à sa misère intellectuelle. La réflexion, la pensée, le discernement ne sont plus opérationnels ou ne fonctionnent plus normalement. L’esprit est obnubilé par la recherche des moyens de subsistance. L’Homme dans ces conditions retombe dans l’état de bête : boire, manger, coucher. Toute la pensée en fait est tournée vers ces impératifs de la vie animale. Du coup, l’autre, surtout le différent, donc l’immigré, hier recherché pour lutter contre le nazisme, pour libérer et construire le pays et son économie, est aujourd’hui présenté par les ingrats marchands de la haine comme étant l’envahisseur, la menace, l’ennemi.
Les populations fragilisées par la crise mordent à ces discours de l’intolérance et deviennent racistes, antisémites, islamophobes, « arabophobes »⁷. Ils dressent des barricades et montent des murs, le plus haut possible, pour se protéger de leurs fantasmes, le plus souvent. Aujourd’hui l’autre, le différent le plus rejeté, est l’Arabe, le Musulman, les Gens du voyage et les Roms.
De nombreux autres murs réels ou imaginaires, édifiés par la misère intellectuelle de l'extrémisme, font obstacle à la tolérance, au vivre ensemble, à l’humanisme. Le rapport annuel du Réseau Européen contre le Racisme (ENAR) paru le 21 mars 2014, basé sur 27 rapports alternatifs nationaux, émanant de 700 ONG de 27 pays européens, est sans équivoque : la crise « suscite la peur parmi le grand public, incitant ainsi aux comportements racistes ».
A Hénin-Beaumont, bassin minier de 27 000 habitants en crise, le parti d’extrême droite (FN-Front National) a raflé cette commune d’une région industrielle sinistrée, le Pas-de-Calais, aux élections municipales du 23 mars 2014 dès le premier tour. Son premier acte politique est la fermeture du local de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et l’expulsion de celle-ci hors les murs, en « application de la loi » précise le nouveau Maire FN. S'il faut un autre exemple pour etre convaincu de ce que peut faire l'extrémisme au pouvoir, regardons du côté de Gaza.
Pierre Tartakowsky, président de la LDH interrogé par francetvinfo, ironise : « Steeve Briois, en bon soldat, a appliqué la consigne de Marine Le Pen (…) Nous dénoncerons ces mesures de caporal autoritaire ». Une semaine seulement après sa prise de pouvoir municipal : le 8 avril 2014.
¹ http://www.dailymotion.com/video/xbs7ps_la-montee-des-fascisme-hitler-arriv_news
² La crise des subprimes : origine et conséquences.
³ Marc Ladreit de Lacharrière, Le droit de noter : les agences de notation face à la crise, Ed. Grasset (octobre 2012).
⁴ Les dessous de la crise économique mondiale
⁵ Eugène Ionesco, auteur français d’origine roumaine a publié en 1959, dans la catégorie du théâtre de l’absurde, sa pièce Rhinocéros dans laquelle il dénonce le totalitarisme et le nazisme, sous l’appellation « rhinocérite », les rhinocéros renvoyant aux mentalités nazies.
⁶ Ibn Rochd (dit Averroès en occident) : « L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l'équation. »
⁷ "Peur de l'Arabe".
Abdellatif Chamsdine
abdellatifchamsdine.net
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