La déchéance de la classe politique
Dans mon précédent article je m'effrayais du sort fait à la démocratie dans notre si belle Europe. Et puis je suis tombé au fil de mes lectures sur cette photo et c'est mon côté Mister Hyde qui a pris le dessus. Je me suis dit en la voyant que si c'était ça que nous produisait la démocratie alors il fallait interdire définitivement cette dernière au même titre que les armes chimiques ou autres saloperies destinées à réduire à néant son prochain dans la souffrance. Rassurez-vous, chers amis socialistes dont les yeux seraient encore restés collés après plus de quatre ans, j'aurais pu, mais je n'en ai trouvé (cela a-t-il une signification ?), mettre une photo de Sarko posant ses mains sur les épaules de NKM ou Rama Yade, de Marine Le Pen sur les épaules de Philippot ou plutôt l'inverse, de Mélenchon roulant une galoche à Marie-George Buffet,… Mais après tout honneur à ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir, et donc à Schreck et Pimprenelle.
C'est sans doute à ce genre d'image qu'on mesure le chemin parcouru depuis que Giscard l'aristo frelaté voulut imprimer une image faisant "plus peuple" à la fonction présidentielle. Il ouvrait en France l'ère de le pipeulisation des hommes et femmes politiques inaugurée par JFK une dizaine d'années plus tôt de l'autre côté de l'Atlantique. Cette mise en spectacle de soi-même hors du champ politique allait devenir avec les années la norme au point que désormais ça semble être devenu irréversible. Nous passerons sur les grands épisodes de cette nouvelle mode dont voici quelques-uns, Ségolène Royal accouchant presque en direct dans Match, Rocard annonçant son divorce, Sarkozy annonçant à la France "qu'avec Carla, c'est du sérieux", notre président en titre camouflé en livreur de pizza pour retrouver sa belle (certes ce fut à son insu mais il aurait dû savoir qu'on ne manquerait pas de le shooter dans son accoutrement ridicule), etc., etc., pour tenter de comprendre cette acharnement à ôter toute majesté à des fonctions qui en requéraient jusqu'à présent. Hollande nous a fourni un embryon de réponse en voulant être un président normal, y voyant sans doute une qualité.
Mais c'est quoi un président normal ? C'est sans doute là que certains n'ont pas bien compris. Est-ce un homme normal qui fait un boulot de président ? Ou est-ce un président qui se comporte en président, et qui donc compte tenu de la charge qui pèse sur lui, de ses responsabilités, de son statut de représentant du peuple, ne peut-être un homme normal.
La France est un pays de longue tradition monarchiste et qui a conservé une culture qu'on peut qualifier de féodale. Philippe d'Iribarne avait mis cela en évidence dans un livre déjà ancien, intitulé "la logique de l'honneur", où il analysait les modes de gestion au sein de l'entreprise dans trois pays différents, la France, les Etats-Unis et les Pays-Bas, démontant cette idée de la capacité à diriger les hommes selon un modèle unique, et donc remettant en cause certains des principes d'une mondialisation dont on parlait peu encore à l'époque de la rédaction du bouquin. L'impact culturel, donc historique est dominant. Les structures ainsi que les procédures dont liées irrémédiablement aux traditions donc à la culture. Et ça n'a rien à voir avec la valeur que chacun attache à ces traditions. Vouloir s'en affranchir pour imposer un modèle standard, mondial, implique donc un échec. Si donc aux Etats-Unis, c'est l'idée de contrat garanti par la loi entre des hommes libres qui prévaut, si aux Pays-Bas c'est davantage un modèle fondé sur l'objectivité et le rejet des pressions exercées par l'autorité, donc un modèle participatif, qui domine, en France c'est la logique de l'honneur, un modèle qui peut passer pour inégalitaire puisqu'il admet les privilèges associés aux fonctions des échelons supérieurs, mais, et c'est cela qui importe dans notre sujet, en contrepartie de devoirs contraignants liés à la fonction exercée. Le chef ne peut être considéré comme le chef et respecté en tant que tel que s'il assume ses devoirs. Sinon il est déchu, au moins moralement, et devient illégitime. Tout rapprochement avec des courbes de popularité existantes ou anciennes serait-il fortuit ? Rappelons-nous au passage que Hollande a très vite plongé en termes de popularité non pas à cause de ses premières actions politiques, mais à cause de ses (trop longues) vacances. C'est aussi quelques jours sur un yacht privé alors qu'il n'avait pas encore pris ses fonctions qui plombèrent durablement Sarkozy. Il y a des choses qui ne se font pas.
C'est pour cela que le président ne peut pas être normal au sens où l'entendait Hollande. La-aussi et compte tenu de la vieille histoire de la France, de cette culture féodale qui imprègne toujours les rapports sociaux, on pourrait se référer à la théorie "des deux corps du roi" développée par Ernst Kantorowicz dans les années 50 du siècle précédent. S'il existe fondu en une seule personne le corps charnel du monarque et celui immortel lié à la fonction ou à la charge, la distinction entre les deux ne peut pas apparaitre aux yeux du peuple. Cette confusion naturelle puisque sensorielle impose donc au monarque des devoirs, ce que Louis XIV avait formalisé avec l'étiquette qui régissait la vie de la Cour et surtout la sienne. Même la mort du roi n'était plus un moment privé. Il suffit de lire les chroniques relatant l'agonie de Louis XIV pour en être persuadé. Or considérez l'éloignement qui existe entre cela, entre cette vie contraignante à cause de ce paraitre lié à la fonction, et le fait d'aller voir sa maitresse en scooter. C'est d'autant plus impardonnable que nos monarques républicains, car c'est bien cela qu'en fait notre constitution, ont choisi de l'être contrairement aux rois, et cela pour une durée limitée dans le temps.
Et puisque selon le vieil adage "le poisson pourrit par la tête", c'est une bonne partie de la classe politique qui s'est engagée dans cette voie de la désacralisation. L'homme ou la femme politique apparaissent souvent, et ceux qui les auront côtoyés ne pourront me contredire, comme des gens plus intéressés par les privilèges, même quand ils ne sont que symboliques, liés à leurs fonctions ou à celles auxquelles ils aspirent de parvenir, que par les devoirs professionnels ou personnels qui leur sont attachés. Tous ne sont pas ainsi mais beaucoup le sont, et de plus en plus.
Faut-il voir dans cette dérive et dans sa perpétuation une dérive plus générale de la politique qui ne sert plus à rien. Il n'y a qu'à voir ces candidats la présidentielle, la prochaine, ou les suivantes, remplir les pages des journaux pipoles, ou se sentir obligés de (faire) rédiger des autobiographies expliquant combien ils sont comme nous, avec les mêmes préoccupations, les mêmes aspirations et aussi les mêmes travers. La politique ne sert plus à rien quand les leviers principaux du pouvoir sont partis ailleurs, ce qui est le cas, et qu'elle se confond avec de la gestion par des comptables comme le prophétisait Mitterrand après avoir créé les conditions pour que cela se passe ainsi. Quand on a plus rien à proposer ou que l'on sait que les autres savent qu'on a rien à proposer la tentation est forte de rechercher ses avantages comparatifs dans la sympathie qu'on peut inspirer. Et à ce niveau la mise en spectacle de sa vie, truquée s'il le faut, supplante le sérieux, le désintéressement, la compétence.
Nous pouvons aussi noter que cette évolution est corrélée avec une médiocratisation de la classe politique. Quand le pouvoir politique voulait dire quelque chose il était susceptible d'attirer des gens de valeur. Puisque le pouvoir est désormais ailleurs, ceux qui le recherchaient vont aussi voir ailleurs. Qu'attendre alors de gens forcément médiocres qui sont devenus davantage consommateurs de ses signes que détenteurs du pouvoir ? Rien, en tout cas pas grand-chose, sinon les singeries dont ils nous gratifient au quotidien. Le roi se confond désormais avec le fou du roi tandis que ses médiocres courtisans font la course pour se saisir du chapeau à grelots quand celui-ci tombera de la tête du souverain.
Finalement j'aime bien cette photo, elle illustre parfaitement tout ce que je viens de dire.
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