La (dé) fête de la musique
Vroum, poum, tchak, boum. Vomissures et éclats de rires. On oublie la semaine des examens, on veut s’amuser sous des ritournelles subliminales à base de guitares et synthés pour ascenseur, on devient la star d’une minute comme le prophétisait Andy Warhol. La solitude étalée s’offre aux pupilles dilatées et aux narines frémissantes.

La bouche sèche, je compte faire une réserve de bières ; je dénombre les silhouettes aux caisses en tentant de sélectionner la moins comble, ce passage étant le plus répulsif de la fonction "courses en ville". Soutenir le regard morne et triste de la caissière aux cheveux défaits et aux formules de politesse prononcées avec un timbre de borne cybernétique, puis emplir au plus vite le sac à 0.60 euro des boîtes du Saint Graal afin d’échapper à cet entonnoir du même grégaire enfermement. Les queues semblaient à l’unisson devant le spectacle de la marchandisation de tout, en une sorte de communion hédoniste aux airs torves. Démarches stroboscopiques. Préhension fébrile des objets sous cellophane, monde des affairés se jetant dans la gueule de suffocation aux mille promotions dégoulinantes. Arrière-goût de déchéance subtile avec enseignes multicolores. La facticité mollement engagée au rayon fruits et légumes, je quitte subitement les lieux de l’ère du rien.
J’enfile alors des rues pour aléas mécaniques, ombres qui furètent, parées de grâces pour entrecuisses moites et dessous de bras luisants. Les badauds venus de nulle part s’affairent autour d’un groupe de black métal vers Saint-Michel - prendre ses aises semble suspect pour l’ordre rentable -, quelques cars de CRS veillent aux débordements éventuels qui n’arriveront point. Juste des SDF un peu criards, l’isolation est à son comble. Conditionnée, empaquetée, déclinée en fausses présences, faux mouvements, faux désirs, faux mérites. Les isolés ont désormais un code barre gravé au cœur. Chaque quartier a sa zone musicale dévolue, et au total pas grand monde se croise ; les classiques vont écouter du classique, les rappeurs du rap, les gothiques du goth, les "teuffeurs" de la techno et tout ressemble à une division atomique et noramalisée. Idéologies, ethnies, cultures et spiritualités, parties depuis longtemps en fumée avec le dernier homme et la fin de l’histoire, avaient laissé place à la besogne d’un monde ensommeillé, livré aux hachures de l’infiguré. La tête en veilleuse, le troupeau savait paître là où il devait. Il faisait la fête quand on le lui disait, de la musique même. Il fêtait les mères, les pères, les vieux (en oubliant de les sortir l’été mais la morgue s’en chargeait promptement). Même la révolte était encagée, le reniement punk était devenu cool. Le prochain jamais rencontré, toute forme d’unicité demeurée aux abonnées absentes, livrée aux fioritures des gestionnaires à taux préférentiels, humant les brises du mépris à plein nez. Ces jeux de distraction permettaient de maintenir l’idée qu’une collectivité animée, conviviale et chaleureuse existait toujours alors qu’il n’en était rien. Au petit matin, les rues gardaient juste la présence des déchets que des hommes en vert snobés par tous ramassent avant que la cohorte des affairés ne reprenne ses droits et ne s’octroie une prochaine fête pour à nouveau simuler l’harmonie du système.
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