La crise, ou le miracle libéral à crédit
C’est la crise. Une belle, dans le genre séisme, the big one.
Elle est systémique, fatale, et durable. Une fois établi ce constat, largement ressenti dans l’opinion, tâchons de sortir de l’intuition, et d’analyser froidement et logiquement comment nous en sommes arrivés là.
Il s’agit juste de démontrer que dans un monde fermé et assoiffé de démocratie, ce modèle ne marche pas.
C’est la crise. Une belle, dans le genre séisme, the big one.
Parmi les officiels, chacun feint plus ou moins de la considérer comme accidentelle et transitoire, et promet ainsi une retour à la normale.
Elle est systémique, fatale, et durable. Une fois établi ce constat, largement ressenti dans l’opinion, tâchons de sortir de l’intuition, et d’analyser froidement et logiquement comment nous en sommes arrivés là.
La crise est systémique car elle est liée à un modèle économique, dit libéral, appliqué à une petite planète, dans un contexte de démocratie. C’est la conjonction de ces trois éléments qui fait la crise, qui devait fatalement la faire, et qui va la faire durer.
Le modèle libéral s’appuie sur la libre concurrence pour établir des équilibres à travers le marché, des bénéfices à travers l’individualisme, et une dynamique à travers la croissance. Le but n’est pas ici de juger sur le plan moral le bien fondé d’un tel système. Le libéralisme constituait un réel progrès dans l’Europe du XVIIIème siècle. Et la Révolution Française était fondamentalement une révolution libérale.
Il s’agit juste de démontrer que dans un monde fermé et assoiffé de démocratie, ce modèle ne marche pas.
L’économie existe à travers un maillage de transactions (d’échanges) de nature diverses, qui en gros consistent à troquer une valeur contre une autre valeur. On peut bien expliquer l’économie avec des mots compliqués, définir des lois et utiliser des niveaux d’analyse réservés à des spécialistes, il n’empêche que l’économie passe par ces échanges. L’économie, c’est tout-public.
Des échanges donc, et dans le but apparemment évident d’en faire bénéficier les deux parties. Ou pas.
Car l’économie libérale n’implique pas l’équité. Les échanges effectués lors de la colonisation, les rapports entre le marché et les producteurs de café, de bananes, ou de tous ceux dont la fragile condition permet la spoliation, ne sont pas équitables.
Du point de vue économique, ce n’est pas un problème, la meilleure preuve est le développement sans précédent du monde occidental au cours des trois derniers siècles.
Le véritable problème est le bilan de l’échange, et donc ce qu’on met dans le bilan.
Paul possède 3 brebis qui lui reviennent à 1000€ chaque. Il a besoin d’argent.
Pierre profite de la situation en achetant à Paul 2 brebis à 800€.
Paul n’a plus les moyens d’entretenir sa dernière brebis, la tue et en tire 400€.
Comme la brebis vivante se fait rare, elle vaut maintenant 1500€ pièce.
Avant l’échange, Paul avait 3000€ de brebis, et Pierre 1600€, soit au total 4600€.
Après l’échange, Paul a 2000€, et pierre 3000€ de brebis, soit au total 5000€.
En valeur, le bilan de l’échange est positif de 400€. Mais :
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Paul est ruiné (dégouté du monde matérialiste, il deviendra journaliste du web)
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Une brebis est morte et ne fournira plus ni lait ni agneau.
On le voit à travers cet exemple, la loi du marché et le système associé font voir les choses d’une certaine façon. Ainsi, le bilan de cet échange est positif, on a créé de la richesse.
Tant que la disparition de la brebis ne porte pas à conséquence, et que la situation de Paul ne concerne que lui (ce qui implique qu’on s’en fiche un peu), on peut dire que ce système fonctionne.
Seulement, ces deux conditions sont de moins en moins réunies.
Tant que le système n’était pas fermé, c’est à dire qu’il était possible de piocher dans les ressources naturelles le rattrapage du déficit d’un tel système, tout allait bien. La Russie de Poutine fonctionne encore sur ce modèle. Longtemps les colonies ont servi à ça.
Mais la limite évidente des ressources naturelles est maintenant palpable à travers notre connaissance devenue exhaustive du monde, et se rapproche de nous par une demande en explosion. La disparition d’une partie importante des ressources a des conséquences autrement plus fâcheuses, et surtout plus réelles, qu’une simple variation des cours. On appelle ça l’effet de bord. Le monde est un espace désormais fini, et le bilan doit en tenir compte.
Ensuite, la démocratie a profondément changé la donne. Les gens comme Paul votent, ce qui incite les décideurs politiques a prendre des mesures allant dans le sens de leur protection, sociale notamment.
Mais vouloir conserver un tel système, tout en contenant la pression populaire, a un coût. Il s’agit de prestations sociales visant à rattraper les nouvelles situations d’iniquité, ou d’injections massives de subventions dans une économie qui “tue le mouton” tous les jours.
Le début des années 70 est une époque charnière et marque la rentrée de la France dans le monde libéral :
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par la libération des prix (destinée, par l’inflation, à annuler les acquis salariaux de 68),
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par la fin du contrôle des grandes entreprises par l’État, dans l’esprit du CNR,
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par la fin du protectionnisme, à travers le marché libre européen.
Parallèlement, le premier choc pétrolier nous rappelle que les ressources sont épuisables, et qu’on ne saurait téléguider indéfiniment nos anciennes colonies.
L’économie et la situation sociale de tout le monde occidental sont brusquement fragilisées, et on a cherché, en apnée, des solutions.
La première s’appuyait sur les marchés, justement. Aveuglés par la capacité d’autogénération fictive de valeur par le système, on a construit avec une naïveté toute suspecte une gigantesque chaine de Ponzi. Les finances avaient alors la part belle, la Grande Bretagne abandonnait son industrie pour le tout City, et les USA vivaient déjà allègrement à crédit. Le tout finançait la consommation et une bonne partie des retraites du monde occidental, mais reposait sur un pieux mensonge.
Ce parachute dorsal s’est déchiré en 2008.
La seconde s’appuyait au contraire sur le social, et tout en quittant progressivement les trente glorieuses, on s’est mis à payer massivement des gens à ne rien faire, ou plus exactement à ne rien produire, ce qui est différent. Voire même, dans le cas des agriculteurs, à les payer pour défaire. C’était la condition sine qua non pour faire perdurer le système, à travers le soutien des cours et de la consommation. Cette manipulation artificielle des cours, dans le domaine agricole, a créé les premières grandes famines d’origine supranaturelle. Faute de pouvoir financer ces besoins massifs, les États empruntaient, les déficits publics augmentaient, bref ce que les anciennes colonies ne fournissaient plus, ce serait nos petits enfants qui s’y colleraient. La crise de 2008 a augmenté brusquement les besoins.
Ce parachute ventral est mis à l’épreuve - on entend de sérieux craquements depuis quelques semaines...
Et le plus énorme, dans cette histoire, est que jamais un tel système n’aurait eu l’approbation des peuples sans ces artifices. Nous sommes dans la situation de devoir subir les effets de Traités dont on nous a fait la promotion à crédit, un crédit à notre propre nom...
Aujourd’hui, les politiques sont face à plusieurs impasses :
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Un déni démagogique de la situation de surendettement conduit à la situation grecque, insolvable.
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L’application drastique d’une politique de rigueur, en faisant s’écrouler le PIB, conduit à la situation portugaise, qui est également insolvable.
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Dans un tel désarroi social, l’application d’une politique visant la décroissance et “le partage de la misère” a peu de chances de franchir les urnes.
Il faut nous réveiller, constater à quel point une croissance de quelques points est pure folie, prendre connaissance du vrai prix des choses, marché ou pas. Le vrai prix d’une chose, c’est ce que ça coûte à produire sans sacrifice, plus ce qu’il est nécessaire de faire pour rendre possible aux générations suivantes d’en produire, encore et encore. Rien à voir avec les tarifs précédents.
Précisons que la “production sans sacrifice” n’est pas liée au seul prix de revient ou au prix de marché, mais au prix subjectif du producteur, selon son environnement social - le prix peut donc être 0€, ou décuplé selon les cas. On notera à quel point sortir de la religion du Marché demande un effort d’acculturation...
Mais surtout, il va falloir apprendre à multiplier les transactions dont le bilan, le vrai bilan global, est positif.
Une condition nécessaire aux bonnes transactions, dans ce sens, est la confiance mutuelle, car c’est un capital qui évite les spoliation à moindres frais.
Dans le contexte actuel de défiance généralisée, il faudra être plutôt créatifs...
Il s’agit essentiellement d’améliorer le rendement global de notre système d’échange, car nous n’avons plus le luxe de pouvoir “gâcher”. Quelques pistes :
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Empêcher les marchés de dupes, ce qui suppose à mon avis limiter par écrêtage le pouvoir des acteurs – il en faudrait, du courage politique pour fractionner et ventiler les grosses entreprises, ou limiter les parts de marché à quelques %.
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Multiplier les situations “d’expression de la générosité”, ce qui va de l’amélioration des minima sociaux à celle des conditions facilitant la création d’entreprise (droits aux ASSEDIC après démission dans le cas d’un projet de création d’entreprise, par exemple). La générosité est diverse et sa promotion non dogmatique.
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Considérer cette situation de crise comme une période d’investissements, lesquels seront réalisés par des heures de travail payées en parts d’entreprises ou de créances d’États, de manière à s’extraire au plus vite de notre dépendance financière à "l’usure", qui implique arithmétiquement une croissance élevée et exponentielle.
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