La décroissance sera subie ou ne sera pas
Depuis l’annonce de la candidature à l'élection présidentielle du célèbre Hulot, nombre de journalistes un peu perdus au milieu du maquis des différents courants de l’ « écologie politique » (à ne pas confondre avec l’ « écologie » tout court qui est une science apolitique et non exacte) cherchent à préfigurer le positionnement doctrinal du futur candidat. Le flou constaté de son programme putatif pourrait faire craindre le pire aux tenants de l’économie ibérale et capitaliste, mais ceux ci peuvent tout de suite se rassurer car il n’est que l’expression déjà visible des limites de la pensée hulotienne qui avait déjà produit, avec le « Syndrome du Titanic », le livre le plus pauvre et mal écrit qui ait été publié sur le sujet.
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Quant aux décroissants toutes tendances confondus, ils peuvent dès maintenant déchanter (ou dormir tranquilles selon le cas), le célèbre Hulot ne fera pas l’apologie d’un futur dans lequel la joie de vivre se conjuguerait avec trois fois rien. Le bonhomme n’est là qu’en service commandé pour enlever des voix au candidat socialiste du premier tour et se faire le zélateur du « développement durable », c’est à dire du « capitalisme durable ».
Ainsi, il y a fort à parier que le thème de la décroissance sera absent des débats pré-électoraux, d’autant que cette candidature a déjà eu le regrettable effet d’auto-éliminer celle d’Yves Cochet, dont l’intelligence et la compétence sont ainsi sacrifiées sur l’autel du réalisme politique. Qu’un homme comme lui, fermement convaincu de l’imminence et de l’inéluctabilité de la confrontation de l’économie capitaliste et de la réalité géologique, c’est à dire en termes clairs de la proximité du moment où la demande mondiale d’hydrocarbures deviendra supérieure à la capacité mondiale de production tous robinets ouverts, puisse choisir l’option hulot signifie qu’il ne croit pas un instant à la réceptivité de l’opinion publique dans un discours radical sur la décroissance. C’est peut être dommage, mais c’est sans aucun doute la vérité vraie, ou tout du moins celle qui peut se constater en observant attentivement le comportement quotidien de Monsieur tout le monde. L’idée selon laquelle il serait possible d’influencer le mode de pensée dominant du consommateur moyen dans un sens l’amenant à se détourner progressivement et volontairement du système industriel développé pour se rapprocher avec délice d’un système dit « frugal », où il s’auto-dépouillerait de l’essentiel de ses « biens » matériels en échange d’un accroissement possible de ses « liens » immatériels, se heurte visiblement à un mur d’incompréhension auprès des opinions publiques.
Mais c’est surtout parce que les principaux arguments des décroissants ne s’enracinent pas dans la vie réelle et qu’ils procèdent essentiellement d’un raisonnement prospectiviste, qu’ils n’ont pas d’impact sur les masses populaires. En effet, il n’existe pas d’exemple historique que les peuples aient modifié en profondeur leur façon de vivre (cela s’appelle une révolution !) en fonction d’évènements à survenir, sauf à y être contraints par un pouvoir totalitaire s’arrogeant le monopole de la détention de la « Vérité ». Les gens des pays de l’ex-bloc soviétique ont déjà donné dans le concept de la « génération sacrifiée » et en sont revenus de la manière que l’on sait. Il semble donc illusoire de penser qu’un groupe d’intellectuels, même plus ou moins scientifiques, et prétendant détenir une information capitale sur la planète (même si cette information est exacte) puisse convaincre les populations d’engager volontairement un processus contre-nature humaine, à savoir refuser l’essentiel du progrès technique et enclencher la machine à remonter le temps moderne. Car il s’agit bien là d’un processus contre-nature ! Toute l’épopée humaine est jalonnée d’acquisitions matérielles et toutes les études sur la personnalité fondamentale de l’espèce confirment que celle-ci est naturellement portée vers les phénomènes d’accroissement, d’accumulation, d’amélioration, etc….. bref, en un mot, de progrès matériel !
Nous ne trouverons pas un seul exemple dans l’histoire venant contredire cette réalité. Rien n’empêche toutefois de rêver et de penser que les choses pourraient se passer différemment aujourd’hui. Mais ce serait faire preuve de beaucoup de suffisance au regard du passé, qualité dont les scientifiques et technocrates actuels ne sont pas dépourvus, pour la simple raison qu’ils l’ignorent tout simplement. Comment imaginer que le citoyen de base des pays développés puisse renoncer volontairement à ses déplacements quotidiens en automobile, le vacancier ordinaire délaisser sciemment ses voyages discounts en avion, le consommateur se détourner ostensiblement des produits bon marché issus de la mondialisation, ou l’agriculteur revenir résolument à la traction animale ?… Et si d’aventure, ce genre d’idée lui venait subrepticement à l’esprit, elle serait vite balayée par l’idée que toute l’énergie ainsi économisée soit alors rendue disponible pour une utilisation chinoise, indienne, brésilienne ou indonésienne.
C’est ainsi que les décroissants qui prônent la joie de vivre dans la frugalité s’enferment eux même dans un sectarisme sympathique, mais politiquement fatal. Ce courant, abondamment et justement stigmatisé pour sa démarche petite-bourgeoise, rectifiée caprice-de-riches et améliorée bo-bo des villes, mérite toutefois le respect, surtout si leurs protagonistes allient l’acte à la parole et s’en vont décroîsser tranquillement en quelque lieu sans attendre que le pays tout entier les suivent, ce qui reste toujours possible, et d’ailleurs réalisé par les hippies en 68 dans les Cévennes pour leur plus grand bien et leur plus belle gloire, et nonobstant l’idéologie consumériste déjà dominante de l’époque.
La décroissance volontaire de masse n’est donc pas pour demain même si cette démarche pourrait sembler la logique même dans un contexte de diminution inexorable de la production de carburant fossile et de l’impossibilité pour les énergies alternatives de remplacer à l’identique chaque TEP (tonne équivalent pétrole) manquante.
Bien entendu, si nous croyons dur comme fer (dont la fin est annoncée pour 2087), au transfert de l’énergie de stock (fournie gratuitement par la dot terrestre) vers quelque chose d’autre avec lequel nous pourront fabriquer de l’électricité, qui elle même pourra faire voler les avions, rouler les poids lourds, propulser les tracteurs agricoles et nourrir les voraces engins de BTP, il n’y a aucune raison objective de s’en faire pour l’avenir de notre civilisation industrielle et de notre mode de vie consubstantiel.
Et comme l’immense majorité des populations reste imprégnée de cette croyance religieuse des temps modernes en la non réversibilité des avancées technologiques, le doute énergétique ne parviendra certainement pas à s’insinuer dans les consciences collectives avant qu’une réalité visible à l’œil nu ne s’impose à nous. Cet évènement pourrait bientôt survenir et constituer l’an 1 d’une nouvelle ère, celle d’après le jour où, sans espoir d’inversion de tendance, la demande mondiale de pétrole sera, pour la première fois, devenue supérieure à la capacité de production de l’ensemble des champs d’hydrocarbures du monde entier. Ce jour là, l’humanité serait bien inspirée, pour marquer le coup, de remettre les compteurs du temps à zéro et de refermer ainsi l’épisode post Bethléem.
La décroissance s’imposerait alors de fait, comme une obligation encore plus qu’une évidence. La question du volontariat ne se poserait plus car la situation serait subie. Pour les décroissants militants, ce scénario serait alors assimilé à un cauchemar car ils sont persuadés que la maîtrise du processus est indispensable pour qu’il puisse se dérouler dans la sérénité, et même dans la joie.
Si les scientifiques gagnent le pari des énergies nouvelles, la décroissance n’aura pas lieu et ces nouvelles divinités auront ainsi affermi leur pouvoir pour de nombreux siècles à venir.
Si les scientifiques échouent, la décroissance sera subie, mais pas forcément dans la douleur et le chaos, car l’homme a encore plus d’un tour dans son sac.
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